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THÉOLOGIE. SON OBJET


sujet est aussi essentielle à l’unité de la science que l’unité de lumière ou d’objet formel quo. Aussi Aristote et saint Thomas disent-ils que les deux choses se répondent et que l’unité d’une science exige l’unité de son genus subjectum comme celle de son genus scibile. In II Anal., t. I, lect. 15 et 41. D’où le souci de saint Thomas, Sum. theoi, I », q. i, a. 3, ad l um et a. 7, de montrer l’unité du sujet de la sacra doclrina, l’unité de la réalité dont on y traite.

Cette réalité, en théologie, est Dieu lui-même. C’est de lui et finalement de lui seul qu’on traite dans cette science qui est un « discours sur Dieu », sur Dieu considéré non pas dans sa causalité, où on ne le connaît que d’une manière relative, non tanquam subjectum scienliir, sed tanquam principium subjecti, In Boet. de Trin., q. v, a. 4 ; Conl. Genl., t. II, c. iv, mais sur Dieu considéré en lui-même, dans son absolu, tel qu’il apparaît à son propre regard et tel qu’il ne peut être connu à d’autres que par révélation surnaturelle. La théologie a pour sujet la même réalité qui est le principe de notre béatitude, ce que la parole de Dieu nous révèle et à quoi adhère notre foi, illa quorum visione perjruemur in vila œlerna.

Cependant, objectera-t-on, elle traite également des anges, de la sainte Vierge, des hommes et de leur vie morale, de l’Église, des sacrements, etc. C’est vrai, et ces différentes réalités font, dans l’enseignement théologique, l’objet d’autant de « traités particuliers. Mais, comme le remarque saint Thomas, elle ne traite de ces réalités que sub ralione Dei, quia habent ordinem ad Deum ut ad principium et finem. Sum. theol., I », q. i, a. 7. La théologie n’est nullement faite d’une anthropologie, d’une angélologie, d’une étude des réalités sacramentaires poursuivies pour elles-mêmes. Elle est et elle est uniquement une étude de Dieu en tant que Dieu, sub ralione Dei. Mais, comme le monde entier a ordre à Dieu, ordre de procession comme à sa eause efficiente et exemplaire, ordre de retour comme à sa cause finale, la théologie considère aussi toutes choses en tant qu’elles vérifient à quelque degré la ratio Dei, en tant que Dieu est impliqué et comme investi en elles.

C’est le programme qu’a rempli saint Thomas, laissant cette idée toute simple organiser sa synthèse en ce plan de la Somme que le prologue de la I » pars, q. ii, énonce en termes si sobres. De même que par la charité nous aimons dans les créatures raisonnables le bien divin qu’elles possèdent ou dont elles sont capables, ainsi par la Révélation et dans la foi d’abord, puis d’une manière rationnelle dans la théologie, nous conons Dieu en lui-même et toutes choses en tant qu’elles ont rapport au mystère de Dieu et que, pour la béatitude des élus, elles sont associées à ce mystère. Ainsi, en traitant des anges, des sacrements, etc., la théologie garde-t-elle son caractère objectivement théologal.

C’est à cette constitution théologale de la théologie, tdence des objets de la foi, que se rattache la vue très profonde de saint Thomas, récemment remise en lumière, sur l’unité et l’ordre des dogmes ou articuli ftdei ; cf. I.. Charlier, Lssai sur le problème théologique, p. 123 136. La tradition théologique donnait une grande attention au texte de l’épître aux Hébreux sur la nécessite" de croire que Dieu existe et qu’il est rémunérateur de ceux qui le cherchent ». Hcbr., xi, G. Siiint rhomas donne de cette définition de saint Paul l’équivalent déjà noté : quorum visione prrjruemur m vila mterna < ! >cr qum ducimur ad uitam « ter nom. lour lui. toute la Révélation, toute la foi, et « loue toute la théologie se réfèrent à ce double objet : Dieu béatifiant, l’économie divine des moyens de la béatitude, e t-à-dirc encore au double mystère de l’un ; le mystère nécessaire de sa vie trinitaire et la

mystère libre de notre salut par l’incarnation rédemptrice. Tous les autres dogmes se ramènent à ces deux credenda essentiels. Les autres articles de foi ne sont, pour saint Thomas, que des applications ou des explications de ces deux articles essentiels. De veril., q. xiv, a. 11. C’est ainsi qu’il y a, dans la Révélation et donc dans la théologie, une hiérarchie, un ordre, où se manifeste l’unité du sujet dont on y traite. Nous verrons bientôt l’intérêt de cette vue pour la notion de la théologie comme science.

