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THÉOLOGIE. PROBLÈMES NOUVEAUX


VII. Problèmes nouveaux et lignes nouvelles de la théologie modehne. — L’époque à laquelle nous arrivons est caractérisée, en sa notion de la théologie, comme d’ailleurs en tout, par 1. la naissance de problèmes et de besoins intellectuels nouveaux ; 2. par la dissociation de la synthèse et de l’unité caractéristiques du Moyen Age, et ceci en tous les domaines ; 3. par la naissance de formes nouvelles d’activité et de recherche. Ces dissociations, commencées au xve siècle, continueront de s’opérer activement jusque vers le milieu du xixe siècle où commenceront à s’élaborer des tentatives de nouvelle synthèse.

Après avoir évoqué rapidement les problèmes nouveaux qui se posent nous exposerons les réponses qui furent taites et qu’on peut classer en cinq types : humaniste, luthérienne, scolastique traditionnelle, mystique, scolastique progressiste.

A. Humbert, Les origines de la théologie moderne, i. La renaissance de l’antiquité clirétienne ( 1450-152 1), Paris, 1911 ; Ch. Gœriing, La théologie d’après Érasme et Luther, Paris, 1913 ; A. Renaudet, l’réréjorme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d’Italie ( 14U4-1517), Paris, 1916 ; A. Lang, Die Loci theologici des Melchior Cano und die Méthode des dogmatischen lïeweises, Munich, 1925 ; K. Escliweiler, Die zu>ei Wege der neueren Théologie. Einc kritische Untersuchung des Problems der theologischen Hrkenntuis, Augsboutg, 1926 ; P. Polman, L’élément historique dans la controverse religieuse du A’K/e sièo/e, Gembloux, 1932.

I. LES PROBLÈMES ET LES BESOINS.

C’est un fait

qu’à la fin du xve siècle, pour de nombreuses consciences, les formes anciennes de la synthèse médiévale ne paraissent plus satisfaisantes. On éprouve le besoin de renouveler, de trouver pour la vie et la pensée des formes nouvelles. C’est alors que prend naissance une des catégories caractéristiques de la « conscience moderne », celle d’un passé périmé, dont on a définitivement tourné le cap, et de l’entrée dans une ère nouvelle et définitive.

Cette époque, marquée par un besoin général de renouvellement, nous paraît poser trois problèmes, d’ailleurs solidaires, où la théologie classique se trouve mise en question jusqu’en sa structure : un besoin spirituel et vital ; la nouveauté du contact critique avec les textes et du sens historique ; une orientation culturelle et anthropologique nouvelle.

1. Un besoin spirituel et vital.

Le nominalisme et la scolastique excessivement dialectique et subtile du Moyen Age déclinant aboutissaient, chacun de son côté, à disjoindre l’intellectuel et le religieux : le nominalisme. bien qu’il se doublât d’une attitude religieuse profonde, disjoignait l’objet de la religion et l’orcirc de notre connaissance et se rendait incapable de constituer pour le croyant un statut religieux intellectuel ; la scolastique décadente se développait d’une façon excessive et presque exclusive au p ; an aes conclusions systématiques et ainsi elle étouffait les intuitions religieuses indispensables à la théologie. On est frappé, à la fin du xv c siècle, de voir que la spéculation, comme la lutte des écoles, se place presque uniquement sur le terrain de la philosophie, le thomisme et le scotisme, par exemple, étant entendus en fonction des positions philosophiques de saint Thomas ou de Scot, beaucoup plus qu’en fonction de leur synthèse théologique. Aussi, quano on éprouvait le besoin de dépasser le plan de la ratio, pour retrouver celui de Y intel’.eclus, des intuitions dont aucune pensée discursive ne dispense, on était tenté de recourir non à la théologie, mais à un mysticisme tel que celui des Alexandrins (ainsi faisait-on à Florence), de Raymond Lulle, de Nicolas de Cues (ainsi Lefèvre d’Étaples, par ailleurs aristotélicien assez littéral), de Dcnys l’Aréopagite, voire d’Albert le Grand. On considérait encore Aristote comme maître de l’appareil conceptuel et dialectique ; on

demandait à d’autres et l’on cherchait ailleurs que dans la théologie les éléments d’une connaissance supérieure. On sent partout la recherche d’un contact plus direct et plus simple avec l’objet religieux, l’aspiration à rendre aux âmes cet objet en un état de certitude, c’est-à-dire de pureté, et sous un mode non plus philosophique ou intellectuel, mais religieux, chaud, consolant.

