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THÊOPHILANTHROPIE


chacun une pierre pour l’édifice du théisme et de la philanthropie. » Daubermesnil, député à la Convention, avait répondu a ce vœu en créant l’association des théoandrophiles, berceau de la théophilanthropie. Mais la pierre angulaire de l’édifice fut apportée par Chemin, prolesseur, littérateur et libraire, que l’on peut regarder comme le véritable fondateur du culte qu’il exerça sous le Directoire. Il rédigea le Manuel des théophilanthropes dont l’Année religieuse développa les principes. Il l’ut aidé dans cette œuvre par quatre collaborateurs : Mareau, Mandar, Jeanne et Haiiy, qui devinrent, avec Chemin, les chefs de la nouvelle secte. De ces quatre collaborateurs l’histoire n’a retenu que le nom de Valentin Haiiy, le fameux éducateur des aveugles.

II. LA DOCTRINE THÉOPHILANTHROPIQUE. La théo philanthropie s’apparente aux autres croyances religieuses par sa reconnaissance de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme ; elle s’en distingue par son refus d’admettre aucune révélation surnaturelle et aucun dogme mystique, qu’elle remplace par une profession de foi en la fraternité et en l’humanité. Ses adeptes poussent même le libéralisme jusqu’à admettre dans leurs assemblées des athées comme Sylvain Maréchal. Le fait est moins contradictoire qu’il ne paraît, puisque certains d’entre eux, dans le Doubs, en particulier, s’intitulent seulement philanthropes. Cependant le groupe dans son ensemble est déiste. Le Dieu auquel il fait profession de croire est le Dieu de Voltaire ou « Dieu de la raison » et, pour quelques-uns même, le Dieu élargi de Diderot dans le culte de l’éternelle et universelle nature. Ce déisme préconisé par les philosophes était alors la forme la plus populaire de la Libre pensée.

Deux traits sont à signaler dans ce qu’on pourrait appeler la doctrine théophilanthropique : 1° son esprit de tolérance ; 2° son caractère avant tout pragmatique.

1° Les théophilanthropes ne doivent proscrire, ni condamner, ni attaquer aucune autre religion. « Ils les respectent, disent-ils, et les honorent toutes, évitent toute controverse de propagande. » Telle est la leçon qui leur vient de leur fondateur : « Loin de chercher, dit Chemin, à renverser les autels d’aucun culte, vous devez même modérer le zèle qui pourrait vous porter à faire des prosélytes au nôtre. Professez-le modestement et attendez en paix que ceux à qui sa simplicité convient se joignent à vous… Soyez circonspects… Ne cherchez pas à faire des prosélytes… Ne vous occupant, dans vos fêtes, que de la religion et de la morale, il ne doit par conséquent y être jamais rien avancé qui ne convienne à tous les temps, à tous les pays, à tous les cultes, à tous les gouvernements. » On verra plus loin que ces conseils ne furent pas longtemps ceux qui guidèrent l’action des adeptes de la théophilanthropie.

2° Il y a la morale et il y a la religion. Pour les théophilanthropes la religion est avant tout, sinon exclusivement, destinée à faciliter la pratique des devoirs que commande la morale et surtout l’amour de la patrie et l’amour de la république. La morale théophilanthropique, dégagée des sanctions et de l’obligation qu’apporte le christianisme, se borne à énoncer des principes généraux comme les suivants : « Le bien est tout ce qui tend à conserver l’homme ou à le perfectionner. Le mal est tout ce qui tend à le détruire ou à le détériorer. Et par ce mot : l’homme, « on n’entend pas un seul homme mais l’espèce humaine en général ». La religion consistera surtout à s’assembler soit dans la famille, soit dans le temple pour s’encourager à pratiquer la morale. D’où le caractère pragmatique que nous lui avons donné et qui ressort encore du fait que les théophilanthropes aspireront plus tard à confondre toutes les religions dans une

sorte d’Institut de morale. Et ce sera la principale originalité de leur enseignement.

III. Le culte.

Il n’y a pas de religion même rationaliste, même laïque, sans manifestations extérieures, c’est-à-dire sans culte. Les théophilanthropes définissent ainsi leur action : « Notre assemblée est culte et n’est pas culte. Elle est culte pour ceux qui n’en ont pas d’autre, elle est seulement société morale pour ceux qui ont un culte. » Et cette distinction révèle des tendances analogues à celles qui caractérisent la théosophie telle qu’elle se pratique de nos jours. Le culte théophilanthropique eut donc ses temples, grâce à la haute protection de La Revellière-Lepeaux et du Directoire qui favorisèrent les réunions de la secte comme étant « les écoles de la plus saine morale ». Les théophilanthropes n’occupaient d’abord que trois ou quatre temples. Mais, en vendémiaire an VII, ils s’étaient installés dans quinze églises de Paris où ils célébraient leur culte en cohabitation le plus souvent avec les autres cultes, à des heures différentes. Grégoire rapporte dans son Histoire des Sectes que le Directoire paya aux théophilanthropes les frais de leur installation à Notre-Dame. Cette cohabitation des cultes sous le régime de la séparation ne se fit point de bonne grâce. C’est ainsi qu’en l’an VII, à Paris, la municipalité du IXe arrondissement s’étant réservé pour le culte décadaire le chœur et la nef de Notre-Dame et ayant relégué le culte catholique et le culte théophilanthropique dans les bas-côtés, les catholiques se montrèrent très justement froissés de cette disgrâce. Les théophilanthropes exigèrent seulement qu’on leur remboursât ce que leur avait coûté l’érection de l’autel en plâtre qu’ils avaient érigé dans le chœur de l’antique basilique et que les adeptes du culte décadaire avaient détruit.

Comme les temples protestants, les temples des théophilanthropes doivent exclure toute décoration, toute pompe. Quelques inscriptions morales comme celle-ci : « Adorez Dieu, chérissez vos semblables, rendez-vous utiles à la Patrie » ; un autel simple sur lequel ils déposent en signe de reconnaissance pour les bienfaits du Créateur quelques fleurs ou quelques fruits, suivant les saisons, une tribune enfin pour les lectures ou discours, voilà tout l’ornement du temple théophilanthropique. Les orateurs et lecteurs peuvent revêtir un costume spécial : habit bleu, ceinture rose, mais le costume n’est pas obligatoire.

Les rites du culte, célébré d’abord le décadi, puis le dimanche, se déroulent dans l’ordre suivant : les cérémonies commencent par une invocation au Père de la nature, à laquelle succèdent quelques minutes de silence où chacun fait tout bas son examen de conscience. « Le chef de famille peut aider cet examen par diverses questions auxquelles chacun se répond à lui-même tacitement. » On entend ensuite des discours, on chante des cantiques en langue française, on se met en face du Dieu de la nature. À l’occasion, on procède à la célébration des baptêmes, des mariages et des funérailles. Ceux qui pour ces cérémonies faisaient fonction de prêtres (car la théophilanthropie n’en avait pas d’autres que ses adeptes) revêtaient une robe blanche assez semblable à une aube et serrée à la taille au moyen d’une ceinture tricolore. Un autre trait caractéristique du culte théophilanthropique, c’est l’hommage rendu aux hommes qui ont honoré l’humanité : Socrate, saint Vincent de Paul, Jean-Jacques Rousseau, Washington, défilent tour à tour dans ce palmarès des hommes illustres.

Ce culte rationaliste pouvait convenir à des libres penseurs, mais il était trop froid pour rallier la masse de la nation, habituée aux splendeurs et au symbolisme du culte catholique. En vendémiaire an VII, les théophilanthropes s’étaient installés, comme nous