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THOMAS D AOÏJIN : LA SCIENCE DIVINE

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aspect qui correspond à la pensée d’Étiennc de Venizy. Il est à noter cependant que saint Bonaventure ne touche pas la question d’une espèce intelligible créée, représentant npn une chose créée, mais l’essence divine elle-même. Pour avoir sa pensée sur ce point, il faut attendre les questions De scientia Christi, où il précise que l’âme du Christ ne peut dans la vision béatifique avoir une connaissance compréhensive de l’essence divine, parce qu’elle ne peut engendrer un verbe égal au Verbe incréé. Q. vi, Opéra omnia, t. v, p. 35. L’affirmation suppose la production d’un verbe créé dans l’acte de la vision. Tout doute est d’ailleurs levé dans la question suivante, q. vii, loc. cit., p. 43 : secundum station vise et secundum statum patriæ non solum requiritur lucis œlernæ prsesentia sed etiam lucis œlernse influentia (sur le sens de cette injluentia, cf. q. iv, p. 23), non tantum Vcrbum increatum, sed etiam verbum interius conceptum. — Dans son commentaire des Sentences, Albert le Grand affirmera au contraire que Dieu dans la vision béatifique n’est pas vu par une autre espèce que lui-même. In 7V um Sent., dist. XLIX, a. 5, éd. Borgnet, t. xxx, p. 670. Même position dans le commentaire inédit sur les Noms divins de Denys : dicendum quod mentes beatorum uniuntur Deo per speciem quæ est Deus, ut tamen illa species est principium cognitionis et non secundum quod ab ipsa est esse divinum. Ms. Vat. lat., 712, ꝟ. 123 v° b.

L’originalité de saint Thomas consiste à introduire les « philosophes » dans le débat. Circa hanc queestionem, écrit-il, eadem difficultas et diversitas invenitur apud philosophos et apud theologos. In IV" m Sent., dist. XLIX, q. ii, a. 1. De même que certains théologiens (entendez Etienne de Venizy) ont nié la possibilité de la vision béatifique, de même Alfarabi a nié celle de l’union de notre intellect avec les substances séparées. Tel est du moins le témoignage d’Averroès. Car, ajoute saint Thomas, Alfarabi paraît admettre la possibilité d’une telle union dans son De intellectu. Cf. éd. Gilson, Les sources gréco-arabes de l’auguslinisme avicennisant, dans Archives d’hist. doct. litt. du M. A., t. iv, 1929, p. 123. Le même parallèle entre les philosophes et la théologie peut être observé si, de l’existence de la vision béatifique, nous passons à l’explication de son mode. Alfarabi et Avempace, au témoignage d’Averroès (De anima, t. III, texte 36, éd. Venise, 1550, ꝟ. 177 v° b), ont cru possible une union avec les substances séparées par voie de connaissance abstractive. Avicenne (dont Averroès ne parle pas) a eu recours à des similitudes reçues des substances séparées. Mais, dans le cas de la vision béatifique, une telle explication serait insuffisante. Une similitude créée ne peut représenter l’essence divine, parce qu’elle devrait se conformer au mode d’être de l’intellect dans lequel elle est reçue. Or, ajoute saint Thomas, modus intellectus nostri deficiens est a receptione perfecta divinse similitudinis. — Mais il existe parmi les philosophes une dernière manière d’expliquer l’union de l’intellect et des substances séparées, celle d’Averroès et (selon son témoignage) celle d’Alexandre d’Aphrodise. Pour Averroès, le principe de la connaissance unitive n’est pas une similitude, mais la forme même de l’intelligence séparée : necesse est ut intellectus agens sit forma in nobis… necesse est ut copuletur nobiscum per continuationem intellectorum. Averroès, De an., III, texte 36, éd. citée ꝟ. 179 v° a. Simple copulation ou continuation de l’intellect en acte avec nous, sans production ni génération de cet acte, telle est en réalité la pensée d’Averroès. Quoi qu’il en soit des substances séparées, conclut saint Thomas, c’est à cette manière de voir qu’il nous faut avoir recours dans le cas de la vision béatifique, istum modum oportet nos accipere, non en ce sens que Dieu s’unirait à notre intellect comme les formes du monde

