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THÉRÈSE (SAINTE)

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I. La sainte.

Il y a intérêt à distinguer deux périodes dans la vie de sainte Thérèse : celle qui a précédé l’élévation habituelle de la sainte aux états mystiques, qui se termine en 1558 (Thérèse a 43 ans), et celle qui l’a suivie de 1558 à 1582 date de sa mort. Dans la première, nous sommes les témoins de son ascension progressive vers la perfection et dans la deuxième nous la voyons vivre dans les états mystiques et en même temps se livrer tout entière à l’œuvre de la réforme du Carmel et de la fondation de ses monastères de. carmélites.

De la première partie de la vie de sainte Thérèse trois faits surtout retiendront l’attention de l’historien : la « conversion », la maladie au début de la vie religieuse et l’utilisation de l’oraison comme moyen de sanctification.

La conversion.

À l’époque de la jeunesse de

sainte Thérèse, avant son entrée dans la vie religieuse, y eut-i ! conversion proprement dite, c’est-à-dire passage de l’état de péché mortel à l’état de grâce ? Les circonstances où sainte Thérèse aurait pu pécher gravement sont les suivantes. Née le 28 mars 1515, à Avila, dans une famille bien chrétienne, Thérèse eut une enfance très pieuse. Vers l’âge de douze ans elle se livra avec avidité à la lecture des romans de chevalerie si répandus alors en Espagne, lecture « qui fil le plus de tort à mon âme », dit Thérèse. Vie, c. il. Après la mort de sa mère — Thérèse avait treize ans — laissée sans surveillance attentive, elle reçut fréquemment la visite de « plusieurs cousins germains », qui lui parlaient « de leurs inclinations et autres enfantillages qui n’avaient rien de bon ». Vie, ibid. Enfin, la fréquentation d’une parente, qui « était des plus légères » et « compagnie dangereuse », mit Thérèse en grave péril d’offenser Dieu. Mais elle ne fil rien qui fût contraire à l’honneur. « Sur ce point, j’étais, ce me semble, dit-elle, inébranlable. » Ibid. Après sa grande maladie et étant religieuse depuis plusieurs années, Thérèse connut une autre période d’infidélité, où l’esprit mondain pénétra dans son âme. Thérèse déclare qu’elle éprouvait un véritable « effroi » en pensant qu’elle s’était exposée à de « grands périls » pour son âme pendant ce temps de dissipation. Vie, c. v, vu.

Selon l’estimation des biographes de sainte Thérèse, ces fautes, qu’elle se reproche si sévèrement, ne constituent pas des péchés mortels. Lorsqu’elle composa le livre de sa Vie, en 1562, elle était arrivée aux états mystiques. Elle avait des lumières très vives sur la malice du péché. Elle était donc portée à exagérer la culpabilité des fautes commises trente ans plus tôt : « Quelque soin qu’elle ait pris d’exagérer ses infidélités, écrit de Villefore, le vice ne donna jamais d’atteinte mortelle à son innocence et tout se réduisit a des transgressions et à des légèretés qu’il ne faut nullement dissimuler, mais aussi qui ne doivent pas élic empoisonnées. » La Vie de sainte Thérèse tirée drs, auteurs originaux espagnols et des historiens contemporains. Paris, 1718, t. i. p. 14. Ribera ramène les l>(’( nés de Thérèse à des fautes d’imprudence : « Pour mon regard, dit-il, je pense que sis péchés ne furent point autres sinon se mettre et exposer au danger de faire quelque péché ou d’eu commettre de griefs par telle coi versation, devis et familiarités qu’elle avait telles personnes. » L" Vie de la Mère Thérèse de fondatrire des Carmes déchaussés, trad. franc., I, c. VII.

