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691 THOMAS D’AQUIN : INTELLECTUALISME, VOLONTARISME 692

p. 52-69, 156-173 ; Le libre arbitre au lendemain de la condamnation de 1277, dans Rev. néo-scolastique, t. xxxviii, 1935, p. 213-233 ; Le libre arbitre chez Godefroid de Fontaines, ibid., t. xl, 1937, p. 213-241 ; Le thomisme de Godefroid de Fontaines en matière de libre arbitre, ibid., p. 554-573 ; Thomas de Sutton et le libre arbitre, dans Rech. de théol. anc. et médiév., t. ix, 1937, p. 281-312 ; refonte de l’ensemble dans Psychologie et morale aux xiie et xiiie siècles, Louvain, 1942, p. 225389. Selon saint Bonaventure, le jugement pratique, à la différence du jugement théorique (dictamen), n’est possible que par l’intervention de la volonté : In eam partem lerminatur definitivum judicium quam prœoptat voluntas. In II" m Sent., dist. XXV, a. 1, q. vi, ad 3 ii, n. Si la volonté suit ce dernier jugement pratique, en réalité elle n’obéit qu’à elle-même : Potius actum alienum trahit ad proprium. Dans l’acte libre, le jugement de la raison n’est de la sorte qu’une disposition, d’ailleurs indispensable. L’élément principal et formel de la liberté réside dans la seule volonté. Chez saint Thomas au contraire, la raison dans l’acte libre est ce que le moteur est au mobile, l’agent au patient, 1% q. lxxxii, a. 3, ad 2um. Ratio causa libertatis, écrira-t-il dans la I a -II ! D, q. xvii, a. 1, ad 2um, au plus fort de la crise averroïste. Bien que l’acte essentiel du libre arbitre (electio) relève de la volonté, saint Thomas précise cependant, dès l’époque des Sentences, que l’élection, pour être libre, doit renfermer en elle une virtus rationnelle. In II am Sent., dist. XXIV, q. i, a. 3. Le liberum judicium, l’arbitre, est ainsi non la liberté elle-même, mais la cause immédiate de la liberté. In 7/ um Sent., dist. XXV, expos, lextus. Dans le De veritate, saint Thomas ne se contentera point d’établir que la volonté est libre (q. xxii), il établit encore que le jugement pratique qui précède immédiatement l’élection, est lui-même libre : Homo non est solum causa suiipsius in movendo, sed in judicando. Q. xxiv, a. 1. Avant 1269 et pendant le premier séjour de saint Thomas en Italie, Gauthier de Bruges attaque la thèse de la volonté puissance passive. La raison n’est pour la volonté qu’un conseiller dont elle peut écarter l’avis. Il peut donc y avoir dissentiment entre le dernier jugement pratique et l’acte du vouloir. Cf. O. Lottin, Liberté humaine et motion divine…. p. 59.

