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THOMAS D’AQUIN : L’ÉTERNITÉ DU MONDE


a. 2, ad l" m ; Contra murmurantes, Mandonnet, Opuscula omnia, t. i, p. 26. — Dans son Commentaire des Sentences, Albert le Grand avait préludé avec prudence à la thèse de son disciple. Rien de plus « probable », dit-il, même selon la raison seule, que le monde ait commencé. In // um Sent., dist. I, a. 10, Borgnet, t. xxvii, p. 28 a. Les arguments des théologiens sont traités de via fortis, via fortior. Mais Albert se garde bien de parler de certitude. Même prudence, au cours de la crise de 1270 dans le De quindecim problematibus. Texte dans Mandonnet, Siger de Brabanl, t. ii, p. 3940.

Dès le commentaire des Sentences, saint Thomas affirme au contraire que les arguments des théologiens augustiniens sont des « sophismes ». In II am Sent., dist. I, q. i, a. 5. C’était le mot même de Maimonide contre les Motecallemin : non sophisticabo animam meam ut viam illorum nominem demonslraliones. Ms. Vat. lat. 1124, ꝟ. 54 r° b. Mais saint Thomas n’a pas toujours exposé sous la même forme l’argument de principe qu’il oppose à ces prétendues démonstrations. Dans les Sentences, il s’inspire presque littéralement de Maimonide. On ne saurait, dit-il, décrire la genèse d’un être en partant de sa forme in esse perfeclo. L’enfant nourri dans une île déserte consentirait-il à croire qu’il est demeuré neuf mois dans le sein maternel ? L’exemple est emprunté à Maimonide. C’est encore au philosophe juif qu’est empruntée l’apostrophe : potius in derisionem quam in confirmationem fidei vertuntur (istse rationes). Le commencement absolu des choses dans le temps, incertain aux yeux de la raison, ne peut être affirmé avec certitude que par la foi. Il faut ici une révélation proprement dite et Moïse, selon le mot de saint Grégoire, a prophétisé, lorsqu’il a écrit les premiers versets de la Genèse. Saint Thomas tient beaucoup à étayer sur cette auctoritas grégorienne sa propre thèse ; cf. I », q. xlvi, a. 2, s. c. ; Quodl. iii, a. 31.

— Dans le De potentia, q. iii, a. 14, saint Thomas suit une marche différente. Est-il possible que la créature, distincte de Dieu dans sa substance, ait toujours été ? Veut-on parler d’une simple possibilité logique, on doit concéder cette possibilité absolue : esse ab alio non répugnât ei quod est esse semper. Affirmation fondamentale que saint Bonaventure ne voudra jamais admettre. Coll. de donis, viii, 17, Quaracchi, t. v, p. 498. Si, au lieu d’une simple possibilité logique, on entend parler d’une puissance réelle, il est évident que Dieu possède de toute éternité la puissance de créer. Si l’on entend parler d’une puissance réelle, non active mais passive, la vérité de la création in tempore nous étant connue par la foi, il est impossible que la créature ait été de toute éternité en puissance d’être. — La I » Pars nous offre la démonstration définitive. On ne peut prouver le commencement absolu des choses, parce que ce commencement dépend du libre vouloir de Dieu, vouloir qui ne peut nous être manifesté que par la révélation positive. Cf. Quodl. iii, toc. cit. D’autre part, cette démonstration est tout aussi impossible du côté du créé. Le principe de la démonstration c’est l’essence, quod quid est. Or, l’essence est intemporelle, elle fait comme telle abstraction du hic et nunc. On ne peut donc partir de l’essence pour démontrer l’existence ou la non existence d’une chose à un moment donné du temps. I », q. xi.vi, a. 2. Siger de Brabant dans ses questions sur la Physique, reprendra le même argument, éd. Dclhayc, p. 200. Cependant saint Thomas concède qu’un monde créé dans le temps manifeste plu » clairement qu’un monde abeelernoXe puissance créatrice de Dieu. I », q. xlvi, a. 1, ad 0’" » ; In II’"" Sent., dist. I, q, . ad II"’;

(’.ont. Cent., t. ii, c. xxxviii. Guillaume de la Mare lui-même a senti la force de cette argumentai ion. puisqu’il reconnaît qu’il ne peut être question d’une

démonstration directe (propler quid) du commencement des choses, mais seulement d’une réduction à l’absurde de l’opinion des philosophes. Glorieux, Le correctorium Corruptorii…, p. 32.

