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THOMAS D’AQUIN : L’UNITÉ DE FORME


forme substantielle partielle. On peut résumer la position de ces derniers en ces termes, à la suite de Robert Kilwardby : (’nus homo unam habet formam quæ non est una simplex, sed ex multis composita, ordinem ad invicem habentibus naturalem… quarum ultima completiva et perfectiva totius aggregati est intellectus. Lettre à Pierre de Conflans ; cf. A. Birkenmayer, Vermischte U ntersuchungen zur Geschichte der mittelalt. Philosophie, dans Beitrâge, t. xx, fasc. 5, p. 63. Quant à la « base métaphysique » de la thèse pluraliste, les historiens modernes sont unanimes à la chercher dans le réalisme d’Avicébron ; cf. M. De Wulf, Le traité « De unitate formée » de Gilles de Lessines, Louvain, 1901, dans les Philosophes belges, t. i, p. 32. Selon Avicébron en effet, « à chaque perfection essentielle, à chaque détermination irréductible de l’être substantiel, doit correspondre une forme substantielle distincte ». Or, le pluralisme des théologiens n’affirme pas autre chose.

D’autre part, l’opposition des thèses en présence doit être rattachée aux divergences de vue sur le concept de matière. Saint Bonaventure, Pecham, Richard de Mediavilla, accordent à la matière une certaine actualité. Du même coup l’unité foncière du composé substantiel se trouvait relâchée ; cf. Hocedez, Richard de Middleton, Louvain, 1925, p. 204.

Sur l’histoire du problème chez les théologiens, voir G. Théry, L’augustinisme médiéval et le problème de l’unité de forme substantielle, dans Acta hebd. augustinianse-thom. , Rome, 1930, p. 140-200 ; O. Lottin, La pluralité des formes avant saint Thomas d’Aquin, dans Rev. néo-scol., t. xxxiv, 1932, p. 449-467 ; R. Martin, La question de l’unité des formes dans le premier collège dominicain d’Oxford, ibid., t. xxii, 1920, p. 107112. L’autorité d’Augustin est d’abord mise en avant par les partisans de l’unité de forme. On invoque à cet égard le De ecclesiasticis dogmatibus, le De spirilu et anima, acceptés l’un et l’autre comme authentiques. Lottin, p. 459. Voir les citations de saint Thomas : Cont. Gent.. t. II, c. lviii ; De pot., q. iii, a. 9 ; I a, q. lxxvi, a. 3, sed cont. ; De spir. créât., a. 3, sed cont. 1 ; De anima, a. 11, sed cont. Surtout, la thèse de l’unité est aux yeux de saint Thomas un simple corollaire de l’affirmation : anima et in toto Ma est et in qualibet parte ejus tota, assertion du De Trinitate, reproduite tout au long dans Pierre Lombard, / Sent., dist. VIII, Quaracchi, n. 85. C’est seulement, avec Pecham et Guillaume de la Mare que saint Augustin devient décidément le monopole des pluralistes ; cf. Glorieux, Le correctorium…, p. 131 ; Guillaume cite Retract., i, 58. En même temps la thèse de l’unité est présentée comme une opinion spécifiquement averroïste. « Simple ruse de guerre », comme l’écrit M. De Wulf, op. cit., p. 46, ruse dont Pecham et Guillaume de la Mare eurent sans doute pleine conscience. Pour ce qui concerne saint Bonaventure, s’il n’a point traité la question dans son Commentaire des Sentences (cf. Opéra omnia, t. ii, p. 322, scholion), il prendra en revanche position avec toute la vigueur désirable dans ses Coll. in Hexam., où la thèse thomiste est qualifiée d’insanité (cf. Et. Gilson, La philosophie de S. Bonaventure, p. 32). Quant à saint Albert le Grand, M. De Wulf estimait, en 1901, que sa thèse de la permanence des éléments dans le mixte empêche absolument de le considérer comme un partisan de l’unité. Op. cit., p. 45. Cf. sur ce point G. Meersemann, Die Einheit der menschlichen Seele nach Albertus Magnus, dans Div. Thomas (Fribourg), 1932, p. 213-223. Voir dans De Wulf, op. cit., p. 52-55, un aperçu substantiel des arguments de la thèse thomiste : a) argument de l’unité transcendentale : nihil simpliciter unum nisi per formam unam ; b) la substance ne peut recevoir par l’adjonction de formes nouvelles une perfection qu’elle possède déjà comme telle ; c) les considérations d’or dre physique : génération et corruption, par exemple : De spir. créât., a. 3 ; d) celles enfin d’ordre psychologique : l’exercice intense d’une activité de l’âme met obstacle à ses autres activités.

