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(187 THOMAS D’AQUIN : I NTELLECTU A L 1 S M K, VOLONTARISME 688

cette lumière ne suffît point à acquérir la science sans l’intervention de la connaissance sensible. — Dans le De spirilualibus creaturis, a. 10, obj. 8-10, saint Thomas se place directement au point de vue de saint Bonaventure, celui du problème de la certitude du jugement et de la stabilité de la science. La science, dit-on, est immuable et les choses sensibles essentiellement changeantes ne peuvent l’engendrer en nous. Le judicium de veritate doit donc procéder d’une lumière plus haute et ne faudra-t-il pas que Dieu lui-même soit l’intellect agent de notre âme ? Videtur quod intellectus agens sit Deus. Telle est, ponctuée de ses autorités essentielles, la thèse de l’augustinisme. En face d’elle, saint Thomas maintient sa propre position : dans l’ordre naturel, point d’autre illumination divine que le don de l’intellect agent, cf. loc. cit., ad l um. Mais l’autorité d’Augustin, mise en avant par ses adversaires, oblige le saint docteur à confronter sa propre thèse avec le système de l’évêque d’Hippone. Saint Augustin, dit-il, a suivi Platon partout où la foi catholique le lui permettait. Ibid., ad 8° m. Corrigeant Platon, il a remplacé les idées subsistantes par les « raisons éternelles » de l’intellect divin. C’est par ces raisons éternelles que nous jugeons de toute vérité, sans d’ailleurs avoir d’elles une vision directe. Les voies d’Aristote sont différentes. Le stable et l’intelligible sont pour lui renfermés dans le sensible, il s’agit seulement de les atteindre par l’abstraction. L’intellect agent remplace ainsi l’irradiation des idées séparées ou des « raisons étemelles » qu’Augustin leur a substituée : Non multum refert dicere, conclut saint Thomas, quod ipsa intelligibilia participantur a Deo vel quod lumen faciens intelligibilia participetur. De spir. creaturis, a. 10, ad 8um. Saint Thomas ne veut pas dire que, du point de vue philosophique, les deux systèmes enseignent à peu près la même chose. Il veut seulement affirmer que, du point de vue de la foi (auquel il s’est placé pour apprécier la philosophie d’Augustin), l’un et l’autre sont acceptables. En un mot l’aristotélisme thomiste est conciliable avec la foi, ce que niaient précisément les tenants du système adverse. Cf. l’interprétation de M. Gilson, Pourquoi saint Thomas a critiqué…, p. 118119 et celle, nettement concordiste, du P. Boyer, Essais sur la doctrine de S. Augustin, 1931, p. 158165. Voir la vaste bibliographie du sujet (Thomisme et Augustinisme), dans Ueberweg-Geyer, Grundriss…, p. 747, et Bull, thomiste, t. iii, p. 187-192 ; t. iv, p. 200201. — Quant à la certitude de la science, saint Thomas avait déjà expliqué qu’elle provient en nous, non d’une illumination divine, mais des premiers principes. I », q. lxxxv, a. 6. Or, la lumière des premiers principes n’est point un don immédiat de la lumière incréée. C’est l’intellect agent qui nous les fait atteindre, par voie d’abstraction a singularibus. De an., a. 5.

Il est exact que le Correctoire de Guillaume de la Mare ne contient aucune allusion à la doctrine de l’illumination ; cf. De Wulf, L’augustinisme avicennisant, dans Rev. néo-scolast., t. xxxiii, 1931, p. 29. Mais on a vu toute l’importance que lui donne Jean Pecham, En 1289, Godefroid de Fontaines, dans son Quodl. vi. a. 15 (De Wulf-Hoiïmans, p. 253), s’attache à réfuter Henri de Gand et son Quodl. ix, q. xv (Pâques 1286). Signalons les réfutations de Bernard de Gannat, ms. Ottob. lat. 4 7l, p 96 v° a-97 r° a, et de Robert de Colletorto, ms. Vat. lat. 987, f 88r° 6-89 r°a. Signalons encore dans les Quæstiones de cognitione animæ conjunctæ de Bernard de Trilia (après 1284), la question : Ulrum anima conjuncta… possit per se aliquam verilatem inlclligere sine superaddita illustratione ? Cf. Grabinann, Bernard von Trilia u. seine Quæst. de cognitione, dans Div. Thomas, Fribourg, 1935, p. 392.

