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THOMAS D’AQUIN. LE SAINT


plus élevés de son âme. Le labeur théologique est devenu pour lui l’acte par lequel il doit servir Dieu par amour et subvenir aux nécessités des membres du Christ-Jésus. Or, l’enseignement doctrinal, qu’il se fasse dans la chaire du maître ou dans celle du prêcheur, n’a pas pour but de faire confidence aux auditeurs des sentiments que suscite dans l’âme du docteur la vérité contemplée, mais il doit tendre à en donner une représentation objective le plus parfaite possible. L’intelligence par son activité propre est ordonnée à réaliser cette représentation objective du réel, capable de subvenir à tous tes besoins les plus variés de l’Église. Il fallait donc que le docteur commun de l’Église, qui plus que tous avait mission d’enseigner, acceptât, dans l’ordre de la spécification, la finalité propre de la recherche intellectuelle qui est la connaissance scientifique de Dieu.

Toutefois il n’a garde d’oublier le rôle que doit y jouer la prière, Rigans montes, p. 496, et il sait que le Saint-Esprit aide ses docteurs par des grâces spéciales qu’il décrit. IP-II", q. clxxvii, a. 1. Mais sa vie nous le dira encore mieux que sa doctrine.

Le saint.

La note distinctive de la sainteté de

saint Thomas semble avoir été un effort constant pour soustraire son âme à tout ce qui aurait pu nuire à la profondeur de sa contemplation studieuse et une application continuelle de toutes ses forces à l’amoureuse recherche de la divine vérité et à sa communication aux autres par l’enseignement sous toutes ses formes et par la prédication. Nous citons d’après les Fontes vitse Sancti Thomas, édition D. Prûmmer et H. Laurent, cf. ci-dessus, col. 630.

Saint Thomas s’applique par les vertus morales à faciliter l’ascension de son esprit vers Dieu. S’il ne pratique pas les macérations violentes en usage parmi ses frères, il a recours souvent à l’abstinence et au jeûne, Proc. cnn. Neap., p. 326, 346, et il donne à ce dernier une valeur impétratoire pour obtenir la lumière dans ses difficultés. G. de Tocco, p. 105. Par ce moyen, II’-II 1 ", q. cxlvii, a. 1, et par une chasteté parfaite excluant tout mouvement charnel (G. de Tocco, p. 100-101), sa sensibilité toute spiritualisée, IIa-IIæ, q. clxxx, a. 3, ad 3, iii, n’entravait pas son application aux choses divines.

Son humilité le libère de toute vue intéressée capable de troubler son regard dans la recherche de la vérité, et elle le tient éloignée des charges et des honneurs qui l’auraient ravi à l’étude, G. de Tocco, c. xxiv-xxvt. Le saint docteur avoue ne s’être jamais arrêté à un mouvement de vaine gloire provoquée par ses succès doctrinaux. Ibid., p. 97. Résistant à Jean Pecham qui attaque sa doctrine, il le fait avec une douceur confessée par son adversaire lui-même. Ibid., p. 99. Une âme ainsi détachée d’elle même était prête dans sa recherche du vrai à se soumettre, toujours à la réalité objective et, à travers elle, à Dieu cause de toute vérité. IP-II", q. CLXII, a. 3, ad 1°"’. Elle ne se laisserait pas non plus distraire de sa mission par l’attrait des honneurs. Toute sa vie, saint Thomas refusa ohstinément les charges ecclésiastiques les plus honorifiques, I occo, p. 1 15-116, et pria Dieu de mourir dans sa condition de simple frère. Ibid., p. 137. A Paris, loin de profiter de l’estime de saint Louis pour se mêler aux affaires séculières, il s’en tient le plus éloigné possible. Ibid., p. 108-1

Le motif dominant dans cet éloignerænt semble être le désir de se garder à sa studieuse contemplation. S’il ne veut pas « posséder la ville de Parla », c’est parce que les soucis de son gouvernement l’arracheraient a s ; i mission et il lui préfère les homélies de Jean’- 1 r o tome sur saint Matthieu. Ibid., p. 115. entrer dan sa méditation in pire

cet amour du ilenci 1 1 de : I olitude, cette taciturnité

et cet éloignement des relations extérieures non indispensables qui ont tant frappé ses contemporains. Ibid., p. 69, 74, 78, 122. Saint Thomas indique ces vertus comme des moyens nécessaires à qui veut parvenir à la science dans une lettre de conseils à un jeune frère. Op., xliv, éd. Mandonnet, p. 534.

