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THOMAS D’AQUIN : L’UNITÉ DE FORME


admettre dans les anges une composition de matière et de forme. Cf. l’argument un peu schématique de I a, q. l, a. 4, développé dans le De spir. créât., a. 8. L’individuation d’une matière spirituelle, ne pouvant être conditionnée par la quantité, devrait provenir d’une diversité de « puissances ». Celle-ci introduirait dans la soi-disant matière spirituelle une diversité aussi grande que celle qui sépare la matière des corps célestes et celle du monde de l’être corruptible. Guillaume de la Mare s’est effoicé d’expliquer l’individuation de la matière spirituelle par une pure « multiplicité numérique », sicut unus punctus fit duo puncta (Glorieux, Le correctorium…, p. 61) ; cf. la réfutation de « Circa », éd. Millier, p. 161. En affirmant l’impossibilité d’une multiplicité purement numérique à l’intérieur de l’espèce angélique, saint Thomas avait-il voulu parler d’une impossibilité absolue ? Serait-il possible à Dieu de créer un nouvel ange d’espèce exactement semblable à l’un des anges actuellement existants ? Les expressions de De spir. créât., a. 8 : impossibile est etiam (ingère…, ne favorisent point cette atténuation de la thèse thomiste. Quoi qu’il en soit de la pensée du saint docteur, Etienne Tempier condamnait, le 7 mars 1277, la proposition : quia intelligentise non habent materiam, Deus non potest facere plures ejusdem speciei. Prop. 81, Denifle-Chatelain, t. i, p. 548. Il semble certain que Tempier a visé ici la doctrine thomiste, comme n’a pas manqué de le relever Guillaume de la Mare qui la juge « contraire à la foi ». Glorieux, Le correctorium…, p. 60. Les Correctoires « Quare » (p. 62) et « Circa » (p. 159) maintiennent la thèse d’une impossibilité, etiam de potentia absoluta Dei. Mais cette impossibilité n’introduit aucune limitation dans la toute-puissance divine, elle provient uniquement de l’objet, ex parle facti, objet qui n’admet pas une telle multiplication. Dieu ne peut non plus produire les contradictoires, non parce que sa puissance est limitée, mais à cause de l’impuissance d’un tel objet à être produit par lui. Même réponse dans Robert de Colletorto, ms. Vat. lat. 987, f « 13 v° b. Bernard de Gannat introduit une autre manière de mettre frère Thomas en règle avec la proposition condamnée. En réalité, selon Bernard, saint Thomas n’aurait pas voulu exclure la possibilité absolue d’une multiplication numérique : Forte secundum ordinem nobis ignotum Deus posset hoc facere. Ms. Oltob. lat. iti, f° lll v° a. Jean de Naples dans sa question : t’trum licite doceri Parisius… ? groupe toutes ces interprétations. Jellouschek, p. 90. On sait que Capréolus (In II am Sent., dist. III, q. i, éd. Paban-Pégues, t. iii, p. 251) reprendra l’exégèse de Bernard de Gannat et de Jean de Naples. Cette manière de voir s’appuie surtout sur le texte difficile du De unitale intellectus : valde rudiler argumentantur…, éd. W. Keeller, Rome, 1936, p. 67-68. Sur ce texte, cf. C. Boyer, « Valde rudiler argumentantur ». Num S. Thomas concedit aclu per miraculum multiplicari posse sine potentia recepiiuu ? dans Acln l’ont. Ace. Rom. S. Thomæ Aquin., 1. 1, 1936, p. 129-138.

Même difficulté à propos de l’âme humaine. Une forme Minple ne comporte aucun principe intrinsèque de multiplicité. Si l’âme n’est point composée de matière et de forme, son individuation et sa multiplicité à l’intérieur de l’espèce dépendront uniquement du corps. Or. la suspension de la cause doit opérer celle de l’effet. Après la mort, l’âme séparée du corps ne peut conserver sou individuation, condition même de sa multiplicité. On aboutit ainsi nécessairement à la averroïste de l’unité de l’âme humaine. Voir la formule de l’objection, In T’m Sent., dist. VIII, q, v, a. 2, obj. 6 ; I », q. i.xwi. a. 2, olij. 2 ; De unitale Intel lectus, c. 5, éd. Keeller, p. 67. L’objection est une heuaubaine pour duillaume de la Mare ; cf. Glorieux,

