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G89 THOMAS D’AQUIN : INTELLECTUALISME, VOLONTARISME 690

longuement le problème dans le sens volontariste, Quodl. i, q. xiv. Le Correctoire de Guillaume de la Mare insistera longuement lui aussi sur cette thèse. Glorieux, Le correctorium…, p. 161-167 ; 221-223. La remarque de saint Thomas : Objectum intellectus est ipsa ratio boni appetibilis, ne paraît pas avoir été du tout saisie par Guillaume de la Mare. hoc. cit., p. 163. En 1286, Godefroid de Fontaines, dans son Quodl. vi, p. x, De Wulf-Hofîmans, p. 182-218, prend la défense de la thèse thomiste.

b) La béatitude. — Sur la thèse thomiste de la béatitude et ses relations avec l’aristotélisme, voir A. Mansion, L’eudémonisme aristotélicien et la morale thomiste, dans Xenia thomisiica, 1. 1, p. 440-444, Rome, 1925 ; Wittmann, Die Ethik des h. Thomas, Munich, 1933, p. 46-64. Il s’agissait en substance, pour saint Thomas, de vérifier, dans le cas particulier de la béatitude céleste, le bien-fondé des positions d’Aristote sur le caractère essentiellement intellectuel de la béatitude. Ethic. Nie, K, 7, 1177 a, 12-22. Problème qui suppose la transmission, en fait tardive, du Xe livre de l’Éthique à Nicomaque ; cf. A. Pelzer, Les versions latines des ouvrages de morale, conservés sous le nom d’Aristote, dansi ?ei néo-scol., t. xxiii, 1921, p. 316-341 ; 378-412. Albert le Grand, qui utilise pour la première fois dans son Commentaire du IVe livre des Sentences la version gréco-latine intégrale de Robert Grossetête (cf. O. Lottin, Saint Albert le Grand et l’Éthique à Nicomaque, dans Aus der Geisteswelt des Mittelallers, Munster-en-W., 1935, t. ii, p. 621-622), décrit longuement la félicité morale et la félicité spéculative, telles que les a conçues Aristote. Mais tout cela concerne la béatitude imparfaite d’ici-bas. Arrivé à la béatitude céleste, la pensée d’Albert tourne court et abandonne Aristote pour Boèce : Healitudo patriæ est inhærere Deo et in ipso habere omnia quæ appetuntur, se bornet-il à déclarer. In /V um Sent., dist. LIX, a. 6, Borgnet, t. xxx, p. 675 b. Albert se rapproche davantage de l’aristotélisme théologique dans son Cours inédit sur l’Éthique à Nicomaque (ms. Val. lat. 722, ꝟ. 194 v°a) ; mais ce cours, on ne saurait l’oublier, est « aussi l’œuvre de saint Thomas, parce qu’il a mis de sa rédaction en reproduisant la parole du maître ». A. Pelzer, Un cours inédit d’Albert le Grand sur la Morale à Nicomaque, dans Rev. néo-scolaslique, t. xxiv, 1922, p. 36. Sur la pensée de saint Bonaventure, voir Gllson, L(/ philosophie de. saint lionaventurc, p. 450-451 ; M. Wittmann, Thomas v. A. u. Bonaventura in ihrer Gliickseligkeit mit einander verglichen, dans Aus der Geisteswelt…, t. ii, p. 749-758.

Dans son Commentaire des Sentences, t. IV, dist. XLIX, q. i, a. 1, qu. 1, et dans le Quodl. viii, a. 19, qui lui est étroitement apparenté (1258 ?), saint Thomas prétend retrouver dans la béatitude céleste tout le fond de la doctrine intellectualiste d’Aristote. La béatitude et la fin ultime peuvent bien en effet être l’objet de la volonté, elles ne peuvent être son acte. Car l’objet premier de la volonté n’est point son acte même, ipsum velle, mais la fin ultime extérieure à elle (béatitude objective). Or, la saisie de cette fin extérieure, de ce bien qui est Dieu ne peut être réalisée par l’acte même de la volonté, parce que le repos et la délectation dans la fin supposent la présence de celleci. C’est donc l’opération qui réalise immédiatement et en tout premier lieu cette conjonction avec la fin ultime extérieure », qui constitue à proprement parler la « fin ultime intérieure », ce que saint Thomas nommer : ! plus tard « béatitude formelle ». I.a vision de Dieu est ainsi l’essence même de la béatitude, tandis que la délectation de la volonté est son « complément formel », comme la beauté est l’ornement de la jeunesse, Ethic Nie, K, 3, 1 171 b, 33. Même doctrine dans le Cont. Gent., I. III, c. xxvi ; P-II", q. iii, a. 4 ;

Comp. theol., c. cvu. L’évolution que Wittmann (Die Ethik…, p. 45) voudrait découvrir dans la pensée de saint Thomas vers une mitigation progressive de son intellectualisme, ne paraît point devoir être retenue ; cf. Bull, thomiste, t. iii, p. 940.

