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THOMAS D’AQUIN : L’ÉTERNITÉ DU MONDE » it18

pot., obj. 10 ; I a, obj. 1 et surtout Comp. iheol., c. xcix.

— À la métaphysique d’Avicennc (tract, ix, c. 1), est emprunte l’argument : le Créateur précède le monde d’une simple priorité de nature, ou d’une priorité dans la durée. Dans le premier cas, le monde est éternel. Dans le second, la postériorité du monde ne peut s’affirmer que dans un rapport temporel. Le temps existait donc avant le monde et par conséquent le mouvement dont le temps est la mesure : hoc verbum « fuit » significat id quod præteriit… prius igitur jam fuit aliqua factura quæ præteriit anlequam crearel (Deus) aliquam creaturam. Avicenne, Met., tract, ix, 1, ms. Vat. lat. 4428, ꝟ. 67 v° a ; cf. In 7/ um Sent., obj. 7 ; De pot., q. iii, a. 17, obj. 20 ; I », obj. 8

Plus délicates sont les objections empruntées à Averroès : a) Si Dieu a créé le monde, non par nécessité de nature, mais par un acte de sa volonté libre, pourquoi, demande Averroès, a-t-il tardé à produire son effet ? À moins d’un obstacle ou d’une circonstance particulière qui l’oblige à différer (comme on attend le froid pour faire du feu), toute volonté passe de suite à l’exécution de son vouloir : non postponit facere quod intendit nisi propter existentiam alicujus intentionis in re intenta quæ non erat in tempore voluntatis. Phys., vin, texte co. 15, Venise, 1550, t. iv, ꝟ. 150 r° a. Si Dieu a attendu, il devait donc exister dans la créature quelque obstacle qui l’obligeait à attendre. Pour suppléer à ce défaut, Dieu a dû intervenir par un mouvement antérieur à la création elle-même. Ainsi un changement nouveau ne procède d’une voluntas antiqua que par l’intermédiaire d’une action antérieure, mediante aclione antiqua, principe reproduit textuellement par saint Thomas, In II" m Sent., obj. 14 ; Cont. Cent., t. II, c. xxxii, obj. 4 ; Comp. theol., c. xcviii, et directement visé par la prop. 39 de la condamnation de 1277. — b) L’agent volontaire dans lequel l’action succède au repos, doit au moins « imaginer » une succession temporelle entre ce repos et cet agir ; discernendo tempus a quo vult agere a tempore a quo non vull, expliquera saint Thomas. In II" m Sent., obj. 13. Or, imaginer du temps, disait assez obscurément Averroès, est un changement qui suppose lui-même un autre changement : imaginari tempus est transmutatio sequens transmutationem, scilicel imaginari præsentiam ejus (toc. cit.). Imaginer une succession dans le temps, explique saint Thomas, suppose le changement soit dans l’acte même de l’imagination (ceci suppose deux actes successifs de la « phantaisie » ) ou tout au moins un changement entre les deux termes de la succession imaginée. De toute manière, quand la volonté commencera effectivement à agir, son action aura été précédée d’un autre mouvement du côté du terme ou de la chose imaginée. I a, q. xlvi, a. 1, obj. 6. — À la fin de sa carrière, saint Thomas ajoutera encore à sa documentation les objections de Simplicius, qu’il utilise dans son propre commentaire du De cœlo, t. I, lect. 6, n. 8, éd. léon.

Voici maintenant les solutions de saint Thomas. L’argument d’Aristote, tiré de la matière incorruptible et inengendrée des corps célestes, prouve bien que le ciel n’a pu commencer par manière de mouvement et de génération, ex materia præexistenli. Il ne saurait prouver que le ciel et la matière première sublunaire n’ont pu commencer de façon absolue, sans mouvement et par voie de création ex nihilo, In II am Sent., ad l um, ad2um ; I », ad 3 ura ; De casL, t. I, lect. 6, n. 7. — Si les corps célestes ont la propriété d’une existence perpétuelle, liée à leur incorruptibilité, cette propriété ne concerne en réalité que le présent et le futur, non le passé. Car un être possède en lui la propriété de faire quelque chose, non de l’avoir fait. On ne peut donc conclure du présent au passé et de l’incorruptibilité du ciel à son éternité. De pot., ad 2 uln.

