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685 THOMAS D’AQUIN : L’ILLUMINATION INTELLECTUELLE

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vergne, bien qu’il ait critiqué la cosmologie avicennienne, conserve la psychologie du philosophe arabe. Mais, pour la rendre assimilable, il transfère à Dieu les fonctions illuminatrices de l’intelligence agente. Gilson, Pourquoi saint Thomas…, p. 52. L’âme humaine, absolument simple, ne peut posséder en elle deux intellects. Il revient donc à Dieu, livre vivant et miroir des intelligibles, d’imprimer dans notre esprit, les « signes », c’est-à-dire les formes intelligibles des choses. Cependant Guillaume d’Auvergne ne semble point avoir dit en propres termes que Dieu soit l’intellect agent de notre âme. Gilson, op. cit., p. 80.

A côté de cette forme extrême de la doctrine de l’illumination, M. Gilson en discerne une autre, qui, tout en maintenant la nécessité de l’illumination divine dans la connaissance des intelligibles purs, n’en attribue pas moins à l’âme humaine une lumière intérieure apte à connaître le monde matériel et les réalités spirituelles qui sont en nous. On fait, en un mot, tomber l’illumination augustino-avicennienne sur un intellect plus ou moins analogue à celui que nous attribue Aristote. Gilson, Op. cit., p. 90. On accorde cependant qu’en un certain sens l’expression d’intellect agent peut s’appliquer à Dieu : respectu horum intelligibilium quæ excedunt intellectum humanum. .. diciiur Deus inleltectus agens. Jean de la Rochelle, cité par Gilson, ibid., p. 88. Tel est l’augustinisme « aristotélisant », dont M. Gilson distingue l’augustinisme « avicennisant », celui de Pecham, de Roger Marston et de Vital du Four, qui admet bien en nous un intellect agent créé. Mais c’est à Dieu, lumière des esprits, qu’il convient d’abord d’attribuer la chose et le mot ; cf. Gilson, ibid., p. 102 ; et Roger Marston, un cas d’augusiinisme avicennisant, dans Archives d’histoire doct. et litt. du M. A., t. viii, 1933, p. 37-42.

M. Gilson a souligné l’opposition qui existe entre le point de départ de la noétique de saint Thomas et celui de la doctrine de l’illumination. Tandis que saint Thomas part de l’abstraction des concepts pour remonter au jugement et à une doctrine de la certitude, attitude qui sera d’ailleurs également celle de Duns Scot, saint Bonaventure et ses disciples partent d’une théorie du jugement et de la certitude, pour essayer de rejoindre la thèse de l’abstraction. Gilson, De quelques difficultés…, p. 326. À leur sens, l’intelligence ne saurait tirer du sensible aucune connaissance certaine. Une telle connaissance doit être en cffet immuable et infaillible, double qualité que ne peut lui assurer le spectacle des choses. Gilson, La philosophie de saint Bonaventure, p. 368-372. La connaissance certaine n’est donc possible que par une intervention des raisons éternelles, intervention qui prend dans la philosophie de Bonaventure le nom de reductio. Gilson, op. cit., p. 379. Il s’agissait en somme de trouver une solution moyenne entre ce que nous nommons ontologisme (aperception directe des idées divines) et le naturalisme aristotélicien, selon lequel l’homme serait capable d’achever par lui-même sa science sans un secours spécial de Dieu. Il y a, selon saint Bonaventure, trois manières d’entendre que toute connaissance certaine s’opère dans la lumière des raisons éternelles. Ou bien la clarté évidente de la lumière divine est la raison entière et unique du connaître, ou bien les raisons éternelles se bornent à une certaine « influence » qui reste en deçà de l’illumination proprement dite, ou bien encore les raisons éternelles exercent sur notre jugement une action régulatrice et motrice. La première explication ne convient qu’à la vision béatiâqne. La seconde est insuffisante, car les raisons éternelle ! m « raient plus la règle objective de notre esprit. Beste donc la troisième explication : <l certitudiiûilem cognitionem requiritur necessario ratio wternn ut régu lons et ratio motiva non quidem ut sola… sed cum ratione creata et ut ex parte a nobis conluita. De scienlia Christi, q. iv, Quaracchi, t. v, p. 23. Gérard d’Abbeville enseignera lui aussi que la certitude du jugement n’est possible que par la lumière incréée in qua est prsesenlia omnium ralionum intelligibilium sicut ars viventium ralionum a qua mentis ymago exprimitur et quæ ei sola secundum substantiam illabitur. Quodl.xii, q.xii, ms. Vat. lat. 1015, ꝟ. 8 v°a. Avec Jean Pecham, la théorie de l’illumination atteint son maximum de précision. La connaissance sensible, comme toute opération, procède de Dieu selon le mode de la causalité efficiente : Secundum rationem potentiæ efficientis. Mais dans le cas de la connaissance intellectuelle il y a quelque chose de plus. Dieu agit en nous secundum rationem lucis refulgentis. Cette illumination objective est distinguée en termes explicites du don de l’intellect agent, dans la question quodlibétique éditée par Doucet, Notulse bibliographicm de quibusdam operibus Io. Pecham, dans Anlonianum, t. viii, 1933, p. 458. Il s’agit donc bien d’une intervention illuminatrice de Dieu qui porte sur l’objet à connaître, non sur une simple mise en branle du sujet, ce qui nous ramènerait à l’ordre de la causalité, efficiente. Comment dès lors distinguer cette illumination divine des actes surnaturels de la foi et de la prophétie ? Parce que ces derniers, répond Pecham, renferment un troisième mode de la causalité divine : Secundum rationem bonilatis declaranlis. Cf. Qusestiones de anima, éd. Spettmann, dans Beitrâge, t. xix, fasc. 5-6, p. 67. — Sur la position d’Albert le Grand, cf. B. Geyer, De aristotelismo B. Alberti M., dans Atti délia settimana Alberlina, Rome, 1931, p. 75-79 ; J. Bonne, Die Erkenntnisslehre Alberts des G. mit besond. Berùcksichtigung des arabischen Neuplalonism, Bonn, 1935 (diss.).

