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THÉOLOGIE. APPRÉCIATION SUR LA SCOLASTIQUK


fldéiste accentuait davantage la dépendance à l’égard de ces sources positives et du magistère. On a signalé, au xive siècle, un certain développement des questions critiques de sources et de méthode, bref de ce qui sera plus tard le traité des lieux théologiques.

G. Manser, Die Geisteskri.se des XIV. Jalirhunderts, Fribourg, Suisse, 1915 ;.). Wiirsddrior, Erkennen und Wisscn nacli Gregor von Himini, dans Beilràge, t. xx, fasc. 1, Munster, 1922 ; M.-C Michalski, Les courants philosophiques à Oxford et A Paris pendant le XIVsiècle. Le criticisme et lescepticisme dans laphilosophie du XI V’siècle. Les courants critiques et sceptiques dans la pliilosopliie du XI V> siècle. La physique nouvelle et les différents courants pliilosopliiques auXIV’siècle, dans le Bulletin de l’Académie polonaise des Sciences et des Lettres, Classe d’hist. et de philos., respectivement en 1921, 1926, 1927 et 1928 ; C. Michalski, Les sources du criticisme et du scepticisme dans la philosophie du XIV’siècle, extr. de La Pologne au congrès intern. de Bruxelles, Cracovie, 1924 ; Fr. Ehrle, Die Scholastik und ihre Aufgaben in unserer Zeit, Fribourg-en-B., 1933, p. 17-2."> ; M. Grabmann, Geschichte der katholischen Théologie, Fribourg-en-B., 1933, p. 92-95.

V. APPRÉCIATION SUR LA THÉOLOGIE DE LA PÉRIODE

SCOLAST1QUE. — Ce qui caractérise la théologie de cette époque, c’est la confiance dans la spéculation et d’abord dans la connaissance humaine. Que cette connaissance ait signification par elle-même, comme chez saint Thomas, ou qu’elle ne reçoive validité que par la foi et la théologie, comme chez Scot, elle a toujours valeur en elle-même. L’œuvre de spéculation est également considérée comme se justifiant par soi, même lorsque l’œuvre de spéculation est intrinsèquement mise en rapport avec la vie de charité ; nous voulons dire que le travail théologique est poursuivi pour lui-même, pour la valeur intrinsèque de la connaissance vraie, même si celle-ci a une relation nécessaire à la charité, et qu’il n’est plus subordonné aux besoins directs de l’Église, à la défense de la doctrine, à l’instruction des fidèles ou à l’évangélisation. La théologie de la grande époque scolastique est le produit d’une activité qui s’est développée pour elle-même. Nous n’avons pas à justifier ici ce point de vue. Mais il faut nous demander ici ce qu’a valu, de fait, cet effort, et si certains signes de décadence théologique, à l’époque où nous sommes parvenus, ne viennent pas du développement logique de dangers ou d’excès que la théologie de la scolastique portait en soi. Trois points nous paraissent, à cet égard, plus spécialement notables :

1° Excessive prépotence d’une méthode trop exclusivement rationnelle et logicienne. — Nous avons vu que l’introduction de la dialectique, avec la quæstio comme instrument technique, avait déterminé en théologie l’usage de deux méthodes parallèles, celle du commentaire et celle de la dispute. Dès le début, à chaque progrès du second procédé, une réaction se produit, à telles enseignes qu’on peut jalonner le développement de la méthode dialectique par le témoignage des réactions qu’elle suscite : Robert de Melun († 1167) s’en prend à ceux qui négligent le texte pour les gloses ; le commentaire de Pierre de Poitiers sur les Sentences soulève la protestation indignée du prieur des bénédictins de Worcester ; la première Somme, celle d’Alexandre de Halès, soulève la critique de Roger Bacon, etc. L’objet de ces inquiétudes était le même et il se dédoublait ainsi : n’allait-on pas soumettre le mystère de Dieu à une curiosité tout humaine, n’allait-on pas supplanter la parole de Dieu, le texte de la Bible, par des écrits ou des exercices plus rationnels, qui n’étaient pas même toujours des commentaires ?

