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    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. L’HABITUS DE THÉOLOGIE

48’l’Église, mais une tentative semblable inspirée de la philosophie leibnizienne ne l’a pas été. La philosophie thomiste de la matière et de la forme diffère radicalement de celle de saint Bonaventnre ; la philosophie suarézienne du composé diffère profondément de celle de saint Thomas et toutes ces différences ont leurs répercussions immédiates dans la construction théologique. On pourra’t multiplier le- ; exemples.

Ayant ainsi marqué et justifié la possibilité de plusieurs systèmes théologiques, il est juste d’affirmer non moins fortement que cela n’autorise pas, en cette matière, un pur et simple relativisme. D’une part, en effet, il y a des zones où l’interprétation rationnelle est tellement liée aux certitudes philosophiques communes, qu’on se trouve atteindre à une connaissance scientifique et nécessaire, telle qu’elle ne laisse plus de place à une systématisation plus particulière. Ce serait le cas, par exemple, de la doctrine selon laquelle celui qui nie délibérément un article de foi perd l’habitus total de la foi ; de la théologie de la science bienheureuse du Christ ; d’un certain nombre de conclusions relatives à la sainte Vierge, aux fins dernières, à certains points de morale sociale ou internationale… L’ensemble de ces thèses dessinerait l’aire de ce qu’on peut appeler, par opposition aux systèmes, la science théologique.

D’autre part, tous les systèmes sont loin de se valoir au point de vue de l’expression du donné révélé avec ses virtualités, de même qu’au point de vue des éléments rationnels assumés. Un système qui, comme celui de saint Thomas, s’avère capable d’assumer et d’ordonner une multitude d’aspects particuliers qu’on trouve mis en valeur ailleurs, mais en un état dispersé et d’une façon fragmentaire, tient évidemment, de son point de vue supérieur, une valeur autrement « catholique » qu’un système particulier, fait pour répondre à une antinomie de détail. Voir, sur toute cette question de la science et des systèmes théologiques, A. Gardeil, Le donné révélé, p. 252-284.

IV. L’IIABITUS DE THÉOLOGIE DANS LE THÉOLOGIEN.

— Après avoir défini et étudié la théologie au point de vue de son objet et de sa méthode, il faut définir son statut dans le sujet, dans le théologien, en étudiant d’abord l’habitus de théologie, puis les conditions du travail et du progrès théologiques.

I. l’habit vu de THÉOLOGIE. — Trois affirmations caractérisent l’habitus de théologie : la théologie est une science ; elle esta la fois spéculative et pratique mais principalement spéculative ; elle est sagesse. Le premier point a été touché plus haut ; reste à parler des deux autres et à se demander si l’habitus de théologie est naturel ou surnaturel.

1° La théologie est un savoir spéculatif et pratique, mais principalement spéculatif. — Nous avons déjà vii, à propos de la notion de science, combien saint Thomas obéit à l’idée que le savoir doit correspondre à son objet et aux conditions internes de celui-ci. Or, il y a des objets qui sont faits pour être connus et dont la seule connaissance épuise toute la relation que nous pouvons avoir à eux et il y a des objets qui sont faits pour être réalisés par nous. Est spéculatif le savoir qui considère son objet comme un pur objet à connaître, en spectateur ; est pratique le savoir qui considère son objet comme une chose à réaliser et à construire, en acteur et en cause. Comme le dit saint Thomas, In II Anal., t. I, lect. 41, n. 7, le savoir spéculatif vise la cognilio generis subjecti, le savoir pratique la construclio ipsius subjecti. Cf. Com. in Metaphys., t. II, lect. 2 ; In de anima, t. III, lect. 15 ; In Polilic, prol. ; In Ethic, t. I, lect. 1 ; De verit., q. iii, a. 3 ; Sum. theol., I », q. lxxix, a. Il ; In Boel. de Trin., q. v, a. 1.

