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    1. THOMAS D’AOUIN##


THOMAS D’AOUIN. LE COMMENTATEUR D’ARISTOTE

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Avec le 1. V commence ce qu’on peut appeler l’ontologie. Elle débute par le vocabulaire philosophique d’Aristote ; saint Thomas l’explique en considérant, à la lumière de l’être en tant qu’être, les principaux termes philosophiques, presque tous analogiques, de principe, de cause, des quatre causes, de nature, de nécessité, de contingence, d’unité soit nécessaire, soit accidentelle, de substance, d’identité, de priorité, de puissance, de qualité, de relation, etc. Ensuite il traite de l’être en tant qu’être des choses sensibles, et il considère ici la matière et la forme, non plus par rapport au devenir, mais à l’être même des corps inanimés ou animés. L. VII et VIII. Enfin il montre toute la valeur de la distinction entre puissance et acte au point de vue de l’être, en affirmant que, dans tous les ordres, la puissance est essentiellement ordonnée à l’acte, d’où dérive la supériorité de l’acte par rapport à la puissance ordonnée à lui. En d’autres termes, l’imparfait est pour le parfait, comme le germe de la plante pour celle-ci, et le parfait ne peut être produit par l’imparfait comme par sa cause toute suffisante ; il en provient sans doute comme de la cause matérielle, mais celle-ci ne passe de la puissance à l’acte que sous l’influence d’un acte antérieur et supérieur qui agit pour une fin supérieure proportionnée. Et donc seul le supérieur explique l’inférieur, autrement le plus proviendrait du moins, le plus parfait du moins parfait, contrairement aux principes de raison d’être, de causalité efficiente et de finalité. C’est la réfutation du matérialisme ou de l’évolutionnisme dans lequel chaque degré supérieur au précédent reste sans explication ou sans cause. L. IX.

Le 1. X traite de l’unité et de l’identité, par là même du principe d’identité (forme affirmative de celui de contradiction) : « ce qui est, est », « tout être est un et le même ». Ce principe montre la contingence de tout ce qui manque d’identité parfaite, et donc la contingence de tout composé comme de tout mouvement. Tout composé en effet demande une cause, car des éléments de soi divers ne sont unis que par une cause qui les rapproche ; l’union a sa cause en quelque chose de plus simple : l’unité.

La troisième partie de la Métaphysique d’Aristote peut être appelée théologie naturelle. Saint Thomas n’en a commenté que deux livres (1. XI et XII), laissant de côté les deux autres qui traitent des opinions des prédécesseurs d’Aristote. Le 1. XI est une récapitulation de ce qui précède pour prouver l’existence de Dieu. Le 1. XII établit l’existence de Dieu, Acte pur, parce que l’acte est supérieur à la puissance et que tout ce qui passe de la puissance à l’acte suppose en dernière analyse une cause incausée, qui soit pur Acte, sans aucun mélange de potentialité ou d’imperfection. Dieu est dès lors la Pensée de la pensée, non seulement l’Être même subsistant, mais l’Intellection subsistante, ipsum intelligere subsistens. L’Acte pur, étant la plénitude de l’être, est aussi le Bien suprême qui attire tout à lui, dit Aristote. Contrairement à plusieurs historiens, saint Thomas voit dans cette « attirance » non seulement l’influx de la cause finale, mais celui de la cause efficiente, car tout agent agit pour une fin proportionnée, et seul l’agent suprême est proportionné à la fin suprême, la subordination des agents correspond à celle des fins. Plus on s’élève, plus l’agent et la fin se rapprochent et finalement s’identifient. Dieu attire tout à soi, comme le principe et la fin de tout. Cꝟ. t. XII, lect. 7-12. Saint Thomas termine son commentaire par ces mots : El hoc est quod concluait ( Philosophus), quod est unus princeps totius univetisi, scilicet primum movens et primum intelligibile et primum bonum, quod supra dixil Deum, qui est benedictus in sœcula sœculorum. Amen.

