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THÉOLOGIE. LES SPÉCIALISATIONS


lignée de disciples authentiques procède aussi de lui ; il a créé le traité scientifique et critique de la méthodologie théologique, et tous les De lotis sont tributaires du sien : cf. A. Lang, Die loti…, p. 228, n. 1, et p. 243 ; M.-J. Scheeben, La dogmatique, trad. fr., t. i, p. 11.

2. Désagrégation de l’ancienne unité de la théologie. Les spécialisations nouvelles. — Chez beaucoup, l’effort de réponse aux requêtes nouvelles se fait non dans le sens du maintien de l’unité, mais dans celui d’une spécialisation et d’un morcellement. Le fait est général et caractéristique de l’époque moderne à la fin du xve siècle : la désagrégation de la synthèse médiévale. Mais tout n’est pas « désagrégation » dans le processus que nous allons analyser et le fait de spécialisation qui s’y manifeste est, pour une grande part, la conséquence normale et bienfaisante des nouvelles acquisitions qui constituent le progrès.

Très tôt, le travail théologique perd son unité et se morcelle en spécialités. Cf. A. Humbert, op. cit., p. 3. Certes, la tradition de l’École continue : on rédige des Cursus ; non seulement on commente la Somme de saint Thomas, mais, jusqu’en plein xvii c siècle, on commente encore les Sentences : ainsi Estius († 1613). Mais, la plupart du temps, les traités qu’on publie portent diverses épithètes, qui accusent la spécialisation des objets ou des méthodes : theologia biblica, catholica, christiana, dogmatica, fundamentalis, moralis, mystica, naturalis, polemica, positiva, praclica, scholastica, speculativa…, etc. Cf. une liste plus complète dans O. Ritschl, Literarhistorische Beobachtungen ùber die Nomenklatur der theologischen Disziplinen im 17. Jahrhundert, dans Sludien z. systematischen Théologie, Festgabe Th. von Hæring, Tubingue, 1918, p. 76-85. Pour ne prendre que cet exemple, le jésuite T. Lohner publiera, en 1679, des Institutiones quintuplicis théologies, et ces cinq théologies seront : positiva, ascetica, polemica, speculativa, moralis. Nous nous en tiendrons ici aux trois divisions de la théologie caractéristiques de la théologie moderne, en scolastique et mystique, dogmatique et morale, enfin et surtout scolastique et positive.

a) Théologie scolastique et théologie mystique. — Chez un saint Thomas, un saint Bonaventure, la mystique est intégrée à la théologie ; dans un état de la théologie où celle-ci remplit toutes les obligations de sa fonction de sagesse, une théologie mystique ou spirituelle n’avait pas à se constituer à part. C’est cependant ce qui arriva à partir surtout du xve siècle. Cf. A. Stolz, Anselm von Canterburꝟ. 1938, p. 37-38. Vers la fin du xvie siècle apparaîtront les Exercices de saint Ignace, puis un peu plus tard les écrits du Carmel réformé, puis ceux de saint François de Sales, types d’ouvrages spirituels qui sont des chefs-d’œuvre, mais qui n’émanent pas de la théologie spéculative classique comme de leur source immédiatement inspiratrice et dont la valeur, semble-t-il, déborde de beaucoup la valeur de leurs auteurs comme théologiens proprement dits. Cf. J. Wehrlé, Le doctorat de saint Jean de la Croix, dans Revue apologétique, t. xlvii, 1928, p. 5-22. Significatif est le fait que, dans leurs Tabulée fontium traditionis christianse, les PP. Creusen et Van Eyen aient éprouvé le besoin, à partir du xve siècle, d’ouvrir une nouvelle colonne pour y classer les écrits sous la rubrique de Theologia ascetica et mystica. Une spécialité nouvelle se crée dans la théologie et, serait-on tenté de dire, se sépare de la théologie : à la théologie scolastique va s’opposer une théologie mystique ou affective qui aura ses docteurs, ses ouvrages, ses sources et son style.

