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THOMAS D’AQUIN. VIE


pête, dans laquelle sa sœur dont on ignore le nom, qui était avec une servante dans la même chambre que lui, fut foudroyée.

Au Mont-Cassin.

Selon une coutume très répandue

au Moyen-Age, les nobles destinaient l’un ou l’autre de leurs fds à l’état ecclésiastique. Landulf fit élire son deuxième fils Jacques, à l’âge de vingt ans à peu près, abbé de l’église canoniale de Saint-Pierre de Canneto. Mais l’élection fut annulée parce que faite contrairement aux droits du Saint-Siège (1217). Le père songeait toujours à une autre dignité ecclésiastique qui pourrait s’offrir. Dans la région de la Campanie, on présentait des cadets comme oblats au monastère de Saint-Benoît au Mont-Cassin. Tocco et Barthélémy de Capoue nous disent que Landulf et Théodora envoyèrent au célèbre monastère cassinien le petit Thomas à l’âge de cinq ans, accompagné de quelques personnes parmi lesquelles se trouvait sa nourrice. Les parents offrirent ainsi leur cadet au service de Dieu. Le moment et les circonstances où se fit cette oblature nous éclairent davantage sur les intentions des parents qui avaient aussi en vue les intérêts de la famille d’Aquin. Le P. Mandonnet a relevé la donation d’un moulin faite par Landulf à l’abbé du Mont-Cassin (3 mai 1230) avec 20 onces d’or. Ces actes se réfèrent à l’oblation monastique de l’enfant. Saint Benoît mentionne dans la Règle, c. 59, les dons qui peuvent accompagner l’oblature. On peut, avec Ursmer Berlière faire valoir qu’on connaît aussi des dons faits aux monastères pour la simple éducation et institution des fils de nobles, mais dans notre cas des auteurs anciens (Serry, Gattola, De Vera, Tosti) et de récents (Roeder, Renaudin, Berlière, Mandonnet, Scandone, Leccisotti) concluent avec prudence et fermeté à l’oblature bénédictine de saint Thomas.

Frédéric II, rentré de la croisade, avait trouvé son royaume envahi par les troupes pontificales (1229). Il réagit fortement. Après la paix de San Germano, signée le 23 juillet 1230, les Aquin, victorieux avec leur souverain, saisirent le moment pour mettre une hypothèque sur le monastère.

Landulf Sinibaldi, abbé du Mont-Cassin (12271236), reçut le fils de Landulf et de Théodora, accepta son oblature et lui donna le froc monastique de saint Benoît. La journée des oblats se divisait entre la prière et le travail. Un maître spécial veillait sur eux. Initié aux mystères de la foi et aux fonctions liturgiques, Thomas dut s’appliquer à l’art de lire et d’écrire. Il fréquenta bientôt les écoles claustrales où il acquit une solide érudition classique et littéraire. Il étudia aussi les éléments de la logique et de la philosophie de la nature. La paix bénédictine du cloître, la discipline régulière et la beauté de la nature environnante concouraient à donner à l’âme du petit oblat une spiritualité profonde portée vers les plus hauts sommets. Tocco, c. iv, nous apprend, en effet, que Thomas cherchait déjà Dieu d’une façon supérieure à celle des enfants de son âge, comme le montrent les questions qu’il posait à ses maîtres ; pour sa formation spirituelle il était bien dans le milieu qui lui convenait. Mais, à la suite de l’excommunication de Frédéric II par Grégoire IX en 1239, l’abbaye fut transformée par l’empereur en place forte et les moines expulsés. Il n’y avait plus de place pour Thomas au Mont-Cassin. Il semble que la voix du père, qui était au courant des choses de l’empereur, rappela Thomas dans le monde. Avec son départ du monastère cessaient les liens de l’oblature. Suivant le conseil de l’abbé Etienne de Corbario, Thomas alla à Naples pour étudier à l’université.

Étudiant à l’université de Naples.

