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THÉOLOGIE. LA CRISE MODERNISTE


théologiens catholiques de Tubingue. d’un autre côté Strauss et Renan ; dans une a ! niosphère beaucoup plus pure chez Newman, indépendant de ces influences. Ce point de vue, qui s’appliquait aussi bien à la Révélation, à l’histoire d’Israël, au christianisme, à ses dogmes et à ses institutions, demandait qu’on lui fît place dans les sciences théologiques. Ainsi se cherchait une issue l’incoercible sentiment du développement ; ainsi tendait à s’achever l’effort de l’humanisme. Sous ces influences, la tâche de l’ancienne théologie historique ou positive se présentait dans des conditions nouvelles. Il ne pouvait plus être question de justifier par des textes anciens les doctrines ou les institutions actuelles, à la manière de l’ancienne positive, celle des Perpétuité de la foi. Rien ne marque mieux la différence de perspectives entre l’ancienne recherche et celle qui s’amorçait que la confrontation de ces deux textes que cite Mgr Ratiffol, dans Bulletin de littér. ecclés., 1905, p. 159 : Bossuet : « La vérité catholique venue de Dieu a d’abord sa perfection » ; Newman : « Aucune doctrine ne paraît achevée dès sa naissance et il n’en est aucune que les recherches de la foi ou les attaques de l’hérésie ne contribuent à développer. » Au temps même de Newman, l’ancienne conception des choses était représentée par Perrone, puis par Franzelin, chez qui la connaissance des textes n’avait, en somme, d’autre rôle que de fournir un matériel de preuve, et parfois même simplement de citations, aux « thèses » de la théologie spéculative, selon le schème, patronné par Perrone, du triple Probatur ex Scriplura, ex Traditione, ex ratione. Le travail positif se présentait maintenant comme une pure recherche historique visant à connaître le passé d’après les documents qui nous en sont restés, et à dire simplement ce qui a été. Un tel travail est de pure histoire. Quelle serait sa situation par rapport à la théologie, et qu’adviendrait-il si ses résultats ne concordaient pas avec les exigences de la science sacrée ? La crise ne pouvait manquer de s’ouvrir tôt ou tard. Le problème devait être débattu au moment de la crise moderniste, sous la forme de discussions sur la vraie nature de la théologie positive, sur ses rapports avec la théologie spéculative, sur la liberté de la recherche historique.

Sur la critique biblique et historique au xixe siècle : P. Fredericq, L’enseignement supérieur de l’Iiistoire. Notes et impressions de voyage, Gand et Paris, 1899 ; J. Bellamy, La théologie catholique au XIX’siècle ; M. Goguel, Wilhelm Herrmann et le problème religieux actuel, Paris, 1905 et, dans une manière assez différenle, A. Houlin, La controverse de l’apostolicité des Églises de France au XIX » siècle, Paris, 1901 ; La question biblique chez les catholiques de France au XIX’siècle, Paris, 1902.

Sur le sens et les théories du développement : J.-H. Newman, An essag on the development oj Christian doctrine, 1845 ; Ed. Vermeil, J.-A. Mohler et l’école catholique de Tubingue (1815-1840), Paris, 1913 ; J. Guitton, La philosophie de Newman. Essai sur l’idée de développement, Paris, 1933 ; H. Tristram, J.-A. Mohler et J.-H. Newman, dans Hevue des sciences philos, et théol., t. xxvii, 1938, p. 184204 ; R. Draguet, L’évolution des dogmes, dans Apologétique, publiée sous la direction de M. Brillant et M. Nédoncelle, Paris, 1937, p. 1166-1192.

Les problèmes nouveaux : A. Ehrhard, Stellung und Aufgabe der Kirchengeschichte in der Gegenwart, Stuttgart, 1898 ; P. Batillol, Pour l’histoire des dogmes, dans Bulletin de littér. ecclés., 1905, p. 151-164.

