Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/340

Cette page n’a pas encore été corrigée
665
666
THOMAS DAQUIN : L’ÉTERNITÉ DU MONDE


l’objectant, pouvait créer le monde et qu’il ne l’ait pas fait, c’est donc par malice ou par envie qu’il a agi de la sorte : si potuil et non voluit, invidus fuit. Il est peu probable que Guillaume d’Auxerre se réfère ici aux manichéens de l’antiquité ecclésiastique, qui enseignaient de fait l’éternité du monde, cf. art. Manichéisme, t. ix, col. 1873. Ii songe plutôt aux hérétiques de son temps. On retrouve en effet déjà l’argument de Vinvidia divine, dans Alain de Lille, Contra hær., i, 3, P. L., t. ccx, col. 309 B. Voir aussi Raynier Sacconi, Summa de catharis, éd. Dondaine, dans Le Liber de duobus prineipiis, Rome, 1939, p. 73. D’autre part, Guillaume d’Auxerre, dans les chapitres additionnels du 1. I er de sa Summa aurea, discute bien les arguments des philosophes sur la création médiate et parle même de Parménide et de Mélissos. Mais il ne souffle mot d’Aristote et de l’éternité du monde. Guillaume d’Auvergne, De universo, I, ii, c. 8-11, Orléans, 1674, t. i, p. 690-700, discute surtout les arguments d’Avicenne.

Dans le Commentaire des Sentences d’Hugues de Saint-Cher, c’est bien contre Aristote qu’est soulevé cette fois le problème de l’éternité du monde. Ms. Vat. lat. 10’.)S, ꝟ. 45 v° 6-46 r° a. Mais au lieu d’exposer les arguments du Philosophe, Hugues se contente de citer De gen.. H, 1°, 336 « .27 : idem similiter omnino se habens, natum est omnino idem facere. Les autres arguments, empruntés à la théodicée, sont étrangers à Aristote : ad hoc quod arlijex exeat in actum, sufjiciunt hsec tria : scientia, potentia, voluntas. Sed hœc ab œterno fuerunt in Deo. Voir le même argument dans Alain de Lille, op. rit., i, 5, p. L., t. ccx, col. 311. Il y a une information beaucoup plus précise de la physique d’Aristote dans la Summa de bono du chancelier Philippe, qui nous fournit un résumé substantiel des arguments du Stagiritc. Summa de bono, ms. Vat. lat. 7669, ꝟ. 6 r° b. Si le mouvement du premier mobile n’est pas éternel, il y a donc eu changement, soit du côté du moteur, soit du côté du mobile. Or, le premier moteur ne peut être sujet au changement. D’autre part, le premier mobile n’est point sujet à la corruption et son mouvement circulaire et uniforme s’oppose à la distinction d’un repos et d’une mise en mouvement. De plus, la mise en branle du mobile suppose elle-même un changement antérieur et ainsi de suite à l’infini. Enfin, cette mise en mouvement du premier mobile se produit dans le temps. Il y avait donc du temps avant celui qui est la mesure du premier mobile et par conséquent du mouvement, l.e jugement du chancelier (ou de son modèle, cf. I’. Glorieux, La Summa duæensis, dans Iiech. de théol. anc. et méd., t.xii, 1940, p. 104135) est particulièrement ferme dans l’appréciation des raisons, ici authentiques, du Philosophe : rationes r/uris ponil Aristoteles non sunt nisi ad j>robandnm mundum esse perpetuum et non œternum. Ms. cit.. f° (i v° a. Aristote, en d’autres termes, a seulement voulu prouver que le temps, le mouvement et le premier mobile sont coextensifs dans la durée. Les arguments du Philosophe ne prouvent donc rien dans un problème qui dépasse sa pensée, celui « le la production des choses dans l’être : non luit autan de proprietate tllius philosophitr investiqare exitum primi mobilis in esse. Ms.. rit. f° (i v° a. Odon Rigaud. qui expose lui ans’i avec précision les arguments d’Aristote, aboutit .i i.i même conclusion : Philosophus in naturali philo sophia, ex naturalibus procédera, oerum dixit : tempus et tnotum non inrr pisse, srilirrt via natunr. Ms. Vat. lat, ’. ꝟ. 79 r" b. Pourtant, la thèse d’Aristote.

absolument parlant est fausse : le monde : i commenc. mais par vole de création. Saint Bonaventure est pins

