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675 THOMAS D’AQUIN : SIMPLICITÉ DES ANGES ET DE L’AME 676

repose sur une confusion de terminologie. Par le quo est et le quod est, on n’entendait plus le couple quidditéesse, mais le groupe : forme (quo est) et suppôt (quod est), à la manière dont la scolastique moderne utilise encore ces termes. Or, dans I a, q. iii, a. 3, saint Thomas avait paru identifier suppôt et nature dans tous les êtres séparés de la matière. Il semblait donc patronner la proposition : quod substantiæ separatse sunt sua essentia et quia in eis idem est quo est et quod est. Proposition dont Jean de Naples offre d’ailleurs une exégèse singulièrement forcée, en entendant essentia à l’ablatif. La proposition viserait donc les « artistes » coupables d’affirmer que les substances séparées n’ont point besoin de l’intervention de la cause première pour exister : sunt per suam essentiam ita quod non sint per causam primam. Jellouschek, loc, cit. Quoi qu’il en soit des hésitations de saint Thomas sur la distinction du suppôt et de la nature chez l’ange, toujours le saint Docteur a affirmé en celui-ci la distinction de quod est et de quo est dans le sens d’une distinction de quiddité et d’esse

Dans le De ente et essentia, éd. Roland-Gosselin, p. 29-32, et dans In II™ Sent., dist. III, q. i, a. 1, nous retrouvons les mêmes arguments : immunité de matière des natures intellectuelles, répugnance intrinsèque d’une matière incorporelle. Car l’unité première du sujet perfectible, posée dans l’affirmation de la matière universelle, infère celle d’une première perfection reçue dans l’universalité de la matière, perfection qui n’est autre que la corporéité : oportet quod tota materia sit vestita forma corporeitatis. Dans le Quodl. ix, q. iv, a. 2 (avant 1259), la discussion prend une allure plus théologique par la citation de l’autorité du pseudo-Augustin, De mirabilibus (obj. 1), autorité dont saint Thomas ne nie point l’authenticité et qu’il s’efforce d’interpréter ; cf. De spir. creaturis, a. 1, ad 4um. L’argument tiré de la répugnance intrinsèque d’une matière incorporelle est profondément transformé. Au lieu de partir du principe : uni perfectibili debetur una perfectio et d’établir que la matière universelle exige la quantité comme premier investissement avant toute réception des formes, spirituelles ou matérielles, saint Thomas procédera désormais en partant des formes. Celles-ci, dit-il, ne peuvent être reçues que dans des parties diverses de la matière, diversité qui exige la quantité et par conséquent la corporéité. Ce changement dans le mode d’exposition est lié à l’abandon de la théorie des dimensiones interminatæ, théorie qui supposait dans la matière, « une ébauche tout au moins de déterminations accidentelles, antérieures à la forme substantielle ». Roland-Gosselin, Le « De ente », p. 112. On sait que cette théorie, encore enseignée par saint Thomas dans son Commentaire du De Trinitate de Boèce (1256), est définitivement abandonnée dans le Contra Gentes. Roland-Gosselin, op. cit. p. 106-113. Dans ce dernier ouvrage, saint Thomas reproche à la théorie hylémorphique de renouveler l’erreur d’Empédocle. Cont. Gent., t. II, c. l, 4° ; cf. I a, q. l, a. 2, ad 2um. Dans un intellect composé de matière et de forme, l’objet connu devrait être reçu ad modum recipientis. Il serait donc présent dans l’intellect selon un mode d’être matériel, identique à celui qu’il possède dans la nature : ignem igné cognoscit anima, affirmait Empédocle. Dans le Contra Gentes, saint Thomas insiste aussi sur la composition des natures angéliques, composition de quod est et d’esse (ou quo est). Le saint docteur demeure fidèle à sa terminologie des Sentences ; cf. Cont. Gent., t. II, c. liv ; I », q. l, a. 2, ad 3um. La Somme théologique, I », q. l, a. 2, met en relief l’origine psychologique de la théorie d’Avicébron. Ce philosophe a cru que tout ce qui est distinct par le concept de l’esprit, se trouve également distinct a parte rei ; cf. Fons vitse, ii, 16, éd. Bâumker,

p. 51 : quidquid compositorum intelligentia dividit et resolvit in aliud est compositum ex illo in quod resolvitur.