Grâce à ces vertus, saint Thomas peut appliquer toutes ses forces à l’accomplissement de sa mission. Tous les témoins de sa vie ont été frappés de sa prodigieuse activité. Guillaume de Tocco en livre l’explication lorsqu’il montre Thomas toujours occupé à méditer ce qu’il devait écrire ou dicter. Ibid., p. 89. Cette absorption dans l’étude le prive de l’usage de ses sens jusqu’à la table de saint Louis, ibid., ]). 116, ou en présence d’un cardinal. Ibid., p. 117. Dans cet état, il peut dicter à quatre secrétaires à la fois. Ibid., p. 89. Avant Newton, Thomas d’Aquin applique à la perfection le grand moyen pour découvrir et pénétrer la vérité : il y pense toujours.

Mais ce moyen ne suffit pas. La vérité qu’étudie le théologien est divine et elle excède les capacités de tout esprit, fùt-il génial comme celui du Docteur angélique. Rigans montes, p. 496. Dans tous les actes scolaires importants, G. de Tocco, p. 79, 85, 95, chaque fois qu’il se met au travail, ibid., p. 105, ou qu’il rencontre une difficulté, ibid., p. 88, profusus orabal lacrymis pro divinis inveniendis secretis. Ibid., p. 105. C’est à cette prière plus qu’à son étude qu’il attribue sa science. Bern. Guidonis, p. 183. Il a soin d’entretenir en lui la flamme de la dévotion par une lecture quotidienne de Cassien : Ego in hac leclione devotionem colligo, ex qua facilius in speculationem consurgo… G. de Tocco, p. 95. Thomas ne séparait donc pas sa mission doctrinale de sa vie de piété et cette dernière lui semblait indispensable pour s’acquitter de sa charge. Ce que fut sa dévotion, ses deux messes quotidiennes, ibid.. p. 103, ses larmes à l’autel, et au chœur durant le chant du répons, Media vita, p. 104, ses longues nuits devant le Saint-Sacrement, l’office composé en son honneur, ainsi que les prières qu’il nous a laissées, le disent éloquemment.

A cette dévotion, le ciel répondit par une série de faveurs extraordinaires, d’un caractère nettement intellectuel et en rapport le plus souvent avec les besoins de son office. Chez lui, on ne trouve aucun phénomène de caractère purement affectif, comme transverbération, échange de cœurs, stigmatisation, mais par contre abondent les visions ordonnées à la manifestation de la vérité. II reçoit du ciel le thème de sa leçon magistrale, 17° f’rf., p. 85, et par le ciel il est instruit de difficultés qui l’arrêtent dans les commentaires de saint Paul et d’Isaïe. Ibid., p. 88.

Il interroge son successeur à Paris, frère Romain, qui lui apparaît, sur la persistance au ciel des sciences acquises. « Je vois Dieu, lui répond ce dernier, ne me pose pas pareille question. » Thomas de répliquer : « Mais le vois-tu par l’intermédiaire d’une espèce ou sans espèce. » Ibid., p. 119. La sainte Vierge vient le rassurer sur son âme et sa science. Ibid., p. 107. Deux fois, oïl le voit élevé de terre et on entend Notre-Seigneur qu’il consulte sur sa doctrine (accident, i ucharistiques, l’.ern. Guidonis, p. 190 ; Passion IIP ; cf. (’.. de Tocco, p. 108) l’approuver : liene scripsisti de me Thomn. Peut-être était-ce une coutume chez lui d’inlerroger ainsi le Maître divin sur SOU enseignement ; la Somme paraît dès lors le fruit de son oraison et de sa contemplation autant que de son étude et de sa culation. L. Petitot, /-" Ole intégrale de saint Thomas d’Aquin, Paris, 1923. 11° éd., p. 121.

Dans l’accomplissement de sa charge, Thomas se dépense pour tous. Aux commençants est dédiée bu Somme, prol. ; il sollicite un miracle pour ne pas manquer un cours, c. de Tocco, p, 124 ; il répond à toutes