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THOMAS D’AQUIN ET L’ÉCOLE AUGUSTINIENNE

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thélemy de Capoue, il paraît incontestable que derrière Pecham, il y avait saint Bonaventure, qui plus tard, dans les Collaliones in Hexameron, s’attaquera à la thèse thomiste de l’unité de forme substantielle en termes particulièrement vifs. Gilson, Lu philosophie de saint Bonaventure, p. 32. Sans doute, la « bataille » de l’Héxaméron n’est pas avant tout une bataille contre le thomisme ; cf. F. Tinivella, De impossibili Sapientiæ adeptione in philosophia pagana juxta Collaliones in Hexameron S. Bonaventuræ, dans Antonianum, t. xi, 1936, p. 154-163. Mais, en attaquant l’aristotélisme extrémiste de la faculté des arts, saint Bonaventure entend bien englober dans une même réprobation cette concession dangereuse qu’était à ses yeux la théorie de l’unité de forme substantielle dans le composé humain. La thèse thomiste sur la possibilité d’un monde sans commencement, ne devait pas sembler moins dangereuse au docteur franciscain. — On a insisté sur le caractère essentiellement religieux de cette opposition au thomisme. Dans la thèse de l’illumination intellectuelle ou des raisons séminales, il ne s’agit point pour Bonaventure et Pecham, d’une discussion philosophique, mais « d’un dépôt sacré à la sauvegarde duquel le sentiment religieux se trouvait passionément intéressé ». Et. Gilson, La philosophie de saint Bonaventure, p. 372. Dans son grand ouvrage, Siger de Brabant d’après ses œuvres inédites, t. ii, Louvain, 1942, F. van Steenberghen s’efforce d’atténuer l’opposition de saint Thomas et de saint Bonaventure et l’antipathie du docteur franciscain pour Aristote ; cf. op. cit., p. 448-464, 713. C’est revenir dans une certaine mesure au concordisine des éditeurs de Quaracchi. Le même auteur proteste contre la dénomination d’école « augustinienne » appliquée depuis Ehrle et De Wulf à l’ensemble des adversaires du thomisme. « Le conflit, écrit-il, ne se produit pas entre l’aristotélisme et une philosophie de contenu augustinien, mais entre deux formes inégalement évoluées de l’aristotélisme. » Op. cit., p. 719. Il nous semble cependant que c’est au nom d’Augustin que Pecham a attaqué le thomisme et que l’école franciscaine, même de nos jours, n’a jamais cessé de revendiquer le titre d’école augustinienne.

1° Thomisme et augustinisme après la mort de saint Thomas d’Aquin. — La mort de saint Thomas ne devait point arrêter ce conflit entre l’école dite augustinienne et le thomisme naissant. Il suffit de rappeler brièvement les principaux faits. Voir ci-dessus, art. Tempier, col. 99 sq. L’ordre d’enquête de Jean XXI à Etienne Tempier (lettre du 18 janvier 1277, dans Denifle-Chatelain, Chartularium Univers. Parisiensis, t. i, p. 541) provoque de la part de ce dernier la fameuse condamnation du 7 mars 1277, Denifle-Chatelain, 1. 1, p. 543-558, fait dominant de l’histoire de l’université pendant toute la fin du xiiie siècle. Plusieurs thèses thomistes sont certainement visées. Quelques jours plus tard, le 18 mars, la thèse de l’unité de forme substantielle chez l’homme était atteinte à son tour à Oxford. Ibid., p. 558-559. Voir le récit des faits dans Mandonnet, Siger…, t. i, p. 210-239, qui conjecture une entente entre Tempier et Kilwardby. Cf. également P. Glorieux, Comment les thèses thomistes furent proscrites à Oxford, dans Rev. thomiste, n. s., t. x, 1927, p. 260-291. Le mois suivant, 28 avril, nouvelle intervention de Jean XXI par sa bulle Flumen aquæ vivie, éd. Callebaut, Jean Pecham…, p. 459-460 ; Laurent, Fontes vitæ sancti Thomæ Aquin., Documenta, Saint-Maximin, 1937, p. 618-620, menaçante cette fois, non plus pour les artistes, mais pour les théologiens coupables de se laisser séduire par les idées nouvelles. Après la mort de Jean XXI (mai 1277), les cardinaux, pendant la vacance du Siège apostolique, invitent Tempier à arrêter l’enquête. Cette

dernière intervention ne nous est connue que par le témoignage peu suspect de Pecham, dans sa lettre du 7 décembre 1284 au chancelier et aux maîtres d’Oxford : mandalum fuisse dicitur eidem episcopo (Tempier ) per quosdam Romanæ Curiæ dominos reverendos ut de facto illarum opinionum supersederel penitus. Denifle-Chatelain, t. i, p. 625 ; Laurent, Documenta, p. 634.