physique s’unissent à la matière pour constituer des natures complètes, mais par manière de forme intelligible à la façon dont la lumière peut être dite forme de la couleur. S’il a connu un tel exposé, on comprend que Pecham se soit écrié : plena ydolis domus Dei ! Il faut d’ailleurs reconnaître que, dans la suite de sa carrière, saint Thomas ne mettra plus en avant ce patronage compromettant. Dans le Quodl. vii, a. 1 (antérieur, selon le P. Motte, à In IV am Sent., dist. XLIX, cf. Bull, thomiste, Notes et communie, t. i, 1931, p. 41), le nom d’Averroès n’est point prononcé. Dans De veritate, q. x, a. 11, le rapprochement avec les Arabes est encore indiqué, mais dans I », q.xii, a. 2, la thèse thomiste de l’essence divine forme de l’intellect béatifié est désormais placée sous le patronage de Denys, De div. nom., c. iv, P. G., t. iii, col. 587. A cette date, le saint docteur avait déjà commenté le De divinis nominibus.

Jean Pecham est sans doute le premier à prendre à partie la thèse thomiste. Car Gauthier de Bruges, dans l’important traité qu’il a écrit sur la béatitude (ms. Vat. Chigi, B. ri, 94, f » 197 v°-201 r°), n’aborde pas la question. Au contraire Pecham la traite dans une question de Quodlibet, publiée par V. Doucet (Notulæ bibliographies de quibusdam operibus Fr. Iohan. Pecham, dans Antonianum, t. viii, 1933, p. 451-454), sans doute antérieure aux questions De anima, publiées par H. Spettmann (Beitrage…, t. xix, fasc. 5), où l’on trouve également abordé notre problème, p. 469-476. M. Glorieux, Littérature quodlibélique, t. ii, p. 179, proposerait la date de 1269, pour le Quodlibet édité par le P. Doucet. Quoi qu’il en soit, Pecham examine en détail les arguments de saint Thomas, I », q.xii, a. 2, arguments fondés sur l’identité en Dieu de l’essence et de l’être et sur leur distinction dans les créatures. Pour établir sa propre thèse, Pecham a recours à une autorité de saint Augustin : cum Deum novimus, fit aliqua similitudo Dei in nobis. De Trin., t. IX, c. xi, n. 16, P. L., t. xlii, col. 962. De plus, il est impossible de concevoir une information active de la part de Dieu, sans une information passive qui lui corresponde. Or, celle-ci exige un terme produit : non est passio sine aliquo immisso ipsi passo (Doucet, p. 452). Dès Pâques 1279, Henri de Gand, dans son Quodlibet iii, q. i, prend position contre saint Thomas. Il revient encore sur la question à la Noël dans son Quodlibet iv, a. 8. Cf. les réfutations de Bernard de Gannat (ms. Ottob., lat. 471, ꝟ. 45 r° a-b) et de Robert de Colletorto (ms. Vat. lat. S8T, ꝟ. 27 r° a-28 r° b). Guillaume de la Mare reprend, à peu de choses près, les arguments de Jean Pecham (cf. Glorieux, Le correctorium Corruptorii…, p. 2-5). Voir les réponses de « Quare » (ibid., p. 5-12), de « Circa » (éd. Millier, p. 5), de Thomas de Sutton, en 1285 (Quodl. ii, a. 17, ms. Ottob. lat. 1126, t° 88 v° fc-89 v° a). Jean Quidort remarque que, s’il existait dans l’intelligence béatifiée une espèce créée représentative de l’essence divine, cette espèce, en tant même que créée et finie, devrait demeurer connaissable pour un intellect créé, supposé très parfait. Du même coup cet intellect atteindrait dans l’espèce l’essence divine représentée en elle ; et pour lui, intellect très parfait, la vision béatifique serait possible par les seules forces de la nature, sans le don du lumen gloriæ. Autant de conséquences inacceptables dans le langage de la philosophie thomiste.

b) Science divine des futurs contingents. — « Toutes les choses qui, selon leur réalité propre, apparaissent dans le temps, sont présentes à Dieu de toute éternité, non pas seulement, comme le disent certains, parce que Dieu a en lui les raisons intelligibles de ces choses, mais parce que son regard se porte sur toutes les choses qui lui sont présentes de toute éternité. I a, q. xiv, a. 13, cf. a. 9. Mêmes affirmations et même