Les arguments essentiels des théologiens augustiniens peuvent se réduire aux points suivants :

a. L’impossibilité de l’achèvement d’une série infinie (infinita non est pertransire). Si le monde est éternel, une multitude infinie de jours a précédé celui où nous vivons. Or, une série infinie est inépuisable, nous ne serions donc jamais parvenus au jour présent. Saint Bonaventure, In II um Sent., dist. I, i, a. 1, q. ii, fund. c ; cf. Saint Thomas, In II am Sent., dist. I, q. i, a. 5, sed cent. 3 ; Conl. Cent., t. II, c. xxxviii, 3° ; I a, q.xLvi, a. 2, obj. 6. — Mais il s’agirait là, répond saint Thomas, d’un infini successif et non d’une infinité en acte. Ce qui serait nombre dans cette multitude infinie et successive serait nécessairement fini, ex aliquo deierminato ad hune delerminatum. Il n’en résulrait nullement l’impossibilité d’une multitude infinie qui échapperait à la numération. D’autre part, le temps serait, dans l’hypothèse, infini aparté ante, non a parle post, puisqu’il trouve un terme fixe dans le jour présent. En sens inverse, le futur est fini a parte ante, mais infini a parte post. La solution de saint Thomas repose en définitive sur la distinction entre multitude infinie et nombre infini. In II nm Sent., ad 3um [2e série, Mandonnet, p. 38] ; I a, q. xlvi, a. 2, ad 6um.

b. Très voisine de la précédente est l’objection tirée de l’impossibilité d’une régression à l’infini dans les causes. Cf. Alexandre de Halès, Summa, t. II, i, Quaracchi, n. 67, contra 2. — On connaît la distinction thomiste entre causes essentiellement subordonnées et la subordination accidentelle, qui n’inclut à vrai dire aucune influence causale. La régression à l’infini ne répugne point dans cette dernière catégorie. In II am Sent., ad 7um [2e série, Mandonnet, p. 39| ; Cont. Gent., t. II, c. xxxviii, 5° ; I a, q. xlvi, a. 2, ad 7um.

c. L’objection tirée de l’infinité actuelle des âmes a toujours été jugée plus embarassante par le saint Docteur. Cf. Bonaventure, loc. cit. jund. c ; Saint Thomas, In // um Sent., sed cont. 6 ; Cont. Gent., ibid., 6° ; I », obj. 6. Si l’espèce humaine est éternelle, il doit exister à l’heure présente une multitude infinie d’esprits séparés. Cette fois, il s’agit bien d’un infini simultanément donné, et non comme tout à l’heure dans le cas du temps, d’une infinité successive. — Dans les Sentences, saint Thomas se borne à remarquer qu’il conviendrait d’abord de discuter la thèse averroïste de l’unité de l’âme, solution toute trouvée du problème [ad 6 unl, Mandonnet, p. 40]. Dans le Cont. Gent., loc. cit., on lira un exposé plus complet des opinions des philosophes. Enfin dans I », q. xlvi, a. 2, ad.S" 1 ". saint Thomas remarque qu’une telle objection est de portée limitée, specialis est. Si l’espèce humaine ne pouvait être éternelle, rien ne s’oppose à l’existence ab œlerno du monde sensible et de la créature angélique. Deus mundum facere potuil sine hominibus, dira saint Thomas dans le Contra murmurantes, éd. Mandonnet, p. 27. D’ailleurs, ajoute-t-il dans ce dernier opuscule, udhuc non est demonstratum quod Dais non possit lacère ut sinl infinita actu. Siger de Brabant dans ses question ! sur la Physique (éd. Del haye, p. 201) reprend la position d’Al -Gazai i cl admet la possibilité absolue d’une multitude Infinie d’âmes en acte.

d. Le concept de création. — Ce qui est créé ex nihilo ne peut être tiré du néant comme d’une matière. La formule ex nihilo implique donc une succession teni porclle : non ex nihilo matenaUtcr, trgo origlnalUer. Dans l’être créé, le non-être précède l’être : inuiuliis hubet eue post non esse. s. Bonaventure, in Il" m Sent., loc. cit., fund. L, Alexandre de Halès, Summa, I. I,