L’intervention de Gérard d’Abbeville en 1269 (texte dans Lottin, Liberté humaine et motion divine…, p. 157) annonce la condamnation de 1270. Nous savons en effet par Gérard que certains maîtres, exagérant les affirmations d’Aristote (De an., T, 10, 433 b, 16) « étaient arrivés à nier le libre arbitre, en soulignant à l’excès le caractère passif de la volonté ». Lottin, art. cit., p. 158. Nous ignorons d’ailleurs les noms de ces maîtres. Le 10 décembre 1270, Et. Tempier condamnait la proposition : Quod liberum arbitrium est potentiel passiva non activa et quod necessilate movetur ab appelibili. Denifle-Chatelain, t. i, p. 487. Cette condamnation invite saint Thomas à interrompre le cours normal de ses questions De malo, afin de préciser sa propre position. La négation du libre arbitre n’est pas seulement contraire à la foi, elle est de plus la « destruction de tous les principes de la philosophie morale ». Q. vi, a. u. À la double indétermination ex parte actus et ex parte objecti, dont le saint docteur avait établi l’existence dans le De veritate (q. xxii, a. 6), répond maintenant la double liberté d’exercice et de spécification ; terminologie, mais non doctrine nouvelle et qui ne saurait être un emprunt à Siger, dont les Questions sur la Physique ne peuvent être antérieures à 1271 ; cf. Delhaye, Siger de Brabanl, Questions sur la Physique, Introd., p. 17. Le De malo enseigne que la volonté est mue par l’intellect ex parte objecti, motion par mode de causalité formelle et sim ple présentation de l’objet, précisera la I 1 - !  ! ", q. ix, a. 1. C’est en effet la volonté elle-même qui est principe de son propre mouvement quant à l’exercice de l’acte. La 7e objection du De malo est une allusion limpide aux condamnations du 10 décembre précédent. On objecte le principe d’Aristote : la volonté est une puissance passive (De an., T, 10, 433 b, 16), elleestdonc mue nécessairement par le principe actif qui la met en branle. Saint Thomas répond que seule la plénitude parfaite du bien peut mouvoir nécessairement la volonté quoad speciftcationem, ad 7um. Même dans ce cas, la liberté d’exercice est encore réservée. On a remarqué que saint Thomas, dans ce texte du De malo, passe sous silence sa théorie du fondement intellectuel de la liberté et qu’il semble réduire sensiblement la portée du principe : Nihil volitum, nisi prxcognitum. Il semblerait même écarter toute connexion nécessaire entre le dernier jugement pratique et l’élection. Mais une telle impression doit, croyons-nous, être dissipée par les textes postérieurs de la Ia-IIæ. Dans la I a -II iE, q. xvii, a. 1, ad 2um est affirmé à nouveau le fondement intellectuel de la liberté ; cf. également, q. lxxvii, a. 2. Quant à la connexion entre le dernier jugement pratique et l’élection, elle doit s’entendre non seulement dans l’ordre de spécification, mais encore dans celui d’exercice. Car la raison précède et ordonne l’élection. Q. xiii, a. 1. Or, celle-ci ne porte pas seulement sur la spécification de l’acte, mais encore sur son exercice. Dans son choix entre agir et ne pas agir, ici encore la volonté suit la raison : Potest homo velle et non velle, agere et non agere, potest eliam velle hoc et illud : cujus ratio ex ipsa virtute rationis accipitur. Quidquid autem ratio potest apprehendere ut bonum, in hoc voluntas tendere potest. Potest autem ratio apprehendere ut bonum, non solum hoc quod est velle aut agere, sed hoc etiam quod est non velle et non agere. Q. xiii, a. 6. Quant aux jugements de la raison pratique, ils sont nécessaires d’une nécessité simplement hypothétique, ibid., ad 2um, solution que Godefroid de Fontaines n’aura pas de peine à appliquer à la connexion du dernier jugement pratique avec l’élection. Quodl. vi, q. xi, éd. De Wulf-Hoffmans, p. 220.

Dans son Quodl. i, en 1276, Henri de Gand professera un volontarisme radical : loin d’être le moteur ou la cause de l’acte libre, la raison se borne à montrer à la volonté son chemin : Præferendo lucernam de nocte ne dominus offendat. L’année suivante, la condamnation du 7 mars, pouvait passer pour une « canonisation implicite » de la thèse volontariste. Saint Thomas était-il vraiment atteint comme l’ont cru les contemporains ? Non, si le De malo écarte les positions essentielles de l’intellectualisme du De veritate et de la I » Pars ; oui, si ces positions essentielles sont maintenues. Sans doute saint Thomas avait écarté toute influence efficiente de la raison, il ne parlait plus que de présentation ou de proposition de l’objet. Mais avait-il abandonné ses deux thèses essentielles : le fondement intellectuel de la liberté et la connexion nécessaire de l’acte libre avec le dernier jugement pratique ? Le doute créé par le silence du De malo, q. vi, est sur ce point dissipé par les textes de la Ia-IIæ. Or, ces thèses sont certainement visées par les prop. 129, 163, 130, 131, 158, 159 de la condamnation de Tempier.

Ce sont ces deux thèses essentielles, ratio causa libertatis et rôle du jugement pratique, qui sont prises à partie par G. de la Mare. Glorieux, Le correctorium…, p. 106, 232. La pensée de saint Thomas a été reproduite plus justement par « Circa » (éd. Muller, p. 128, 264) que par « Quare » (Glorieux, p. 107). À la différence de ce dernier qui n’accorde à l’intelligence qu’une motion par mode de cause finale (sicut finis movet efjicientem), Godefroid de Fontaines et Thomas de Sutton admettront une véritable causalité efficiente.