Avec les questions De spiritualibus creaturis et De anima, contemporaines du retour de saint Thomas à Paris, la discussion prend un tour polémique accusé. Si, note saint Thomas, l’on tient absolument à parler de matière chez les anges, pourquoi ne pas appeler âne une pierre ? De spir. créât., a. 9, ad 9um. Opinio falsa et improbabilis, écrit-il delathèse hylémorphique, dont il montre également la connexion avec la pluralité des formes, a. 1, ad 9um ; ad 24um. Pour établir sa propre position, saint Thomas a recours à une analyse approfondie du concept de matière. Celle-ci est ce qu’il y a de plus imparfait, de plus incomplet dans l’être. Elle ne saurait donc convenir aux substances angéliques, qui dans l’ordre de la création s’approchent au plus haut degré de l’Acte pur. Ibid., a. 1. Dans le De anima, a. 6, le tour polémique est encore plus accusé : opinio frivola, impossibilis. La thèse d’Avicébron compromet l’unité du composé humain. Une âme constituée de matière et de forme serait déjà une nature complète, dont l’union avec le corps serait nécessairement accidentelle. Comment expliquer d’ailleurs l’union d’une telle âme avec un corps composé également de matière et de forme (allusion à la thèse pluraliste de la forma corporeitatis) ! D’où l’obligation de recourir à une « fabuleuse » union mediante luce, c.-à-d. à l’influence de l’empyrée ; cf. C. Bâumker, C. Wilelo, dans Beitrâge…, t. iii, fasc. 2, p. 372, 402 455 ; Alexandre de Halès, Summa, Quaracchi, t. II, i, p. 327. Sur le Quodl. iii, q. viii, a. 20 (Pâques 1270), voir Kleineidam, op. cit., p. 38-40, qui le compare au Quodlibet antérieur de Gérard d’Abbeville. Quodl. xv, 3, Glorieux. Avec l’opusc. De substantiis separatis (éd. de Rome, n. xv ; de Parme, n. xiv ; éd. Mandonnet, n. vu), qui appartient à la période napolitaine, nous revenons à un exposé plus irénique. Saint Thomas reprend et développe tous les arguments exposés au cours de sa carrière (c. v, Mandonnet, Opusc. omnia, 1. 1, p. 85-92). Signalons enfin Comp. theol., c. lxxiv, qui reprend l’argumentation du De spiritualibus creaturis, a. 1.

Quelques conséquences de la thèse précédente. — a. L’action du feu de l’enfer. — Ce qui n’a point en soi de matière ne peut souffrir ou pâtir. Comment dès lors expliquer l’action du feu infernal sur les esprits séparés, s’ils sont des natures simples ? L’objection, déjà soulevée par saint Bonaventure, apparaît chez saint Thomas, De spir. créât., a. 1, obj. 20 ; De anima, a. 6, obj. 7. Il y répond par sa théorie bien connue de l’alligation : substantiæ spirituales non patiuntur ab igné corporeo per modum alterationis… sed per modum alligationis. De spir. créât., a. 1, ad 20um. Le saint docteur revient longuement sur la question, De anima, a. 21 ; cf. Quodl. ii, a. 13 (Noël 1269), Quodl. iii, a. 23 (Pâques 1270). Le 10 décembre de la même année, Etienne Tempier condamne la proposition : quod anima non patitur ab igné corporeo. Prop. 8, Denifle-Chatelain, t. i, p. 487. Cette condamnation (reprise en 1277, prop. 19) sera opposée par Guillaume de la Mare à la thèse thomiste ; cf. Glorieux, Le correctorium…, p. 49, 110-111. Celle-ci, selon Guillaume, réduirait la peine des démons à une simple appréhension intellectuelle ou imaginative, interprétation que saint Thomas dans les nombreux textes qu’il a écrits sur la question avait pris soin d’écarter. Cf. « Quare », Glorieux, p. 345.

b. Impossibilité de l’existence de deux anges de même espèce (1°, q. l, a. 4), car une distinction purement numérique entre deux êtres ne peut provenir que de la matière, Cont. Gent., t. II, c. xciii, 2°. Saint Thomas maintient cette thèse de la distinction spécifique, même dans le cas, dato non concesso, où l’on voudrait