Ainsi se trouve écarté l’obstacle du principe aristotélicien : tô yàp è$ àv « YX/)ç xai àeî à[ia, Gen., B, 11, 337 6, 35, obstacle infranchissable pour l’idée chrétienne de création selon Duhem, Le système du monde, t. iv, p. 487. Saint Thomas théologien proposera encore une autre solution du principe d’Aristote. Ce qui ne renferme point en soi-même de principe intrinsèque de non-être peut cependant ne pas être par comparaison à la puissance active d’un autre sujet (aliéna potentia), c’est-à-dire en l’espèce par comparaison à la toute puissance divine, qui peut le réduire au néant. I a, q. ix, a. 2. — L’argument du nunc est en réalité un cercle vicieux. In II um Sent., ad 2um. Dire que, de part et d’autre de l’instant, il y a nécessairement du temps, c’est supposer la régression à l’infini du temps et par conséquent du mouvement. Or, c’est justement ce qui est en question. Rien n’empêche au contraire de supposer un instant qui, au lieu d’être un intermédiaire entre un avant et un après, serait le principe absolu du temps. Cont. Gent., t. II, c. xxxvi, 5°. Néanmoins l’argument d’Aristote conserve sa valeur contre les Physiciens. De pot., ad 15um.

Contre les philosophes arabes, on doit tenir que, si le mouvement était possible avant d’être, cette antériorité du possible n’impliquerait point celle de la matière. Il suffit que le monde soit possible dans la puissance active de Dieu ou même par la simple cohérence logique des termes, De pot., ad 10um ; Cont. Gent., t. II, c. xxxvii, 3° ; Comp. theol., c. xcix. Contre Avicenne, on peut faire observer que l’antériorité de Dieu dans la durée n’est point mesurée par le temps. In II" m Sent., ad 5um ; De pot., ad 20um ; I », ad 8um. Contre Averroès, saint Thomas observe que, si Dieu n’a point créé de toute éternité, c’est parce que quelque chose manquait à l’objet de son vouloir, c’est-à-dire la proportion du monde à sa fin qui n’est autre que ce vouloir même. Dieu a voulu que le monde commençât dans le temps. S’il l’avait créé ab œterno, cette proportion du monde au vouloir divin lui ferait défaut. In II nm Sent., ad 14um. Plus clairement dans le Contra Gentes, saint Thomas écrit qu’il n’y a pas à proprement parler de retard ou d’attente dans la volonté divine, ni dans l’œuvre créatrice. Car Dieu a créé au moment où il avait disposé de toute éternité que les choses seraient. Cont. Gent., t. II, c. xxxv, 4°. Reste enfin l’argument de la succession temporelle ou imaginaire. Sur ce point saint Thomas réplique qu’il n’y a de succession « imaginée », ni du côté de l’intellect divin, qui saisit toute succession dans une indivisible unité, ni même du côté du monde, ex parte rei imaginatæ. Car avant le monde, le temps n’existait point et seule l’éternité précède les choses. In II" m Sent., ad 13um.

b) La création dans le temps est-elle démontrable ? — Dans son Commentaire des Sentences (t. II, dist. I, i, a. 1, q. n), saint Bonaventure enseigne la possibilité d’une telle démonstration. Il y a en effet répugnance intrinsèque entre un monde créé par Dieu et une durée éternelle. Au contraire, l’éternité du monde ne répugne point, si l’on pose un principe premier matériel, indépendant de la création divine dans son être. Dans cette dernière hypothèse, l’éternité du monde est même plus vraisemblable qu’une matière informe éternelle et sans influence du démiurge. Si l’on suppose ainsi une masse de sable sans commencement et un pied humain également éternel, le vestige de ce pied dans le sable serait coéternel à l’un et à l’autre, allusion au texte fameux d’Augustin, De civ. Dei, t. X, c.xxxi, P. L., t. xli, col. 311. Saint Thomas, lorsqu’il cite ce texte, le réfère non à Vinlolerabilis error d’un monde non créé par Dieu, mais à l’opinion des philosophes (Avicenne) qui admettent une véritable création avec dépendance totale dans l’être, mais création ab œterno. I », q. xlvi,