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    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. ACTIVITÉ DE LA RAISON

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ces de lumière et d’ordre qu’elle a reçues de Dieu comme sa loi constitutive, elle est bien obligée d’apporter, dans la considération des objets de connaissance nouveaux que la foi fait habiter en nous, ses exigences natives d’intelligibilité et d’ordre : exigences auxquelles l’œuvre de Dieu, la Parole de Dieu, la Révélation et la foi ont de quoi satisfaire. Ce qui est donné simplement à l’homme pour son salut, sa raison devenue croyante le considérera à sa manière à elle, l’explicitera, le traduira en concepts et en définitions conformes à ses besoins, le construira surtout en un corps ordonné de vérités et d’énoncés où ce qui est premier en intelligibilité sera donné comme fondement à ce qui est second, la hiérarchie des choses se reconstruisant ainsi en un ordre qui s’efforce de reproduire, en en cherchant les indices dans les choses et dans la Révélation, l’ordre de la science créatrice de Dieu. Nous verrons bientôt à quoi ce programme engage.

Exigenre d’unité.

La seconde exigence est encore

commune à la foi et à la raison : c’est celle de l’unité dans les objets de connaissance. D’une part, en effet, la raison ne peut admettre la théorie de la double vérité ; elle ne se résoudra jamais à penser que ce qui est certain et démontré pour elle dans l’ordre de la vérité spéculative, puisse être nié ou contredit par la foi. Aussi cherchera-t-elle toujours à constituer une certaine unité avec les connaissances qu’elle tient de ses évidences ou de ses démonstrations et l’apport nouveau d’objets et d’énoncés dont la foi est en elle la source. S’il lui est révélé que Dieu s’est fait homme, elle cherchera à penser ce mystère avec ce qu’elle sait de l’homme ; et de même appliquera-t-elle aux sacrements, à la morale évangélique, à la théorie de la justification, etc., les différentes notions qui lui semblent intéressées par les réalités que la foi lui fait tenir. Or, cette foi, de son côté, n’est pas moins exigeante d’unité dans la connaissance. Elle est, en effet, dans le croyant, non pas un domaine à part et comme une nouvelle spécialité qui viendrait s’ajouter aux autres et leur demeurerait étrangère ; elle est une nouveauté, mais elle est aussi totale et, modifiant l’homme tout entier, elle tend à se subordonner et à s’annexer en lui tout ce qu’il y a de connaissances certaines comme tout ce qu’il y a d’activité morale. Et par exemple, Dieu ne peut pas, en elle, se révéler comme devenu homme sans que les certitudes authentiques de l’esprit au sujet de ce qu’est essentiellement un homme, ne se subordonnent à cette révélation et ne demandent à entrer, avec le mystère révélé, dans un ordre de connaissance qui soit un.

Par ailleurs la confrontation entre les choses révélées et les acquisitions rationnelles, entraîne fatalement des heurts, au moins apparents. Nouvelle nécessité, pour le croyant, de mettre sa raison en rapports avec sa foi et de lui faire exercer, à l’égard de l’enseignement chrétien, une activité de défense qui est une nouvelle forme d’application de la raison aux choses de la foi. À ces différents titres, l’enseignement révélé se développe et rayonne dans la raison humaine comme telle et tend à prendre une forme proprement rationnelle, discursive et scientifique, qui est la théologie.

II. LA LUMIÈRE DE LA THÉOLOGIE ET LES DIFFÉ-RENTES FORMES DE L’ACTIVITÉ DE LA RAISON DANS

LA foi. — Nous pouvons, ayant vu sa genèse et par là même sa nécessité, définir quelle est la lumière propre de la théologie, son lumen sub quo. C’est la Révélation surnaturelle reçue dans la foi, en tant que s’exprimant et se développant dans une vie intellectuelle humaine de forme rationnelle et scientifique : Revelalio virtnalis, disent les commentateurs de saint Thomas depuis Banez. Ce n’est donc proprement ni la lumière de la raison, car la théologie ne vit que de la foi, ni la lumière de la foi, car la théologie se constitue par une

activité rationnelle s’appliquant au donné de la foi, mais c’est une lumière qui se forme par l’union vitale et organique des deux : la lumière de la foi en tant qu’elle se conjoint celle de la raison, l’informe, la dirige et se sert d’elle pour constituer son objet en un corps de doctrines de forme rationnelle et scientifique. Cet usage de la raison dans la foi, qui e^t l’œuvre théologique, se fait de différentes manières, qu’il nous faut exposer rapidement.