4° La crise de l’enseignement des sciences théologiques et le modernisme. — En face des besoins nouveaux, l’état de l’enseignement et des travaux catholiques dans le domaine des sciences religieuses était assez déficitaire. Les manuels de l’enseignement théologique, résumés squelettiques des ouvrages de l’époque précédente, F. Lenoir, De la théologie du XIX’siècle. Élude critique, Paris, 1893, p. 27-29, étaient presque totale ment étrangers aux besoins nouveaux. Aussi les dernières années du xixe siècle et les premières du xxe devaient-elles voir se produire toute une littérature sur les programmes des études ecclésiastiques et leur réadaptation. Les revendications, en ce domaine, touchaient parfois à la forme et au genre plutôt qu’au fond, mais elles posaient aussi des questions de structure au bénéfice de l’histoire, des sciences positives, des sciences tout court, avec, parfois, quelque méconnaissance des valeurs spéculatives et de la scolastique.

C’est le même état de choses qui est à l’origine de la crise moderniste, que nous n’avons à évoquer ici que par le côté où elle intéresse la conception qu’on s’est faite alors de la théologie. La crise moderniste est née des tentatives faites par divers savants ou penseurs catholiques pour résoudre les questions posées par l’inadéquation que l’on croyait voir entre les textes ou les faits et les doctrines ecclésiastiques correspondantes. Pour apporter aux problèmes ainsi posés une solution que les théologiens n’avaient pas assez préparée, ceux qu’on peut appeler modernistes vont étudier les bases de la connaissance religieuse et donc les principes de la théologie, en opérant, au nom de l’histoire, une réduction critique de ce que cette connaissance a d’objectivement absolu ; ainsi proposera-t-on une nouvelle manière de justifier l’accord entre les affirmations de la doctrine et les faits historiquement connus. Cette nouvelle manière consistera toujours à remplacer le rapport d’homogénéité objective des concepts dogmatiques et des notions théologiques, d’une part, et l’état primitif du donné, de l’autre, par un rapport de symbole à réalité. Toujours les modernistes disjoignent le fait primitif, divin, et donc absolu, et son expression intellectuelle considérée comme relative, variable, soumise aux vicissitudes de l’histoire. D’où, avec des nuances diverses, leur commune critique de l’intellectualisme et de la scolastique, à peu près identifiés.

Un des malheurs des modernistes fut qu’ils ne surent pas distinguer la théologie et le dogme. À vrai dire la distinction n’était pas alors, pratiquement, aussi nette qu’aujourd’hui : ce fut l’un des bénéfices de cette crise, que de mieux faire distinguer les plans. Chez Tyrrell et M. Le Roy surtout, la confusion est flagrante. Ils veulent, et à bon droit, éviter le blocage entre l’absolu de la foi ou de la Révélation et la théologie de saint Thomas, ou en général celle du xiiie siècle, avec son intellectualisme particulier, son appareil conceptuel et philosophique, etc. ; mais, pour rejeter cette théologie particulière, ils croient devoir dégager le révélé et le dogme lui-même d’un contenu et d’une valeur proprement intellectuels.

La théologie, dans cette perspective, ne peut plus être la construction scientifique et l’élaboration humaine des énoncés révélés ; elle est une interprétation, une construction scientifique, une élaboration humaine des affirmations chrétiennes, et elle n’est plus que cela. Entre elle et ce qui procède de Dieu vers l’homme et que nous appelons Révélation, il n’y a plus cette continuité de contenu objectif et spéculatif dont la théologie doit vivre, sous peine de ne pas exister comme théologie. La Révélation, chez A. Loisy, n’est que les intuitions religieuses de l’humanité prenant place dans l’effort de l’homme vers le vrai et le parfait ; le dogme n’est que l’explication autorisée des assertions primitives de la « foi », c’est-à-dire de la conscience religieuse. Chez Tyrrell, elle est un phénomène « prophétique » et moral intérieur ; pour l’Église, en garder le dépôt, c’est seulement garder l’héritage d’une inspiration ; les formules dogmatiques qui se font jour au cours des siècles ne sont qu’une expression utile de ce que nous sommes portés à penser