Les débuts de l’école thomiste.

Si des interventions

de l’autorité ecclésiastique, nous passons à l’histoire littéraire, il nous faut noter d’abord l’adoption par le chapitre général de l’ordre franciscain à Strasbourg en 1282 (cf. Laurent, Documenta, p. 624) du Correctorium Fr. Thomæ de Guillaume de la Mare, voir ici t. viii, col. 2467 ; cf. F. Pelstcr, Les Declarationes et les Quæstiones de Guillaume de ta Mare, dans Rech. de théol. anc. et méd., t. iii, 1931, p. 397-411. Le Correctoire de Guillaume (texte dans P. Glorieux, Le correctorium Corruptorii « Quare », Le Saulchoir, 1927) provoque une série de réponses, la littérature des Correctoires (Correctoria corruptorii), qu’on désigne par ï’incipit de leur réponse au premier article du Correctoire de Guillaume : « Quare » d’origine anglaise, Richard Klapwell ou Guillaume de Macklefield, éd. Glorieux, Le Saulchoir, 1927 ; « Circa », de Jean Quidort de Paris, éd. Mûller, Rome, 1941 ; « Sciendum » de Robert de Colletorto ou Tortocolle ; « Quæstione », ces deux derniers inédits. On doit y joindre VApologelicum veritalis super Corruplorium, de Rambert de Primadizzi de Bologne, sans doute antérieur à « Quare ». Cf. sur les Correctoires, Uberweg-Geyer, Grundriss der Geschichte der Philosophie, die patristische und schol. Philosophie, 1928, p. 496-497, 764 ; P. Glorieux, La littérature des Correctoires, dans Rev. thomiste, n. s., t. xi, 1928, p. 69-96 ; R. Creytens, Autour de la littérature des Correctoires, dans Archiv. F. F. Prsed., t.xii, 1942, p. 313-340.

Sensiblement postérieure à la littérature des Correctoires, puisqu’elle suppose définitivement constituées les grandes collections quodlibétiques, se présente la littérature des Impugnationes, réponses thomistes : à Henri de Gand, par Bernard de Gannat ou de Clermont (cf. Glorieux, Répertoire des maîtres en théol. de Paris au At//e siècle, t. i, p. 172), par Robert de Colletorto, ms. Vat. lut. 9ê7, et Hervé Nédellec, De quattuor materiis ; à Godefroid de Fontaines, également par Bernard de Gannat ; à Gilles de Rome, cf. les anonymes Impugnationes contra Fr. Aegidium contradicentem Thomæ s. I um Sententiarum, éd. Bruni. Rome, 1942 ; à Jacques de Viterbe (Bernard de Gannat). On sait que Capréolus utilisera largement Bernard de Gannat, dont il reprend le procédé littéraire, résumé du Quodlibet incriminé, suivi de sa réfutation. Ces deux groupes d’écrits, Correctoires et Impugnationes, ne représentent d’ailleurs qu’une partie de l’activité de l’école thomiste. Pour une vue d’ensemble, consulter Uberweg-Geyer, p. 529-543, 769-773 ; Grabmann, Geschichte der kathol. Théologie, 1933, p. 95-102, 306-309 ; Glorieux, Répertoire…, t. i, p. 127205 ; pour le thomisme à Oxford, ci. A. -G. Little et F. Pelster, Oxford Theologg and Theologians c. A. D. 1282-1301, Oxford, 1934 ; quelques compléments bibliographiques dans Bull, thomiste, t. iii, p. 958976 ; t. iv, 1936, p. 810-832. Avec les premières années du siècle suivant, à la lutte contre le vieil augustinisme se substitue la polémique contre Durand et contre Scot, nouvelle par les problèmes qu’elle soulève. Voir un aperçu des thèses de Durand dans J. Koch, Die Verleidigung der Théologie des hl. Thomas durch den Dominikanernorden gegenùber Durandus de S. -P., dans Xenia thomislica, Rome, t. iii, 1924, p. 347-362 ; Durandus de S.-P., dans les Beitrâge fur Geschichte der Phil. u. der Théologie des Mittelalters, cités simplement dans la suite Beitrâge, t. xxvi.fasc. 1, 1927, p. 409-417.