Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/330

Cette page n’a pas encore été corrigée
645
646
THOMAS D’AQUIN. LE COMMENTATEUR D’ARISTOTE


mentaire formule ainsi cette loi qui sera précisée par Newton : Terra (vel corpus grave) velocius movetur quanto magis descendit, en d’autres termes : la vitesse de la chute des corps pesants est d’autant plus grande qu’ils tombent de plus haut.

Gomme le rappelle Mgr Grabmann (S. Thomas d’Aquin, 1920, p. 36), P. Duhem, l’historien du système copernicien, fait gloire à l’Aquinate d’avoir soutenu (De cselo et mundo, t. II, lect. 17, cf. I », q. xxxii, a. 1, ad 2° n’), relativement à l’astronomie ptolémaïque, que les hypothèses sur lesquelles s’appuient un système astronomique ne se changent pas en vérités démontrées par le seul fait que leurs conséquences s’accordent avec l’observation. Cf. P. Duhem : Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée, Paris, 1908, p. 46 sq.

La psychologie.

Thomas a expliqué le De anima,

les trois livres (v. 1266) ; l’opuscule De sensu et sensato (1266) ; le De memoria (1266). Dans le De anima, il examine les opinions des prédécesseurs d’Aristotc, surtout d’Empédocle, de Démocrite, de Platon, et comment se pose le problème de l’unité de l’âme par rapport à la variété de ses fonctions. L. I. Il montre ensuite, avec Aristote, que l’âme est le premier principe de la vie végétative, de la vie sensitive et de la vie rationnelle, selon les diverses puissances qui dérivent d’elle. L. II, lect. 1-5. Ces puissances ou facultés doivent se définir par l’objet auquel elles sont essentiellement ordonnées. L. II, lect. 6. Il étudie les fonctions de la vie végétative et ensuite la sensation. On trouve ici une analyse pénétrante de la doctrine aristotélicienne sur les sensibles propres (couleur, son, etc.), les sensibles communs (étendue, figure, mouvement, etc.), les sensibles par accident (exemple la vie de l’homme qui vient vers nous). Ces sensibles par accident (que le langage moderne appelle les perceptions acquises) fournissent l’explication des prétendues erreurs des sens. L. II, lect. 13.

Saint Thomas donne aussi, t. III, lect. 2, une explication profonde de ce texte d’Aristote : « Comme l’action du moteur est reçue dans le mobile, l’action de l’objet sensible, du son par exemple, est reçue dans le sujet sentant ; c’est l’acte commun du senti et du sentant. Saint Thomas l’entend ainsi : Sonatio et auditio sunt in subjecto sentienle, sonatio ut ab agenle, auditio ut in patiente.

Il en déduit comme Aristote, en faveur du réalisme, que la sensation a par sa nature même une relation au réel senti, au sensible propre correspondant, et qu’elle ne peut exister sans le réel senti, tandis que l’hallucination peut exister sans lui, mais suppose des sensations préalables, comme l’écho suppose un véritable son. La comparaison est d’Aristote ; on avait déjà remarqué que l’aveugle-né n’a jamais d’hallucinations visuelles.

Le commentaire, t. II, lec’. 24, insiste aussi beaucoup sur ceci que « le connaissant devient en quelque manière l’objet connu par la similitude qu’il en reçoit ». Par l’intelligence, l’âme connaît les principes nécessaires et universels et devient en quelque sorte tout le réel intelligible représenté en elle : fit quodammodo omnin ; ce qui suppose l’immatérialité de la faculté intellectuelle. L. III, lecl. 4, 5, 7.

Cela suppose aussi l’influence de r/nie//ec7 agent qui. comme une lumière immatérielle, éclaire et actualise l’intelligible contenu en puissance dans les choses sensibles, lect. 10, et qui l’imprime dans noire intelligence pour que celle-ci le saisisse par la première appréhension suivie du jugement et du raisonnement. Lect. 11. C’est ce mystère de la connaissance naturelle que scrute s ; iint Thomas dans son commentaire du 1. 1Il du I)r anima, où il précise, lect. 8, l’objet propre de l’intelligence humaine : l’être intelligible des

choses sensibles, dans le miroir desquelles nous connaissons les choses spirituelles : l’âme elle-même et Dieu.