Dans In 7/ » m Sent., dist. XVII, q. ii, a. 1, saint Thomas dirige à la fois ses critiques contre les positions d’Avicenne et d’Averroès. Sur la concession purement verbale faite ici à Avicenne, cf. Gilson, Pourquoi saint Thomas a critiqué…, p. 113 ; C. Boyer, L’idée de vérité dans la philosophie de S. Augustin, 1921, p. 158. — Dans le De ver., q. x, a. 6, apparaissent toutes les positions essentielles de la noétique thomiste. Notre connaissance intellectuelle vient des sens, mais l’intellection du sensible nous conduit comme par la main à la connaissance des réalités supérieures et divines. Loc. cit., ad 2um. Comment faire place dès lors aux « raisons éternelles » dont saint Augustin fait le principe de notre jugement du monde sensible ? Ibid., obj. 6. Ce rôle de similitude de la vérité éternelle revient en nous aux principes premiers par lesquels nous jugeons de toute autre vérité. Ibid., ad 6um. Sur la manière dont nous connaissons les premiers principes, saint Thomas écarte tout innéisme. De ver., q. xi, a. 1, cf. De an., a. 5. La connaissance de l’âme par elle-même est expliquée dans le même esprit. De ver., q. x, a. 8. Saint Thomas distingue une saisie en quelque sorte existentielle de notre âme (saisie qui répond a la question an est) et une connaissance quidditative et universelle, qui n’est évidemment possible que par l’abstraction. Mais la connaissance en acte de notre âme individuelle ne s’opère elle non plus que dans nos actes de connaissance intellectuelle. Or, ceuxci supposent l’opération abstractive (loc. cit., ad l" ra).

Dans la I », le problème de la connaissance dans les raisons étemelles fait l’objet d’un article spécial, q. lxxxiv, a. 5. La réponse est pleinement affirmative : Anima humana omnia cognoscit in rationibus « ternis. Seulement ces raisons éternelles, pour saint Thomas. ne sont pas un objet connu ou une illumination qui se tiendrait du côté de l’objet. L’irradiation de la lumière divine, r’csl la lumière même de l’intellect agent qui en est une participation. Or. il est clair que