I’papi ; oire XV, dans la bulle de canonisation i 12 m. n s 1622, a solennellement

sanctionné les vues des biographes : Inler rateras ejas

virlnles… integerrima efjulsil castitas, quant adro exltnle

i. ni mm snliim propositum virginitati » nervandst a

[lia conceptum usque ad ntortem perduxerlt, sed

omnis expertem macula’angelicam in corde et corport

servaverit puritatem. Le P. Bouix est si persuadé que la sainte exagère ses fautes, qu’il n’hésite pas à changer, dans sa traduction de la Vie, les passages très aifirmatifs où elle en parle. Au début de la vision de l’enfer, Vie, c. xxxii, Thérèse écrit : « Je compris que Dieu voulait me montrer la place que les démons m’y avaient préparée [dans l’enfer] et que j’avais méritée par mes péchés. » Œuvres complètes de sainte Thérèse, trad. des carmélites de Paris, t. ii, 1907, p. 1. (Traduction que je citerai toujours.) Bouix modifie la phrase ainsi : « Je compris que Dieu voulait me faire voir la place que les démons m’y avaient préparée, et que j’aurais méritée par les péchés où je serais tombée si je n’avais changé de vie. » Œuvres de sainte Thérèse, traduites d’après les manuscrits originaux, t. i, Paris, 1859, p. 400.

Thérèse, elle, paraît convaincue — son texte le prouve — qu’elle a offensé Dieu gravement. Cette conviction a exercé une réelle influence sur sa sanctification. Elle lui a inspiré une profonde humilité. Dans le Prologue de sa Vie elle s’exprime ainsi : « On m’a donné l’ordre d’écrire ma manière d’oraison… J’aurais bien désiré qu’on m’eût également laissée libre de faire connaître clairement, et dans tous leurs détails, mes grands péchés et ma triste vie. C’eût été pour moi une joie bien vive, mais on s’y est refusé et l’on m’a même imposé sur ce point beaucoup de réserve. Ainsi je conjure, pour l’amour de Dieu, ceux qui liront cette relation, de ne jamais oublier combien ma vie a été coupable. » Œuvres complètes, t. i, p. 41. Elle revient, pour la regretter, sur cette interdiction de préciser ses fautes aux c. v, vii, x de sa Vie. Au c. v, elle parle de la contrition qu’elle eut dans la confession faite durant sa grande maladie : « Celle contrition, dit-elle, eût été suffisante pour assurer mon salut, quand bien même Dieu ne m’aurait pas tenu compte de l’erreur où m’avaient engagée certains confesseurs, en m’assurant qu’il n’y avait point péché mortel là où je reconnus ensuite, d’une manière positive, qu’il existait réellement. » Ibid., p. 85. Le P. Bouix, on le devine, atténue fortement ces passages.

Le sentiment de la crainte fut aussi renforcé dans l’âme de Thérèse par cette conviction d’avoir péché gravement : « Oui, en vérité, dit-elle, au sujet de sa jeunesse, arrivée à cet endroit de ma vie, j’éprouve un tel effroi en voyant de quelle manière Dieu me ressuscita en quelque sorte, que j’en suis, pour ainsi dire, toute tremblante… O mon âme ! comment n’as-tu pas réfléchi au péril dont le Seigneur t’avait délivrée ? Et si l’amour ne suffisait pas pour te faire éviter le péché, comment la crainte ne te retenait-elle point ? Car en liii, la mort aurait pu mille fois te frapper dans un étal plus dangereux encore. Et, en disant mille fois, je n’exagère, Je crois, que de bien peu. » Vie, c. v. ibid., p. 86.

Cette crainte influa sûrement sur sa détermination à la vie religieuse : « Je me disais avec frayeur que la mort m’eût trouvée sur le chemin de l’enfer. Je n’avais pas encore d’attrait pour la vie religieuse, cependant je voyais que c’était l’état le plus excellent et le pi us sûr, et peu à peu je me décidai à nie faire violence pour l’embrasser. Ce combat dura trois mois… C’était moins l’amour, ce me semble, que la crainte servile qui nie poussait à choisir cet étal de vie. » Vie, c. III, ibid.. p. 61-62. « La voie de la crainte n’est pas celle qui convient à mon âme », dira plus tard I lu m m Vie, C. xxxii. t. n. p. 1. La crainte chez elle ne tarda pas à être absorbée dans l’amour ». Vie, c. vi, t. i, p. 91. Cepen

danl la crainte filiale ne fut jamais absente de son ftm<. "’. c. xv, p. 199. Ce n’était pas « la crainte du

châtiment », mais celle de perdre le Seigneur en l’offensant. Vie, c. xxxvii, t. n. p. 9 / c chemin de la