Le vocable de « théologie mystique », patronné par Denys, est courant depuis longtemps ; dans son opposition à « scolastique », il se réclame surtout de

Gerson, comme on le voit, par exemple, dans le Lexicon theologicum de Jean Altenstaig, Anvers, 1576, s. v. Les expressions théologie ascétique ou théologie spirituelle sont plus tardives. Cf. J. de Guibert, La plus antienne « Théologie ascétique », dans Revue d’ascét. et de myst., t. xviii, 1937, p. 404-408.

Chez les dominicains, un effort fut tenté pour satisfaire aux requêtes du mouvement spirituel tout en conservant à la théologie son unité. L’intention de parer à une disjonction entre une spéculation scolastique subtile et desséchée, d’une part, une spiritualité pure, d’autre part, est très nette chez Contenson qui veut, dans sa Theologia mentis et cordis, rendre à la théologie dont on se détourne parce qu’elle ne nourrit pas l’âme, sa valeur spirituelle : cf. op. cit., t. I, diss. I, c. i, specul. 1, appendix n. Massoulié, qui achèvera l’œuvre interrompue de Contenson, sera plus fortement encore soucieux de réintégrer dans la théologie la matière de la vie spirituelle. Quelques années avant Contenson, L. Bail avait publié la Théologie affective ou saint Thomas en méditations, Paris, 1654, et quelques années auparavant encore, Louis Chardon avait donné sa Croix de Jésus, 1647 ; cf. l’Introduction écrite par le P. Fr. Florand pour la réédition de La Croix de Jésus, Paris, 1937, p. lxxii sq., et, du même, l’Introduction aux Méditations de Massoulié, Paris, 1934, p. 94.

Théologie « affective » s’entend ici non plus d’une théologie expérimentale des choses de Dieu, mais d’une théologie dogmatique traitée dans un esprit de piété et d’édification. En réalité, nous tenons, avec le chef-d’œuvre de Chardon, un type intermédiaire de théologie. Certes, il s’agit pour lui de puiser dans l’étude contemplative des mystères l’explication et la régulation des choses de la vie spirituelle. Mais le choix des mystères contemplés, le choix des « thèmes » de la contemplation et l’orientation de l’étude viennent chez Chardon, non du donné théologique tel quel, pris dans son objectivité, en soi et selon sa pure vérité d’objet ; ils viennent de l’expérience spirituelle ou de la connaissance des âmes acquises par le directeur spirituel. C’est une théologie dont le « lieu théologique » finalement décisif est l’expérience des « âmes saintes », et non la pure vérité révélée, objectivement contenue dans les lieux théologiques classiques. Cf. J.-M. Congar, La Croix de Jésus du P. Chardon, dans la Vie spir., avril 1937, suppl., p. 42-57.

Signalons ici d’un mot la position méthodologique de Contenson dans sa Theologia mentis et cordis. Il dépend de la tradition de Salamanque et cite Soto, Médina, Cano. Conformément à cette tradition, il souligne fortement la liaison de la théologie à ses sources et son homogénéité à la foi ; il mêle au raisonnement des citations de l’Écriture et des Pères. Mais son intention propre est de réintégrer à la scolastique, dans une unique théologie, les éléments spirituels et les valeurs mystiques. Il définit l’objet formel quo de la théologie par la revelatio virtualis. L. I, diss. I, c. i, specul. 3. Il souligne si fortement l’homogénéité de la théologie à la foi que le raisonnement lui semble être une pure condition d’application des prémisses de foi, en sorte que l’assentiment final ne relève, comme de sa cause véritable, que des vérités de foi, ibid., c. ii, specul. 3 ; position qui sera reprise par Schæzlcr, et, à sa suite, par le P. A. Gardeil. Enfin, Contenson, isolé en ceci, veut que la théologie soit un habitus entitative supernaturalis, acquis cependant, ibid., opinion à laquelle il est entraîné par cette vue très aiguë qu’il a de la continuité objective entre la théologie et la foi.

b) Dogmatique et morale. — On signale souvent la rupture qui s’est introduite, dans la théologie posttridentine, entre le dogme et la morale. Il n’est pas