Nous avons résumé plus haut, col. 398, et pour Scot, col. 402, les positions prises au Moyen Age sur

la question du caractère spéculatif ou pratique de la théologie. Elles sont toutes inspirées par le sentiment que la théologie est un savoir original, supérieur, irréductible aux catégories des disciplines purement humaines. Cette inspiration est aussi celle de saint Thomas, mais elle l’amène à une position quelque peu différente des autres. La théologie ne se constitue pas et ne se spécifie pas comme les sciences humaines. Elle est une extension de la foi, laquelle est une certaine communication et une certaine imitation de la science de Dieu. Or, la science de Dieu dépasse la division en spéculative et pratique. C’est pourquoi la foi, puis les dons intellectuels de science, d’intelligence et de sagesse, puis la doctrina sacra et la théologie qui en est la forme scientifique, sont à la fois spéculatifs et pratiques, tenant du point de vue supérieur de la science de Dieu une unité qui se romprait s’il s’agissait de science humaine. Cependant, la théologie est plus principalement spéculative que pratique, car 1. elle considère principalement les mystères de Dieu, devant lesquels l’intelligence croyante est spectatrice et non active ; 2. même en tiaitant de l’action humaine, elle la considère comme ordonnée à la béatitude, laquelle consiste en la connaissance parfaite de Dieu. Cf. S.Thomas, In I am Sent., prol., a. 2, ad 3um ; a. 3, qu. 1 ; Sum. theol., I », q. i, a. 4 ; II » -lI æ, q. iv, a. 2, ad 3um, et q. ix, a. 3.

Ainsi, il n’y a qu’une théologie, science du mystère de Dieu révélé. Cette théologie est principalement spéculative, mais elle est aussi imprescriptiblement pjatique, car Dieu révélé n’est pas uniquement un objet, il n’est pas connu adéquatement par nous s’il n’est connu comme notre fin. C’est pourquoi l’étude de Dieu comporte une morale dont l’objet est l’activité par laquelle fa créature raisonnable revient à Dieu comme à sa fin dernière, selon l’économie concrète qui est celle de ce monde de la faute et du rachat par le Christ. La théologie a donc pour objet d’abord la connaissance de son genus subjectum, ensuite une certaine constructio ipsius subjecti, à savoir la construction de Dieu en nous, ou plutôt la construction du Christ en nous. Certes, tant pour des raisons pédagogiques que pour des raisons tirées de la nature des objets, la morale et la dogmatique se distinguent en quelque manière ; la morale répond, dans la Somme de saint Thomas, à la II a pars ; la dogmatique à la I » et à la III a pars, cette dernière représentant d’ailleurs, en plusieurs de ses parties, l’achèvement de la morale. Mais on se tromperait gravement si l’on séparait dogme et morale comme représentant deux systèmes indépendants de connaissance : d’un côté la dogmatique, c’est-à-dire les considérations sur les mystères, parmi lesquels on rangerait le péché originel, la grâce, l’habitation de Dieu dans l’âme des justes ; d’un autre côté, la morale, c’est-à-dire un ensemble de règles pratiques le plus rapproché qu’il est possible des « cas » concrets de la vie réelle. Cette morale, coupée de l’étude de la grâce de Dieu et de la béatituæ où la considération des vertus théologales serait exténuée à l’extrême et celle des dons du Saint-Esprit omise, ne représenterait d’ailleurs guère qu’une casuistique et devrait recevoir, comme une annexe extrinsèque, des considérations d’ « ascétique », valables pour l’ensemble des fidèles, et des considérations de « mystique », concernant des cas particuliers et « extraordinaires ».

Un tel état de choses serait contraire à la vraie nature de la théologie et à celle de ses deux fonctions ou quasi-parties. Il serait contraire à son activité spéculative au regard du mystère de Dieu révélé qui est celui de Dieu béatifiant, de Dieu se communiquant aux hommes et constitué leur fin dernière. Il serait contraire à sa fonction pratique au regard de l’agir