L’université

de Naples, érigée en 1224 par le jeune empereur,

était devenue le centre des écoles du royaume sicilien. La théologie, dès avant le milieu du xiiie siècle, y était enseignée par des religieux de trois ordres : dominicains à San Domenico Maggiore, franciscains à San Francesco et augustins à Sant’Agostino. Les cours de théologie furent interrompus en 1239 à la suite de l’expulsion des réguliers.

Thomas, venu dans la grande ville, logeait peut-être dans la petite résidence de San Demetrio, appartenant aux bénédictins. Ses parents pouvaient y consentir d’autant plus volontiers qu’ils n’avaient pas abandonné l’idée de voir le jeune homme devenir un jour abbé du Mont-Cassin. Étudiant es arts, Thomas acheva sa formation littéraire et commença l’étude de la philosophie. Sous le mécénat de Frédéric II, l’étude des philosophies grecque et arabe florissait. Il est certain que l’étudiant suivit le cours de grammalicalia et logicalia du professeur Martin de Dacie et les leçons de naturalia, comprenant aussi la métaphysique, du professeur Pierre l’Irlandais qui possédait une connaissance profonde des doctrines et des livres d’Aristote. C’est donc à partir de ce moment que Thomas commença l’étude du maître de Stagire. Frédéric II favorisait aussi les travaux des traducteurs, comme Michel Scot, qui depuis quelque temps ouvraient aux Latins les sources de la pensée grecque et orientale.

Thomas ne se contentait pas d’étudier, il avait une vie spirituelle intense. À son regard profond et ferme ne put échapper l’idéal des frères prêcheurs dont l’activité apostolique révélait la figure et l’œuvre lumineuse de saint Dominique. Ils vivaient sous l’impulsion donnée aux centres d’études par le bienheureux Jourdain de Saxe, qui en 1236 vint voir les étudiants de Naples avant son pèlerinage en Terre Sainte. Thomas semble avoir choisi pour directeur spirituel le P. Jean de San Giuliano, O. P. Par lui il fut gagné à la famille dominicaine. Le jeune philosophe, qui par ses qualités d’esprit et de cœur, par son intelligence et sa piété, faisait l’admiration de ses condisciples, résolut d’entrer chez les frères prêcheurs. Le prieur du couvent de San Domenico était alors Thomas Agni de Lentini, mort en 1277 comme patriarche de Jérusalem.

4° Entrée chez les frères prêcheurs. Internement à Roccasecca. — Selon Bernard Guidonis, Thomas reçut l’habit religieux de Thomas Agni, selon le P. Mandonnet de Jean le Teutonique, maître général. La vêture se fit, d’après le P. Priimmer, en 1240 ou 1241, d’après d’autres (de Rubeis, Mandonnet, Pelster) en 1243 ou 1244. À la nouvelle de la prise d’habit de son fils, la mère se rendit à Naples pour le faire changer d’idée, le conserver à la famille et l’éloigner d’une vocation mal vue par l’empereur. Les supérieurs, prévoyant l’attitude des Aquin, avaient envoyé le jeune religieux à Rome, à Sainte-Sabine. De Rome le maître général l’aurait fait partir ou conduit vers le nord. Théodora demanda à ses fils, alors en campagne avec Frédéric II, de prendre leur frère cadet au passage et de le lui ramener. En effet, Renaud d’Aquin, aidé au moins par un de ses frères, réussit à arrêter, au mois de mai 1244, le cadet près d’Acquapendente et l’envoya au château de Monte San Giovanni Campano, près de Frosinone. L’ordre se plaignit auprès du pape et de l’empereur, mais ne put améliorer en rien la situation tragique du jeune religieux. Revenus dans la région, ses frères éprouvèrent, au moyen d’une séduction, la vertu de Thomas qui, à cause de cette victoire, est salué par Tocco du titre à’angelicus. Persévérant dans leur projet, ses frères conduisirent Thomas à Roccasecca où il fut interné pendant une année. À tous les efforts de sa famille, il opposa une ferme résistance, gagna sa sœur Marotta à la vie reli-