La première attaque contre cette thèse thomiste est ici encore sans doute celle de Gauthier de Bruges ; cf. E. Longpré, Le Commentaire sur les Sentences du Bienheureux Gauthier de Bruges, dans Études d’hist. doct. et litt. du xiiie siècle, t. ii, Ottawa, 1932, p. 22. Avant Duns Scot, Guillaume de la Mare objecte que la volonté peut atteindre et saisir la fin ultime, sinon par le désir et la fruition, du moins par l’amour. Glorieux, Le correctorium…, p. 211. Saint Thomas avait déjà prévenu l’objection, Cont. Gent., l. III, c. xxvi, 5°, comme 1e fait remarquer 1e Correctoire « Quare », p. 2 1 9. Chez Jean Quidort, la thèse thomiste a subi de notables transformations. Éd. Mùller, p. 240. Nous savons d’ailleurs que Jean Quidort eut quelques difficultés d’ordre doctrinal sur ce point ; cf. Glorieux, Un mémoire justificatif de Bernard de Trilia, dans Rev. se. phil. et thèol., t. xvii, 1938, p. 411. Signalons enfin les questions de Pecham sur le sujet, éditées par Spettmann, Quæstiones de anima, dans Beitrâge, t. xix, p. 5-6, 170-172 ; 178-180. La question De beatitudine, éditée jadis par Mandonnet et attribuée par lui à saint Thomas, Rev. thomiste, 1918, p. 366-371, serait l’œuvre de Thomas de Sutton ; cf. Bull, thomiste, Notes et communie., 1932, p. 118. Il y aurait lieu de la comparer avec la question quodlibétique soutenue par le même auteur en 1285, Quodl., ii, a. 15, ms. Ottob. lat. 1186, ꝟ. 84 v » 6-88 r° a.

c) L’acte libre. — Dans le traité des actes humains, on a critiqué surtout la notion thomiste A’imperium. Sur les sources de ce traité, cf. O. Lottin, La psychologie de l’acte humain chez S. Jean Damascène et les théologiens du XIIIe siècle occidental, dans Rev. thomiste, n. s., t. xiv, 1931, p. 631-661. Selon saint Thomas, l’imperium est un acte de la raison parce qu’il comporte essentiellement un ordre et une comparaison de la chose impérée à son terme, la fin. Cet ordre de la raison suppose d’ailleurs nécessairement la motion de la volonté, puisqu’on ne peut ordonner un moyen à une fin sans la volition efficace de cette fin. In lV aa > Sent., dist. XV, q. iv, a. 1, qu. 1, ad 3um ; De ver., q. xxii, a. 12, ad 4um ; Quodl. ix, a. 12 ; I » -II », q. xvii, a. 1. Sur l’histoire du terme imperium rationis, voir Lottin, art. cit., p. 648, n. 2. Cette thèse intellectualiste est prise à partie par Guillaume de la Mare, qui lui reproche de compromettre le libre arbitre. Si la raison commande à la volonté, celle-ci est donc serve et non maîtresse. Glorieux, Le correctorium…, p. 233. L’auteur du Correctoire « Quare » répond que le commandement de la raison suppose la motion de la volonté. Glorieux, p. 234. La question sera reprise par Henri de Gand, Quodl. ix, q. vi (1286). À la conception intellectualiste de l’imperium se rattache naturellement la définition thomiste de la loi, r, -II", q. xc, a. 1 ; cf. O. Lottin, Ladé finition classique de la loi, dans Rev. néo-scolastique, t. xxvi, 1925, p. 129-145. Sur les problèmes de la syndérèse et de la conscience, voir R. Holïinann, Die Gewissenslehre des Walters v. Iirùgge O. F. M. und die Entivicklung der Geivissenslehre in der Hochscholastik, dans Beitrâge, t. xxvi, fasc. 5-6, 1941.

Mais le conflit entre intellectualisme et volontarisme porte surtout sur la détermination de l’acte libre par le dernier jugement pratique. Cf. sur ces problèmes, O. Lottin, La théorie du libre arbitre depuis iiuelmt jusqu’à S. Thomas d’Aquin, Louvain, 1929 (extr. de la Rev. thomiste) ; Liberté humaine et motion divine de S. Thomas d’Aquin à la condamnation dr 1277, dans Rrch. de théol. anc. et méd., t. vii, 1935,