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THÉRÈSE (SAINTE)


milieu de la correspondance et des démarches nécessitées par ses fondations. Elle écrivit, à Tolède, vingt-huit chapitres du Livre des fondations, du début d’octobre 1576 au 14 novembre de la même année, lit pendant la persécution livrée par les mitigés à sa réforme, elle composa, du 2 juin au 29 novembre 1577, 1e Château intérieur, ouvrage de haute mystique exigeant une réflexion soutenue.

Cette facilité supposait une connaissance étendue de la langue espagnole. Les lectures des romans d’Amadis de Gaule et de sa considérable lignée servirent le talent de la sainte, fille lut aussi beaucoup de livres spirituels anciens traduits en castillan, et de modernes composés en cette langue. Cf. Morel-Fatio, Les lectures de sainte Thérèse, dans le Bulletin hispanique, t. x, 1908, p. 17-67 ; Gaston Etchegoyen, L’amour divin, Essai sur les sources de sainte Thérèse, Bordeaux-Paris, 1923, p. 33 sq. Thérèse maniait la langue espagnole d’une manière géniale. Avec les écrivains mystiques de son époque elle a forgé cette langue et lui a fait parler « le langage des anges ». Sainte Thérèse, saint Jean de la Croix, l’auguslin Louis de Léon et d’autres encore eurent une part dans la formation de la langue espagnole aussi grande peut-être que celle de Cervantes, l’immortel auteur de Don Quichotte.

Sainte Thérèse a un style imagé. Elle sait trouver les comparaisons expressives qui symbolisent toute une doctrine ou dépeignent des états d’âme. Ainsi les quatre manières d’arroser un jardin caractérisent les quatre degrés d’oraison dont elle parle dans le Livre de la vie. Son imagination est remplie d’images de chevalerie. Pour elle, comme pour saint Ignace de Loyola, le Christ est un roi, un conquérant. Elle l’appelle « sa Majesté ». Sa vision de l’enfer rappelle les oubliettes des châteaux forts dont elle avait lu la description dans les romans. On sait que, pour les visions imaginatives, Dieu se sert d’ordinaire des images qui sont déjà dans l’imagination. Le Château intérieur est révélateur : « La veille de la fête de la très sainte Trinité [1577], dit Diego de Yepez, tandis qu’elle était à se demander quelle serait l’idée fondamentale de ce traité, Dieu, qui dispose tout avec sagesse, exauça ses vœux et lui fournit le plan de l’ouvrage-Il lui montra un magnifique globe de cristal en forme de château, ayant sept demeures. Dans la septième, placée au centre, se trouvait le Roi de gloire, brillant d’un éclat merveilleux, dont toutes ces demeures jusqu’à l’enceinte se trouvaient illuminées et embellies. Plus elles étaient proches du centre, plus elles participaient à cette lumière. Celle-ci ne dépassait pas l’enceinte : au de la il n’y avait que ténèbres et immondices, des crapauds, des vipères et autres animaux venimeux. » Œuvres complètes de sainte Thérèse, t. vi, p. 6.

Aux qualités de l’imagination s’ajoute une sensibilité délicate, qui sent vivement la valeur des dons divins ou la portée des événements providentiels et qui sait communiquer aux autres ses impressions. Cet art de faire partager ses propres sentiments était perfectionné en sainte Thérèse par un abandon plein de simplicité et de charme. Elle écrit souvent comme l’on cause familièrement avec des intimes. Car elle n’écrivait pas pour le public, mais pour ses confesseurs qui voulaient connaître son âme ou pour ses carmélites qu’elle désirait initier à ses expériences religieuses.

Enfin, un ferme bon sens maintient toutes ces qualités dans la juste mesure. Bon sens tout viril. Si Thérèse a la sensibilité féminine, elle a la maîtrise de l’homme. Elle appréciait le bon sens des personnes avec lesquelles elle traitait les affaires de ses fondations. Fondations, c. xv. Elle sait éviter, dans l’exposé de ses états mystiques, toute exagération, toute expression outrée qui indiquerait que le sentiment a le pas sur la raison, ce qui n’est jamais en sainte Thérèse.