Sévère pour Aristote. Comme saint 1 bornas, il pense

que le Philosophe a vraiment enseigné l’éternité du

monde, bien M 1 "’Certains modernes prétendent

qu’Aristote n’a point admis une telle conclusion et qu’il a simplement voulu prouver, non pas que le monde n’a pu commencer, mais qu’il ne pouvait commencer par manière de mouvement. In II"™ Sent., dist. I, i, a. 1, q. n. Qu’en est-il en réalité, ajoute Bonaventure, je l’ignore, nescio. En 1269, Gérard d’Abbeville, dans son Quodlibet xiv, dira comme, jadis Philippe : non probavit Aristoteles motus et temporis seternitatem, sed coœternitatem. Ms. Vat. lat. 10 15, ꝟ. 131 r°ft. Sur la pensée d’Albert le Grand, consulter A. Rohner, Der SchôpfungsbegrifJ…, p. 45-92.

Saint Thomas, a écrit M. le professeur Mansion, « avait à un degré inconnu de ses contemporains, le souci de la documentation directe et précise ». Les traductions arabo-latines.., dans Rcv. nco-scolaslique. t. xxxvii, 1934, p. 218. Dès son commentaire des Sentences, le saint Docteur au lieu d’une série dialectique anonyme, distingue soigneusement ce qui est d’Aristote et ce qui revient à ses disciples arabes. Dans le texte capital du De potentia, q. iii, a. 17, il explique qu’Aristote avait simplement voulu établir que le monde n’a pu commencer par mode de mouvement. Au contraire ses disciples (c.-à-d. Avicenne), ayant admis que le monde procède de Dieu par l’acte de sa volonté et non par manière de mouvement, se sont efforcés de prouver l’éternité du monde, en partant non pas du mouvement, mais de l’impossibilité d’un changement dans le vouloir de Dieu, per hoc quod voluntas (Dei) non retardât facere quod intendit.

Il est indispensable de donner un aperçu rapide de ces arguments. Pour ce qui concerne Aristote lui-même, saint Thomas expose : a) l’argument tiré de l’incorruptibilité de la matière première ; elle ne peut non plus être engendrée. Phys., A, 9, 192 « , 28 ; cf. In II" m Sent., dist. I, q. i, a. 5, obj. 1 ; I a, q. xlvi, a. 1, obj. 3. L’affirmation est plus vraie encore des corps célestes, soumis au seul mouvement de rotation circulaire. Si le ciel et la matière première sont inengendrés, ils sont donc sans commencement. In I I" m Sent., ibid. obj. 2 ; ("ont. Cent., t. II, c. xxxiii, obj. 2 ; De potent, q. iii, a. 17, obj. 2 ; I’. q. xlvi. a. 1, obj. 2. — b) L’argument du « nunc » dans le temps, seul l’instant est saisissable ; lui seul a une existence réelle. Or, l’instant est un moyen terme entre un avant et un après. Nécessairement de part et d’autre de l’instant, il y aura du temps. Si l’on voulait assigner un instant qui marquerait le commencement du monde, il faudrait qu’avant ce premier instant, il y ait du temps et par conséquent du mouvement. Phus. (->, 1, 251 b, 19-26 ; cf. In // um Sent., obj. 5 ; De pot., obj. 15 ; I », obj. 7 ; (’.ont. Cent., t. II, c. xxxiii, obj. 5. — c) La mise en mouvement du mobile suppose un rapprochement et un contact entre celui-ci et le moteur. Or, ’a relation de contact entre le moteur et le mobile, comme tous les r : lat ifs, suppose aussi l’action. Si le mouvement n’est pas éternel, comme le veut Empédocle, c’est donc que ni le moteur, ni le mobile n’étaient en état l’un de mouvoir, l’autre d’Stre mû. Il leur faut donc acquérir ( tt< possibilité par un rapprochement qui ne peut s’opérer que par voie de mouvement et ici encore i ! y aura mouvement et temps axant le soi-disant pr< mier mou ventent. Phgs., ibid., 251 b, 1-10 ; cf. (’.ont. Gent., ibid.. obj. 3 ; In //", n Sent., obj. S ; I. ob] 5.

Saint Thomas reproduit souvent un argument " commun à tous les péripateticiens arabes » (argument attribué faussement par Albert le Grand à Averroè-, cf. In I I" m Sent., dist. I. a. iii, Borgnet, t. XXVII, p. 26). Ce qui commence à être était antérieurement possible. Or. le possible réside dans un smrl et le sujet des possibles, c’est la matière, la matière

existait donc avant le monde, et par conséquent les

formes, puisque la matière ne peut en être totalement

dénudée. Ci Conf. Gent., l. ii, « . xxxiv, obj, : i ; De