méthode, un danger d’en venir à pratiquer la théologie d’une manière purement dialectique et déductive, les textes bibliques ne venant plus qu’à titre décoratif, d’une façon accidentelle.
On pourrait faire des remarques semblables au sujet de l’usage des écrits des Pères. Alors que les grands scolastiques des xii et xiiie siècles lisaient souvent les Pères dans le texte ou la traduction latine, originalia, on en arrive, au cours des xive et xv c siècles, à ne lire que des extraits et à revenir au régime des excerpla ou des deflorationes. D’où un regrettable développement d’une méthode dont la meilleure scolastique n’avait pas été totalement exempte et dont la scolastique de nos jours ne s’est pas encore complètement guérie et qui consiste à citer, à l’appui d’une thèse systématique développée pour elle-même et par des procédés purement logiques, un ou deux textes fragmentaires, extraits d’extraits, empruntés à des auteurs de contexte historique fort divers et qui, traités ainsi, ne représentent qu’une caricature du donné positif.
Rappelons-nous comment les théologiens de la fin du xiii c siècle fondaient le caractère scientifique de la théologie en disant qu’elle est une scienlia consequentiarum, et non une scienlia consequentium, c’est-à-dire une perception de la vérité non des choses elles-mêmes, mais de la démonstration des conclusions. Position, à coup sûr, irréprochable dans la mesure où on demeurait fidèle à un contact sans cesse enrichi et renouvelé avec le donné positif, scripluraire et patristique. Au cours des XIVe et xv° siècles, ce contact se faisant moins actif, le danger s’accusait en proportion de s’attacher plus à la construction systématique et à son appareil dialectique qu’à la perception des mystères dont doit vivre la foi. L’objet de la sacra doctrina risque ainsi de devenir non plus les choses essentiellement religieuses, mais les propositions plus ou moins rationnelles. C’est essentiellement contre cela que se fera, d’abord, la réaction de l’humanisme et même celle de Luther. Aussi peut-on dire que le défaut ou la déviation que nous venons de signaler, dans la mesure où ils furent effectifs, constituent la responsabilité de la scolastique dans les grandes déchirures du xvi c siècle.
2° Danger de subtilité’inutile.
La méthode dialectique
de la quæstio était sans aucun doute un grand progrès. Elle offrait cependant un risque, celui de se développer pour soi-même et d’envahir tout le champ du travail théologique. Kn effet, tout peut être mis en « question et, une question résolue, on peut en soulever quantité d’autres sur chacun de ses éléments et ainsi à perle de vue. Que l’on arrive, à partir d’une considération fruste et globale, à analyser tous les aspects et à envisager toutes les difficultés d’un sujet par la méthode dialectique de la quxslio, il y a là un bienfait. Mail la méthode risque de continuer à fonctionner pour elle même. Historiquement, ce danger s’est présenté après chaque progrès de la met hode dialecl Ique : ainsi, au xir siècle, où Jean de Salisbury donne un très silr diagnostic du mal. M. Grabmann, Gesch. d. schnl. Meth., t. ii, p. 112 sq., 516 et 522 523. Mais les Cornificiens » ont survécu et se renouvellent d’Age en tre ceux de leur temps que réagiront surtout les humanistes o ologiens soucieux de
taire droit à leurs plaintes, par exemple Cano, De
tocis theol., I. IX, c. vu ; I. XII, c. v. Si l’excès de sens
historique i ses inconvénients, l’érudition fin en soi
ei l’historicisme, l’absence de sens historique a aussi
Ique médiévale, les difficultés
que pouvaient soulever l< lutorités
irticulier, ont été trop fréquemment résolues, non’eii’i, avec h-relativisme
qu’implique, en vi loyale méthode, mais par
des distinctions s’établissant à un plan idéologique intemporel.
Les grands théologiens médiévaux ont généralement évité de s’engager dans la voie d’une application intempérante de la méthode dialectique et du procédé de la quæstio. Mais le risque de vaine curiosité et de subtilité dialectique n’était pas imaginaire, comme le montrent des avertissement tels que celui-ci, formulé par le chapitre général des frères prêcheurs de 1280 : Monemus quod lectores et magislri et jratres alii quæstionibus theologicis et moralibus potias quam philosophicis et curiosis intendant. Acta capit. gen., éd. Reichert, t. i, p. 209.
3° Danger de cristallisation en systèmes pétrifiés.
Ce danger découle du précédent. Chez les grands scolastiques,
le système vit des grandes intuitions génératrices,
comme l’appareil dialectique est au service de
problèmes réels. Mais les maîtres font école et il se
trouve, parmi leurs disciples, ceux qui s’appliquent
surtout à exploiter et plus encore à fixer, gloser et
défendre leurs conclusions. Il y a « scolastique » au
sens étroit et péjoratif du mot, quand, au lieu de
sentir quel est le sens profond des problèmes, on
traite ceux-ci d’une façon purement académique ;
quand, au lieu de vivre des principes pour son
propre compte, on discute pour les conclusions d’un
autre, pour les conclusions tenues dans un groupe,
avec l’âpreté et l’étroitesse, le formalisme et l’impuissance
à assimiler, qui sont en tout ordre de choses les
marques de l’esprit de corps. Ce n’est pas un hasard
si le nom de « scolastique » est lié à celui d’ « école ». On
a remarqué justement qu’en se développant dans des
écoles, en devenant une affaire de magislri, la théologie
avait aussi perdu le contact avec la vie de l’Église
et était devenue une affaire de spécialistes. El comme,
de fait, le clergé diocésain eut toujours beaucoup de
mal à donner des théologiens, comme les écoles de
théologie furent en très grande majorité alimentées
par les ordres religieux, la théologie se constitua en
écoles pratiquement identifiées aux grands corps religieux :
dominicains, franciscains, augustins, etc. Vers
le milieu du xv siècle, la théologie était devenue une
affaire de couvents et de maisons spécialisées en ce
genre, une question d’écoles rivales, de disputes entre
systèmes. C’est d’écoles de ce genre, et précisément en
parlant du thomisme et du scotisme, que M. Gilson a
pu écrire : « Des deux côtés on a commis la faute de
philosopher sur des philosophies au lieu de philosopher
sur les problèmes… » L’esprit de la philosophie médiévale,
Paris, 1932, t. ii, p. 2C7.
Les déviations que nous venons de signaler ne sont pas d’ailleurs le fait de la glande scolastique, mais celui de sa décadence. Cependant, toute décadence d’une institution dénonce, dans cette institution, quelque chose qui, indépendamment des dangers qui peuvent venir du dehors, représente en elle un risque, un risque qu’elle court de par sa nature même et qui lui est. pour ainsi dire, essentiel. La scolasl ique de la promotion la plus franchement confiante de la raison dans la science de la fui. entraînait un problème qui était plus spécialement son problème : en exploitant à fond, pour mieux comprendre les mystères, les ressources de la raison naturelle, comment garder aux chose ; chrétiennes leur caractère dominateur et
leur valeur i tout » ? en introduisant loyalement le
jeu de la dialectique dans la s^icro doctrina, comment conserver la primauté effective du » donné » ? en utilisant la Connaissante des réalités de noire monde pour Lrulre Intellectuellement les mystères révélés, comment garder à ces mystères leur spécificité, leur
1ère de nouveauté ri <l< révélation <’w nuire monde.’i.e problème <<- la scolastique est au fond lr problème de toute t héoli