Cf. H. Iloornacrt, Sainte Thérèse écrivain, Paris-Bruges, 1922.

Quelques défauts cependant déparent, fort légèrement d’ailleurs, de si riches qualités. La facilité si grande d’écrire a fait tomber Thérèse dans quelques longueurs. Les digressions sont parfois trop abondantes. Et sa mauvaise mémoire — dont elle se plaint souvent — lui a fait commettre des contradictions, parfois assez notables pour qu’on puisse ne pas avoir, avec certitude, sa vraie pensée sur quelques points de la mystique. Sa chronologie est souvent défectueuse. Elle écrivait longtemps après les événements et, comme elle ne pensait pas que ses écrits seraient publiés, elle se préoccupait peu de l’exactitude des dates. Bien petites ombres dans de ravissants tableaux !

Caractères de la mystique thérésienne.

Signalons

tout d’abord le don qu’a sainte Thérèse d’exposer ses états mystiques. Don d’introspection. Elle sait discerner ce qui se passe dans son âme avec une sûreté rare. Elle peut sans doute prendre pour des communications surnaturelles de Dieu de pieux mouvements de son âme. Mais elle tient compte de cette possibilité qu’elle reconnaît. Aussi, malgré les révélations, elle n’entreprendra rien de tant soit peu important sans avoir l’avis de théologiens instruits et l’approbation de ses supérieurs. À cette sûreté de coup d’œil psychologique s’ajoutait la facilité d’analyser finement ses étais mystiques et enfin le talent de les décrire clairement et avec précision : « Recevoir de Dieu une faveur, disait-elle, est une première grâce, savoir en quoi elle consiste en est une seconde ; enfin, c’en est une troisième de pouvoir en rendre compte et en donner l’explication. » Vie, c. xvii, t. i, p. 213. « Dans la sublimité des choses qu’elle traite et dans la délicatesse et la clarté dont elle les déduit, disait Louis de Léon, elle surpasse beaucoup d’esprits, et dans la manière de les dire, dans la pureté et facilité du style, dans la grâce et l’agencement des paroles, et dans une élégance naïve qui délecte au dernier point son lecteur. Je doute que dans toute notre langue [espagnole] il y ait rien qu’on lui puisse comparer. » Lettre à la Mère Anne de Jésus, prieure du carmel de Madrid.

La mystique de sainte Thérèse n’est pas spéculative mais pratique, en ce sens qu’elle consiste dans des analyses psychologiques de ses états mystiques. Saint Jean de la Croix nous montre ses expériences mystiques au travers de théories théologiques. La mystique thérésienne, elle, est dépourvue de théories. Elle se trouve dans la description psychologique des faits mystiques vécus par la sainte. À peine, de loin en loin, contient-elle des allusions aux explications des théologiens. Aussi la mystique thérésienne est-elle très personnelle, puisqu’elle consiste dans les étals par où la sainte a passé et qu’elle décrit. Tous les mystiques ne suivent pas nécessairement la même voie qu’elle. Bien souvent elle le laisse entendre. Les écrits de sainte Thérèse sont ainsi son autobiographie mystique, mais leur lecture édifie tout le monde.

Sur l’origine et les sources de la mystique thérésienne deux opinions sont en présence : celle des anciens biographes de sainte Thérèse et celle des écrivains modernes. Selon les anciens thérésiens, tout ce que sainte Thérèse a écrit vient de Dieu. Elle n’a rien appris dans les livres. Elle a lu fort peu d’ouvrages spirituels ; elle en a donné les titres, mais elle ne prend en eux aucune citation. Sa mauvaise mémoire ne le lui aurait pas permis, du reste : « Encore, si Dieu m’avait donné un peu de capacité et de mémoire ! dit-elle en gémissant. Je pourrais alors mettre à profit ce que j’ai lu ou entendu. Mais j’en suis aussi dépourvue que possible. Si donc je dis quelque chose de bon, c’est que le Seigneur l’aura ainsi voulu, pour en tirer quelque bien. » Vie, c. x, Œuvres, 1. 1, p. 140. Thérèse ne devrait donc qu’à