6. Intellectualisme et volontarisme.

a) Le primat de la volonté sur l’intelligence est affirmé par saint

Bonaventure à propos de la permanence de la charité dans la patrie. In /// ura Sent., dist. XXXI, a. 3, q. i, Quaracchi, t. iii, p. 689. La supériorité de la charité sur la foi et l’espérance est établie pênes dignitatem potentiarum. Pour Albert le Grand, cf. Sum. de creaturis, !, tract, iv, q. xxxviii, Borgnet, t. xxxiv, p. 550 a, autres textes dans H. Doms, Eivige Verklârung und ewige Verwerfung nach dem hl. Albertus M., dans Div. Thomas, Fribourg, 1932, p. 145 (277). Les considérations générales sur l’amour qu’il introduit dans son traité de la charité permettent à saint Thomas d’aborder, d’un point de vue strictement philosophique, le problème du primat de l’intelligence. In III*"* Sent., dist. XXVII, q. i, a. 4. Déjà se trouve formulée la distinction bien connue : s’il s’agit des choses inférieures à nous, mieux vaut les connaître que les aimer, puisqu’elles se trouvent dans l’esprit selon un état plus noble, esse intelligibile, qu’elle ne le sont en elles-mêmes. S’agit-il au contraire de choses supérieures à nous, mieux vaut les aimer que les connaître, puisque la réalité est meilleure que la ressemblance ; or, l’amour nous porte vers ces réalités supérieures telles qu’elles sont en elles-mêmes, tandis que la connaissance n’atteint que leur similitude. Le De veritate, q. xxii, a. 11, précise que la volonté et l’intelligence peuvent être considérées d’une façon absolue ou en relation à tel ou tel objet. Du premier point de vue, l’intelligence est supérieure à la volonté parce qu’elle trouve sa perfection en elle-même par la seule présence de l’espèce intelligible, tandis que la volonté doit en quelque sorte sortir d’elle-même pour recevoir sa perfection du bien tel qu’il est en soi. Or, il est préférable d’avoir en soi-même sa perfection que d’être contraint de la chercher chez autrui. Les choses changent d’aspect si, au lieu de considérer nos deux puissances absolument, on les réfère à tel ou tel objet. Saint Thomas reprend alors sa distinction du Commentaire des Sentences : primauté de la connaissance des choses inférieures à nous, priorité de l’amour en face des choses divines, qui dépassent infiniment la participation limitée que notre intellect en conçoit. Le cas de la vision béatifique est exclu, puisqu’elle n’est point une connaissance par similitude. In IV um Sent., dist. XLIX, q. ii, a. 1.

Dans la I a, q. lxxxiii, a. 3, apparaît la démonstration définitive. L’intellect est supérieur à la volonté parce que son objet formel et premier est plus simple et plus abstrait que celui de la volonté. Le bien, objet de celle-ci, trouve en effet sa mesure dans l’intelligence : Objectum intellectus est ipsa ratio boni appetibilis. Saint Thomas dira en termes plus clair dans le De virtutibus, q. ii, a. 3 ad 12 uni : Bonum intellectum est objectum voluntatis. Ce n’est pas n’importe quel bien qui attire la volonté, mais le bien de nature intellectuelle et, qui plus est, connu. La volonté et l’intelligence sont donc dans le rapport métaphysique de la chose mesurée et de sa mesure. Il peut se faire cependant que, per accidens, en relation à tel ou tel objet, l’amour dépasse la connaissance comme il peut se faire que l’audition de tel son soit supérieure à la vision de telle couleur. C’est ainsi que l’amour de Dieu est préférable à la connaissance imparfaite que nous en avons. Voir encore I a, q. cviii, a. 6, ad 3° C1 ; De virtutibus, q. ii, a. 3, ad 13um.

Sans traiter la question ex professo, Gauthier de Bruges défendait avant 1265 la thèse du primat de la volonté contre les assertions du De veritate ; cf. E. Longpré, Gauthier de Bruges et l’augustinisme franciscain, dans Miscellanea Ehrle, t. i, p. 200. Même position chez Matthieu d’Aquasparta, dans ses questions decognitione, ers 1275 ; cf. O. Loitin, Liberté humaine et motion divine, dans Rech. de théol. anc. et méd., t. vii, 1935, p. 166. À la Noël 1276, Henri de Gand traite