Le xiiie siècle avait senti l’acuité de ces problèmes et leur avait donné une solution méthodologique et pédagogique. Cette solution comportait le maintien très ferme d’un enseignement biblique à côté d’un enseignement de la théologie du type rationnel et dia lectique. Non seulement la leçon ordinaire du maître, d’ailleurs peu fréquente, était une « lecture » de quelque livre de l’Écriture, mais, pour remédier au caractère fragmentaire de cette étude de la Bible, on avait institué une lecture rapide du texte qui permettait de le parcourir tout entier, légère Bibliam biblice ou secundum morem sludii Parisiensis. Cependant, il semble que ces dispositions aient été, avec le temps, tournées ou rapportées. On en viendra, dans les règlements de l’Université de Paris de 1387, à autoriser les bacheliers bibliques à échanger l’enseignement de deux livres de la Bible contre deux disputes. Chartul. univ. Paris., t. ii, p. 699, n. 28. Dans le même temps, c’est-à-dire au cours dès xive et xve siècles, la lecture des Pères dans le texte, originalia, va en décroissant et, comme le note le P. de Ghellinck, « la place faite aux Pères dans l’Église diminue en raison de l’extension des ouvrages d’Aristote et des scolastiques ». Patristique et argument de tradition au bas Moyen Age, dans Aus der Gcisleswelt des Millelallers, Felsg. Grabmann, 1. 1, p. 421 sq. Le P. Denifle remarque de même qu’on ne fréquente plus guère, au xve siècle, les grands ouvrages des Pères, la théologie étant devenue une chose logique. On ne voit plus guère, comme manuscrits des Pères, que les extraits, ou bien des ouvrages purement moraux. Chartul., t. iii, p. ix.

Cette régression croissante du donné textuel devant la construction logique et le système se double d’une certaine débilité quant aux procédés par lesquels la théologie doit prendre possession de son donné. La grande faiblesse de la théologie scolastique est de n’avoir guère le sens historique. Celui-ci consiste à pouvoir lire un texte ou comprendre un fait non dans la perspective qu’on a soi-même dans l’esprit, mais selon la perspective dans laquelle ce texte ou ce fait se sont réellement trouvés, à rechercher le contexte propre de chaque chose ; l’absence de sens historique consiste à situer les choses dans son propre contexte à soi. Or, le Moyen Age n’a eu que rarement ce sens historique. Ce qui l’intéresse, c’est seulement la vérité objective, l’absolu de l’objet, l’adéquation de l’esprit à la vérité idéale et en soi.

Certes, le Moyen Age a merveilleusement connu l’Écriture et sa culture pourrait à bon droit être appelée une culture biblique ; certes, les grands théologiens, et en particulier saint Thomas dans ses commentaires sur saint Jean et saint Paul, sont de bons exégètes. Mais l’absence de sens historique a aussi bien des fois poussé les médiévaux à interpréter les termes et les énoncés de la Bible en fonction non de la Bible elle-même, mais des idées de leur temps et de leur milieu, ou encore d’idées théoriques parfois étrangères au sens littéral et historique des textes. À la limite, nous aurons l’invraisemblable usage de textes comme Spirilualis judical omnia ; Sunt duo gladii hic, dans la question des rapports du pouvoir spirituel et du temporel. Mais, en deçà de ces dangereuses aberrations, nous aurons le danger d’interpréter les mots de l’Écriture non par une enquête sur le sens génuine des catégories bibliques, mais par un recours à ce que signifie ou évoque le même mot chez d’autres auteurs, Aristote par exemple, et dans le milieu médiéval latin. Exemples : saint Thomas applique d’emblée les analyses d’Aristote dans le VIe livre des Éthiques aux dons intellectuels de sagesse, science et intelligence dont parle l’Écriture ; dans la question de la « grâce capitale » du Christ, il interprète le mot capul non par une étude exégétique de son emploi, mais par une analyse systématique de l’idée de « tête » en soi. L’interprétation systématique rejoint-elle l’interprétation exégétique ? En substance, oui, et il est certain que les grands scolastiques n’ont pas dévié doctrinalement. Mais on concédera qu’il y aurait facilement là un vice de