Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/329

Cette page n’a pas encore été corrigée

643

    1. THOMAS D’AQUIN##


THOMAS D’AQUIN. LE COMMKNÏATEUR D’ARISTOTE

4 4

l’âme de tous nos jugements, où le verbe être affirme l’identité réelle du sujet et du prédicat.

I ! justifie la classification des jugements donnée par Aristote au point de vue de la qualité qugements affirniatifs, négatifs, privatifs, vrais et faux), au point de vue de la quantité ou de l’extension qugements universels, particuliers, singuliers), au point de vue de la modalité (il est possible que…, il est contingent…, il est nécessaire…) ; il touche ici aux problèmes de la nécessité, de la contingence et de la liberté (Péri hermeneias, i, lect. 14). Enfin il montre le bien-fondé des diverses espèces d’opposition (contradictoire, contraire, etc.), dont il fera si souvent usage en théologie et que les logiciens n’ont cessé d’expliquer depuis Aristote.

Dans son commentaire des Derniers Analytiques, au t. I, il expose et justifie la théorie de la démonstration, qui fait savoir les propriétés nécessaires d’une chose par la définition de celle-ci, les propriétés du cercle par la nature de celui-ci. Il montre la nécessité des principes qui fondent la démonstration, l’impossibilité de tout démontrer et les différentes espèces de démonstrations, ainsi que les sophismes à éviter. Au 1. II du même ouvrage, il expose longuement les règles à suivre pour établir les définitions, lesquelles ne peuvent se démontrer, mais fondent les démonstrations des propriétés qui dérivent d’elles. Il fait voir que la recherche méthodique des définitions réelles doit partir de la définition nominale ou vulgaire, puis qu’elle doit diviser et subdiviser le genre suprême de la chose à définir, et comparer inductivement celle-ci avec les choses semblables et dissemblables. Cette recherche méthodique des définitions, saint Thomas en appliqua constamment les règles, pour justifier les définitions aristotéliciennes de l’homme, de l’âme, de la science, de la vertu, des différentes vertus, etc. Une étude approfondie de ce commentaire des Derniers Analytiques est indispensable à quiconque veut connaître exactement les bases mêmes du thomisme. Les historiens de la logique en ont presque tous reconnu la très gTande valeur, sans voir toujours son rapport avec le reste de l’œuvre de saint Thomas qui ne cesse d’en appliquer les principes.

La Physique.

Le commentaire sur les VIII livres

de la Physique ou de la philosophie de la nature d’Aristote, établit dès lel. I er, selon la voie d’invention, la nécessité de distinguer l’acte et la puissance pour expliquer le devenir ou le mouvement, en fonction non pas du repos (comme le voudra plus tard Descartes), mais en fonction de l’être, car ce qui devient tend à être.

Une étude attentive du commentaire de ce livre premier montre que la distinction de l’acte et de la puissance n’est pas seulement une admirable et très féconde hypothèse ou un postulat librement posé par l’esprit du philosophe, mais qu’elle s’impose nécessairement pour concilier le devenir affirmé par Heraclite, avec le principe d’identité ou de contradiction affirmé par Parménide. Le premier de ces philosophes niait la valeur réelle du principe de contradiction ou d’identité, en affirmant : « Tout devient, rien n’est et n’est identique à lui-même. » Parménide, au contraire, niait tout devenir en vertu du principe d’identité. Saint Thomas nous montre qu’Aristote a trouvé l’unique solution du problème, qu’il a rendu le devenir intelligible en fonction de l’être, par la distinction de la puissance et de l’acte. Ce qui devient ne peut provenir ni du néant, ni de l’être déjà en acte, déjà déterminé, mais de l’être en puissance ou indéterminé : la statue provient non pas de la statue déjà en acte, mais du bois qui peut être sculpté, la plante et l’animal proviennent d’un germe, la science d’une intelligence qui aspire à la vérité. Cette distinction de

puissance et d’acte, nécessaire pour rendre le devenir intelligible en fonction de l’être et du principe d’identité, n’est donc pas seulement pour Aristote et saint Thomas une admirable hypothèse ou un postulat ; elle est à la base des preuves vraiment démonstratives de l’existence de Dieu, Acte pur.

Dès ce 1. I er de la Physique, saint Thomas fait voir comment de cette division de l’être en puissance et acte dérive la distinction des quatre causes, nécessaires pour expliquer le devenir : la matière, la forme, l’agent et la fin. Il formule les principes corrélatifs de causalité efficiente, de finalité, de mutation et montre le rapport mutuel de la matière et de la forme, de l’agent et de la fin. Ces principes s’appliqueront ensuite partout où interviendront les quatre causes, c’est-à-dire dans la production de tout ce qui devient dans l’ordre corporel ou spirituel. En traitant de la finalité, saint Thomas définit le hasard : la cause accidentelle d’un effet qui arrive comme s’il avait été voulu ; en creusant une tombe quelqu’un trouve accidentellement un trésor ; mais la cause accidentelle suppose la cause non accidentelle qui par elle-même tend à son effet (par exemple à creuser une tombe) et cela suffit à montrer que le hasard ne peut être la cause première de l’ordre du monde, puisqu’il est la rencontre accidentelle de deux causes ordonnées chacune à son effet.

Cette étude des quatre causes conduit à la définition de la nature, qui est en chaque être le principe de son activité ordonnée à une fin déterminée, comme on le voit dans la pierre, la plante, l’animal et l’homme. Cette notion de nature appliquée ensuite analogiquement à Dieu se retrouvera constamment en théologie, et s’appliquera à ce qui est l’essence même de la grâce et des vertus infuses. En ses différents traités saint Thomas renverra à ces chapitres du 1. II de la Physique d’Aristote, comme aux éléments philosophiques, semblables à ceux d’Euclide en géométrie.

Il montre ensuite (1. III-VI) que la définition du mouvement se retrouve dans les différentes espèces de mouvement : local, qualitatif (intensité croissante d’une qualité), quantitatif (ou d’augmentation), et comment tout continu (grandeur, mouvement et temps) est divisible à l’infini, mais non pas divisé à l’infini, comme le supposait Zenon en ses arguments apparemment insolubles.

La Physique s’achève (1. VII et VIII) par l’exposé des deux principes qui prouvent l’existence de Dieu, premier moteur immobile : tout mouvement suppose un moteur et l’on ne peut procéder à l’infini dans la série des moteurs actuels qui sont nécessairement subordonnés. Il ne répugnerait pas de remonter à l’infini dans la série des moteurs passés accidentellement subordonnés, comme la série des générations humaines ou animales. Mais actuellement il faut un centre d’énergie, un premier moteur, sans quoi le mouvement lui-même est inexplicable. Nous disons de même aujourd’hui : le navire est porté par les flots, les flots par la terre, la terre par le soleil, mais on ne peut aller à l’infini, il faut actuellement un premier moteur immobile, qui ne doive son activité qu’à lui-même, qui soit l’agir même, et Acte pur, car l’agir suppose l’être, et le mode d’agir par soi suppose l’Être par soi.

Saint Thomas a commenté aussi les traités De generatione et corruptione, les deux livres (1272-1273) ; De meleoris, les deux premiers livres (1269-1271) ; De cselo et mundo, les trois premiers livres (1272-1273).

En lisant le De cœlo, t. I, c. vin (lect. 17 de saint Thomas), on voit qu’Aristote avait déjà remarqué l’accélération de la chute des corps, et noté qu’ils tombent d’autant plus vite qu’ils se rapprochent du centre de la terre. Saint Thomas en cet endroit de son com-