Bien que sa pensée paraisse fixée dès le début de sa carrière, In 7um Sent., dist. VIII, q. v, a. 3 : anima comparatur ad corpus ut forma a qua totum corpus habet esse, peut-être cependant saint Thomas « ne perçut-il pas du premier coup toutes les conséquences de la théorie de l’unité de forme substantielle ». Roland-Gosselin, Le « De ente », p. 112. L’évolution de sa pensée est en effet manifeste dans deux questions qui entretiennent avec cette thèse d’étroites relations : celle de la permanence des éléments dans le mixte et celle des dimensions interminées. Voir sur ces théories, Roland-Gosselin, op. cit., p. 111-112, 109-1Il et 113115. De plus, dans In J um Sent., dist. VIII, q. v, a. 2, saint Thomas, on l’a vu (col. 673) fait place à une forme de corporéité, qui se distingue difficilement de la thèse pluraliste. Peut-être cependant n’a-t-il voulu parler que d’une « priorité logique » de la corporéité à l’intérieur de l’unique forme substantielle ; cf. Roland-Gosselin, op. cit., p. 104, n. 4. Quoi qu’il en soit, dès In II<" » Sent., dist. XII, q. i, a. 4 et dist. XVIII, q. i, a. 2, il n’en est plus question. Dans ces derniers textes, la réfutation de la forma corporalis communis d’Avicébron, est empruntée à Avicenne. Selon celui-ci, c’est par la même forme que le feu est feu et qu’il est corps. Il est en outre impossible qu’un seul et même être soit déterminé par deux actes substantiels. Sur Avicenne et la pluralité des formes, cf. Roland-Gosselin, op. cit., p. 63, n. 2. Dans In Il am Sent., dist. XVIII, q. i, a. 2, saint Thomas utilise de plus la théorie avicennienne du tout générique, exposée déjà par lui dans le De ente (sur cette théorie, voir Roland-Gosselin, op. cit., p. 12-17). Le genre ne signifie point dans l’être une forme partielle (il serait impossible de l’attribuer au tout comme prédicat). Il désigne au contraire le tout, mais d’une manière indistincte et potentielle, tandis que la différence atteindra ce qu’il y a en lui de plus formel et de déterminé. Enfin dans ses questions In Boelhium de Trin., q. iv, a. 3, ad 6 un’etln IV™ Sent., dist. XLIV.q. i, a. l, qu. 1, ad 4um, saint Thomas écarte la théorie avicennienne de la permanence des éléments dans le mixte, théorie à laquelle il avait fait bon accueil dans InII am Sent., dist. XII, q. i, a. 4 : si sustinere volumus opinionem Avicennse. Or, cette théorie était inconciliable avec la thèse de l’unité de forme. Si les éléments conservent en effet dans le mixte leur forme substantielle (primum esse), tout en perdant leurs qualités actives (secundum esse), le corps humain, qui est un mixte, renfermerait déjà par lui-même une pluralité de formes et l’âme raisonnable ne saurait dans ces conditions être la seule forme du composé (sur la théorie thomiste du mixte, cf. I a, q. lxxvi, a. 4, ad 4um). Le De spir. créât., a. 3, offre l’exposé le plus complet de la thèse thomiste, rattachée à la doctrine aristotélicienne de la convertibilité de l’unité et de l’être. Si être homme et avoir deux pieds correspondait dans l’homme à deux formes distinctes, celui-ci ne serait qu’un agrégat de deux êtres ; cf. Met., H, 6, 1045 a, 14-20. La même autorité d’Aristote sera opposé à Gérard d’Abbeville dans son Quodl. xv (Pâques 1270) ; cf. ms. Vat. lat. 1015, ꝟ. 18 v° b : Ostendebatur quod sine medio, quia ex accidente et subjecto non fit unum per se sicut dicitur VIII Met., si homo effet animal per se et effet bipes per se, non effet unum per se. La thèse de l’unité est donc bien authentiquement aristotélicienne, tout au moins dans son fondement métaphysique et non pas averroïste, comme le soutient encore Duhem, Le système du monde, t. iv, p. 540 ; t. v, p. 518.

Mais le débat porte moins sur la discussion pure-