Mais ce qu’on ne trouve pas chez Aristote, c’est

l’idée explicite de création ex nihilo. même de création ab ieterno, a fortiori celle de création libre non <it> œterno.

La morale.

Parmi les ouvrages de philosophie

morale et politique d’Aristote, saint Thomas a commenté V Éthique u Nicomttque, les dix lires (1209), et le début de la Politique : I. I, II et III, c. i-m (1269). Il n’a pas expliqué les Grandes morales, ni la Morale à Jùiiltmc.

A la suite d’Aristote, saint Thomas montre ici que l’éthique est la science de l’agir humain, ou de l’activité de la personne humaine qui est libre, maîtresse de ses actes, mais qui. à titre d’être raisonnable, doit agir pour un bien rationnel, honnête, supérieur au bien sensible, soit délectable, soit utile. Dans ce bien supérieur l’homme trouvera le bonheur, la joie qui s’ajoute à l’activité normale et bien ordonnée comme à la jeunesse sa fleur. La conduite de l’homme doit donc être conforme à la droite raison et poursuivre le bien honnête ou rationnel, la perfection humaine où nous trouverons le bonheur, comme dans la fin à laquelle notre nature même est ordonnée. Éthique, 1. I.

Quels sont les moyens pour atteindre cette perfection humaine ? Ce sont les vertus. La vertu est une bonne habitude d’agir librement de façon conforme à la droite raison. Elle s’acquiert par la répétition des actes volontaires bien ordonnés ; elle est comme une seconde nature qui nous rend ces actes connaturels. Éth., 1. II.

Certaines vertus ont pour but de régler les passions, non pas en les supprimant, mais en les modérant, selon un juste milieu entre l’excès et le défaut ; ce juste milieu est en même temps un sommet. Ainsi la force s’élève au dessus de la lâcheté et de la témérité ; la tempérance au dessus de l’intempérance et de l’insensibilité. L. III.

De même la libéralité tient le milieu entre la prodigalité et l’avarice : la magnificence, lorsqu’il faut faire de grandes dépenses, entre la mesquinerie et une sotte ostentation ; la magnanimité entre la pusillanimité et une ambition démesurée ; la douceur repousse les injures sans violence excessive comme sans faiblesse. L. IV.

Mais il ne suffit pas de discipliner ses passions, il faut aussi régler les opérations extérieures à l’égard des autres personnes, en rendant à chacun ce qui lui est dû. C’est l’objet de la justice. Il faut ici distinguer la justice commutative relative aux échanges, dont la règle est l’égalité ou l’équivalence des choses échangées ; au dessus d’elle la justice distributive, qui préside au partage des biens, des charges, des honneurs, non pas de façon égale, mais proportionnellement au mérite de chacun. Au dessus encore il y a la justice légale qui fait observer les lois établies pour le bien commun de la société et enfin l’équité qui adoucit les rigueurs de la loi, lorsque, en certaines circonstances, elles seraient excessives. L. V.

Ces vertus morales doivent être dirigées par la sagesse et la prudence ; la sagesse, porte sur la fin de toute la vie, la perfection humaine à réaliser, la prudence porte sur les moyens ; c’est elle qui, par la délibération, détermine le juste milieu "à garder dans les différentes vertus. L. VI.

En certaines circonstances, comme lorsque la patrie est en danger, la vertu doit être héroïque. L. VII.

La justice est indispensable à la vie sociale, mais celle-ci a besoin d’un complément qui est l’amitié. Encore faut-il bien l’entendre, car il y a trois espèces d’amitié : l’une est fondée sur l’agréable, celle des jeunes gens qui s’associent pour se divertir ; la seconde est fondée sur l’utile, celle des commerçants qui s’unissent selon leurs intérêts ; la troisième est fondée sur le bien honnête, celle des vertueux qui s’unissent par