Au début du xixe siècle, plusieurs théologiens, héritant de la tendance à construire le donné dogmatique en « système », mais animant cette tendance par l’inspiration romantique du vital ou de l’organique, et par le point de vue philosophique d’une « idée » qui se développe dynamiquement, ont donné pour principe organisateur à la dogmatique, non pas le mystère de Dieu, mais la notion de Royaume de Dieu : ainsi J.-S. Drey, J. Hirscher, B. Galura, le cardinal Katschthalter, etc. Cf. J. Kleutgen, Die Théologie der Vorzeit, t. i, n. 152 sq. ; t. v, n. 297 sq. ; K. Wcrner, Geschichte der kathol. Theol. seit dem Trienter Concil, 1866, p. 258 sq. ; J. Diebolt, La théologie morale cathol. en Allemagne, p. 181 sq. ; J. Ranft, Die Stellung der Lehre von der Kirche im dogmatischen System, Aschaffenbourg, 1927, p. 3 et 113 ; F. Lakner, dans Zeilsch. f. kathol. Theol., 1933, p. 172 et 179 ; enfin, pour une critique, cf. H. Klee, Katholische Dogmalik, 3e éd., Mayence, 1844, t. i, p. 384. L’idée a été reprise de nos jours par L. Bopp, Théologie als Lebens-und Volksdiensl, 1935. Ces idées procèdent plus d’un point de vue descriptif et d’une organisation empirique des éléments de la dogmatique, que d’un point de vue véritablement formel : Altendenles ea quæ traclantur in ista scienlia, et non ad ralionem secundum quam considerantur. Sum. theol., I », q. i, a. 7.

Tout en se défendant de toucher à la question du subjectum de la théologie, le P. E. Mersch, S. J., a récemment repris une position très voisine de celle qui assignait pour objet à la théologie le Christus lotus. Voir Le Christ mystique centre de la théologie comme science, dans Nouv. revue théol., t. lxi, 1934, p. 449475 ; L’objet de la théologie et le « Christus totus », dans Recherches de science relig., t. xxvi, 1936, p. 129-157 ; cf. J.-A. Jungmann, S. J., Die Frohbotschaft und unsere Glaubensverkùndigung, Ratisbonne, 1936, p. 20-27. Le P. Mersch convient que Dieu en sa déité est le sujet de la théologie et le principe d’intelligibilité en soi de tout le révélé ; mais il pose la question de savoir quel est le mystère qui est pour nous le moyen d’accès et le principe d’intelligibilité de tous les autres, quelle est la doctrine qui, pour nous, fait l’unité de toute la dogmatique et représente le « premier intelligible » par rapport auquel tout le reste nous est accessible et systématisable : et il répond que c’est la doctrine du Christ mystique, Christus lotus. Il n’a pas de peine à montrer que les autres mystères ont tous rapport au mystère du Christ mystique, qui est bien le mystère central.

Il est vrai qu’au point de vue d’une union effective et d’une assimilation vitale à ces mystères, la Trinité et la grâce ne nous sont accessibles que par le Christ et dans le Christ. Dans cet ordre de l’union « le charité et de vie, dans l’ordre de la perception des mystères par la oie mystique, il est bien vrai que la réduction au Christ » est moyen et mesure ; mais c’est là un autre point de vue que celui de la science théologique, laquelle regarde les mystères et le Christ lui-même par mode intellectuel, notionnel. spéculatif, et mm par mode allcctif < vltaL II ne serait pas difficile de montrer que, dans la thèse du I’. Mersch. il ; i un bll parfaitement conscient, semble-t-il, des deux points de vue : cf. se p. 154 et 471-475. Si donc l’on ne veut