Comme l’intelligence est essentiellement distincte des sens, de la mémoire sensitive et de l’imagination, puisqu’elle atteint le nécessaire et l’universel, il faut aussi distinguer essentiellement de l’appétit sensitif, concupiscible et irascible, l’appétit rationnel ou la volonté, spécifiéeparle bien universel, et libre àl’égard du bien particulier. L. III, lect. 14. Au sujet de la spiritualité et de l’immortalité de l’intelligence humaine et de l’âme, il y a dans le De anima des textes qui paraissent la mettre en doute, t. II, c. n ; t. III, c. v, d’autres plus nombreux qui l’affirment, t. I, C iv ; t. III, c. iv ; t. III, c. v, et qui sont décisifs, si l’intellect agent est, comme l’entend saint Thomas, une faculté de l’âme, à laquelle correspond l’intelligence qui connaît le nécessaire et l’universel, et qui domine par suite l’espace et le temps. Ces derniers textes s’éclairent du reste par celui de l’Éthique à Nicomaque, t. X, c. vii, qui paraît exclure toute hésitation.

La métaphysique.

Le commentaire sur la Métaphysique,

les douze premiers livres (1268), comprend trois parties principales : l’introduction à la métaphysique (1. I à IV), l’ontologie (1. V à X) et la théologie naturelle (1. XI et XII).

Dans l’introduction, la métaphysique est conçue comme une sagesse ou science éminente ; or, la science est la connaissance des choses par leur cause, la métaphysique doit donc être la connaissance de toutes choses par leurs causes suprêmes. Après l’examen de ce qu’ont dit sur ce sujet les prédécesseurs d’Aristote, saint Thomas montre que la connaissance des choses par leurs causes suprêmes est possible, car on ne peut procéder à l’infini dans aucun genre de causalité. L’objet propre de la métaphysique est l’être en tant qu’être des choses et, de ce point de vue supérieur, elle considère plusieurs problèmes que la physique a considérés déjà au point de vue du devenir.

Cette introduction s’achève par une défense, contre les sophistes, de la valeur réelle de la raison et surtout du premier principe de la raison et du réel : le principe de contradiction. L. IV, lect. 5 à 17. Nier la valeur réelle de ce principe, ce serait poser un jugement qui se détruirait, ce serait supprimer tout langage, toute substance, toute distinction parmi les choses, toute vérité, toute pensée, même toute opinion, par suite tout désir, toute action ; on ne pourrait plus même distinguer des degrés dans l’erreur ; ce serait la destruction même du devenir, car il n’y aurait plus de distinction entre le point de départ et le point d’arrivée ; de plus le devenir n’aurait aucune des quatre causes qui l’expliquent ; il serait sans sujet qui devienne, sans cause efficiente, sans fin et sans spécification, il serait aussi bien attraction que répulsion, congélation que fusion. On n’a jamais écrit une défense plus profonde de la valeur réelle du premier principe de la raison et de la raison elle-même. C’est avec la défense de la valeur de la sensation ce qu’on peut appeler la métaphysique critique d’Aristote approfondie par saint Thomas ; elle est « critique » non pas au sens kantien, mais au sens de xplaiç, qui veut dire jugement, et de xpiveiv, juger de la valeur de la connaissance par réflexion sur elle-même pours’assurcr de l’objet auquel elle est essentiellement ordonnée ; elle est ordonnée à connaître l’être intelligible, comme l’œil à la vue, l’oreille à l’audition, le pied à la marche, les ailes au vol. Ne pas l’admettre, c’est rendre l’intelligence tout à fait inintelligible à elle-même. Pour bien entendre le Dr t’cnliile de saint Thomas, il faut avoir médité sou commentaire sur le 1. IV de la Mïtnphysique.