Le correctorium, p. 45, 125. Mais l’individuation de l’âme dépend du corps dans son principe, non dans son terme. L’individuation est acquise dans le corps, elle ne vient pas à proprement du corps (ex). Dans le De ente, c. v, saint Thomas déclarait emprunter cette solution à Avicenne. Cependant on ne la trouve point à la lettre chez le philosophe arabe ; cf. Roland-Gosselin, Le « De ente », p. 66. Plus tard, dans ses questions De anima, a. 3, saint Thomas explique que l’âme humaine, n’étant pas en elle-même une nature complète, doit être unie à un corps. C’est « l’ordre » à tel ou tel corps, quod sit unibilis huic vel illi, qui opère la multiplicité numérique des âmes à l’intérieur de l’espèce. Mais, à la différence des formes matérielles, l’âme humaine ne dépend point du corps dans son être, qui peut subsister séparé de la matière. Elle n’en dépendra pas davantage dans son unité ou sa multiplicité numérique. De an., a. 3 ; cf. De spir. créât., a. 9, ad 3um. Les diverses « unibilités » qu’elles renferment continuent en effet à distinguer les âmes séparées : Sunt unibiles corporibus diversis. Comp. theol., c. lxxxv. En résumé, l’âme humaine est par nature ordonnée au corps humain et cette âme à ce corps. Tandis que toute relation prédicamentale disparaît avec son terme, la relation transcendentale demeure.

c. Le lieu angélique. — Selon saint Thomas, l’ange n’est pas contenu dans un lieu, il le contient au contraire et le domine par son contact opératif, qui seul le « définit » comme présent. Cf. I a, q. lii, a. 1. Guillaume de la Mare s’efforce de ramener cette position aux thèses condamnées dès 1241, prop. 4, Denifle-Chatelain, t. i, p. 170, et de nouveau en 1277, prop. 204, p. 554. N’admettre qu’une présence par contact opératif, c’est nier toute localisation pour les esprits des hiérarchies supérieures, qui n’exercent aucune opération et s’appliquent à la pure contemplation. Voir Glorieux, Le correctorium…, p. 394, et comparer les réponses de « Quare », ibid., p. 75-77, de « Circa », éd. Millier, p. 83, et de Bernard de Gannat contre Henri de Gand, Quodl. ii, 9, ms. Oltob. lat. 4 ; /, f°20r°a. Saint Thomas n’a pas voulu nier la présence substantielle de l’ange dans un lieu, négation directement visée par les propositions condamnées. Ce qu’il nie c’est que l’ange soit présent dans le lieu formellement par sa substance même, sans le contact de sa virtus opérative.

4. La pluralité des formes.

La thèse de la pluralité des formes ne peut être confondue avec la doctrine platonicienne des trois âmes. Celle-ci brise en effet l’unité du composé humain, unité que les pluralistes entendent sauvegarder. Pour saint Bonaventure, comme pour saint Thomas, l’âme est « forme » du corps. In I um Sent., dist. VIII, p. ii, q. m. Même affirmation chez Jean Pecham ; cf. H. Spettmann, Die Psychologie des Johan. Pecham, dans Reitràge, t. xx, fasc. 6, p. 22. Mais cette information par l’âme ne supprime point la présence d’autres formes substantielles inférieures, non per accumulalionem, sed per quamdam complexioncm, comme le dira Matthieu d’Aquasparta, cité par V. Doucet, Malt, d’Aquasparta Quæstiones de gratia, Quaracchi, 1935, p. 263. Pour saint Thomas la forme substantielle est un acte simple et indivisible : non admitlit magis et minus. Dans cet être complet et définitif qu’elle confère au sujet, les formes inférieures sont distinctes virtuellement, non en acte. La thèse pluraliste au contraire admet au dessous de la forme complétive une série de formes substantielles, incomplètes mais distinctes. Le triangle, dira saint Bonaventure, est contenu dans le tétragonc. Collationcs in //ex., i, 1, Delorme, p. 53 ; cf. Aristote, De an., B, 3, 1Il b, 29. Tout ce qui ad ient a la forme substantielle est accident, selon la thèse thomiste. Non pas, répondent les pluralistes, s’il s’agit d’une