1° Établissement des « præambula ftdei ». — Une première manière est de fournir des démonstrations rationnelles rigoureuses des préambules de la foi : existence de Dieu, unité de Dieu, création ex nihilo, immortalité de l’âme, etc. S. Thomas, In Boet. de Trin., q. ii, a. 3 ; In III um Sent., dist. XXIV, a. 1, sol. 1.

Défense des vérités chrétiennes.

Une seconde

manière concerne la défense des vérités chrétiennes, et elle comporte deux activités différentes : une activité s’appliquant à démontrer la crédibilité rationnelle du dogme et du magistère catholiques pris dans leur ensemble, cf. ici, art. Crédibilité, t. iii, col. 2201 sq., une activité s’appliquant à défendre chacun des dogmes pris en particulier. La première activité fait l’objet d’une partie spéciale de la théologie, l’apologétique, ou théologie fondamentale. La seconde se répartit tout au long de la théologie ; il revient, en effet, à celle-ci, après les avoir contemplés et construits rationnellement, de défendre chacun des dogmes en particulier contre les objections de la raison ou des sciences humaines. Dans cette activité de défense particulière de chaque dogme, la théologie ne peut apporter de preuves rigoureuses, positives et directes de la vérité des mystères ; elle peut seulement suggérer la convenance rationnelle de ces mystères, et montrer, en résolvant les objections proposées, qu’il n’est pas absurde de tenir, par la foi, la vérité de ces choses. S. Thomas, In Boet. de Trin., q. ii, a. 1, ad 5um ; a. 2, ad 4um ; a. 3 ; Sum. theol., I a, q. i, a. 8 ; Conl. Cent., I. I, c. vin et ix. C’est aussi ce que suggèrent les interventions du magistère condamnant Rosmini pour avoir voulu démontrer indirectement la possibilité de la Trinité. Denz., n. 1915.

Construction du révélé.

Mais la manière de beaucoup

la plus importante dont le travail rationnel s’applique à l’enseignement chrétien se réfère à la construction intellectuelle des mystères en un corps de doctrine. Car les mystères sont cohérents entre eux et cohérents aussi avec les réalités naturelles et les énoncés certains de la raison. C’est de cette connexion des mystères entre eux et de cette sorte de proportion qu’ils ont avec les choses que nous connaissons, que vit la théologie ; ce sont elles qui, sous le nom d’analogie de la foi, inspirent la charte donnée par le concile du Vatican au travail théologique. Cf. encore encycl. Providenlissimus, Denz., n. 1943 ; serment antimoderniste, Denz., n. 2146.

1. Rôle de l’analogie.

Aliquam mysteriorum intelligenliam ex eorum quæ naturaliter (ratio) cognoscil analogia. Il ne s’agit pas ici de démontrer les mystères, mais, ceux-ci étant connus par la foi, de s’en procurer quelque intelligence en recourant aux choses, aux lois, aux rapports qui nous sont connus rationnellement et avec lesquels les mystères ont une certaine similitude ou proportion. Cette justification repose tout entière sur la validité de la connaissance analogique et donc, d’une part, sur l’unité relative ou proportionnelle du monde naturel et du monde surnaturel et, d’autre part, sur la portée transcendante de la connaissance humaine. Ce second point est une question de philosophie. Le premier aussi pour une part, car il est lié à notre idée d’être, aux exigences et à la justification de cette idée ; mais il est aussi une vérité théologique, découlant de la Révélation