2. La nouveauté du contact critique avec les textes et du sens historique. — A. Humbert a décrit le mouvement de retour aux sources, c’est-à-dire surtout aux textes et d’abord au texte de la Bible, qui se fait jour alors partout. Cela commence dans les premiers travaux de. philologie et d’érudition critique, avec Pic de La Mirandole et Ficin, en Italie, de qui procèdent plus ou moins directement un John Colet en Angleterre, un Lefèvre et un J. Clichtoue en France, un Reuchlin en Allemagne et finalement Érasme lui-même. De là toute une activité d’édition de textes, la fameuse édition du Nouveau Testament en grec par Érasme, 1516, et les innombrables publications des écrits des Pères qui se firent alors, en particulier à Bâle.

Certes les textes, Bible et Pères, étaient fort loin d’être ignorés de la scolastique ; on a remarqué que, bien souvent, les humanistes ne firent qu’imprimer des manuscrits du Moyen Age. Mais, dans ce recours au texte, dans cette fréquentation des auteurs, la génération de 1500 apporte un point de vue nouveau. Klle inaugure une lecture des textes faite d’un point de vue non plus intemporel et inconditionné, mais historique, du point de vue non plus d’une tradition acquise, mais critique et euristique. Et d’abord, il faut être sûr de son texte et que ce texte est bien de l’auteur. D’où tout un travail de critique textuelle et littéraire, d’édition, d’interprétation critique, avec recours au contexte historique, philologique, etc. C’est cela qui marque la différence, dans la façon d’aborder le même texte biblique, entre Nicolas de Lyre, soucieux du seul sens théologique, et Laurent Valla ou à plus forte raison J. Colet et Érasme. Celui-ci s’élève en particulier contre les théologiens qui empruntent quelques mots à l’Écriture et les accommodent à leur doctrine, sans s’inquiéter du contexte de ces mots et de leur sens dans ce contexte. Encomium Morias,

c. LXIV.

3. Une orientation culturelle et anthropologique nouvelle. — W. Dilthey, E. Cassirer et après eux K. Eschweiler ont écrit sur l’homme nouveau de la Renaissance, caractérisé par le point de vue subjectif. Nous ne retiendrons ici que quelques traits qui intéressent immédiatement la conception du travail théologique. L’homme est conçu moins volontiers selon ce qu’il y a en lui de spéculatif et de rationnel ; on a moins de confiance en la preuve logique et l’on tend à substituer à l’esprit déductif et spéculatif un esprit plus intuitif et plus vital. Au cours du xviie siècle et ensuite, cette tendance reparaîtra comme le besoin de ne pas distinguer seulement, dans l’ordre des objets, entre le domaine des vérités de la foi et le domaine des vérités de la raison, mais, dans les conditions subjectives, entre le mode propre de la connaissance religieuse et le mode propre des activités rationnelles.

Ceci est fort important et intéresse la théologie non du dehors, mais structurellement. Car la théologie, par définition, implique à sa racine l’acte de foi et dans son élaboration un usage de l’esprit humain. Or, la poussée que nous signalons tend à modifier plus ou moins la notion de ces deux éléments : celle de l’acte de foi et celle du travail humain et des actes de l’esprit. Les requêtes nouvelles, peu développées dans la religion des pays demeurés catholiques, se développeront plutôt dans les pays germaniques et anglo-saxons, passés en grande partie au protestantisme, et elles en