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THÉOLOGIE. LA CRITIQUE, LES NOMINALISTES


en vérité à cette réalité simple. Il ne peut s’agir, dans cette perspective, d’une théologie qui soit une tentative de reconstruire à partir de la connaissance des choses et de la Révélation, les lignes de la science de Dieu. La simplicité divine s’y oppose et la raison y est impuissante. C’est ainsi, par exemple, qu’Occam considère comme illusoire toute tentative d’entrevoir le mystère de la prédestination, dont on ne peut dire qu’une chose, c’est qu’elle est, comme la création, un acte absolument gratuit. C’est ainsi encore que la raison ne peut venir à bout de la contradiction qu’elle voit dans un énoncé tel que celui-ci : « L’Essence est le Fils, « Le Père n’est pas le Fils », et cependant « Le Père est l’Essence ». Devant ce mystère, l’esprit s’arrête soit dans la négation, soit dans la foi pure et simple.

Quel sera, dès lors, le statut de la théologie, que la tradition mettait, à la suite de saint Augustin et de saint Anselme, inler fidem et speciem, en une fides quterens inldlectum ? De la théologie entendue en ce sens, il ne reste, en somme, rien chez Occam. Pour lui, il y a bien la foi d’une part, les savoirs scientifiques ou dialectiques d’autre part ; il y a bien un certain entre-deux, qui est précisément la théologie, mais en cet entre-deux, les extrêmes restent juxtaposés, hétérogènes et extérieurs l’un à l’autre ; il ne s’opère pas cette conjonction organique et vitale qui est, précisément, aux yeux d’un thomiste, la théologie. Occam s’en exprime avec une parfaite clarté à la q. vu du Prologue (= q. m principalis). Dans le croyant, il n’y a de surnaturel que la foi et il n’existe aucun autre habitus se référant aux credibilia que la foi. Quel est donc l’habitus de théologie, et qu’acquiert donc le théologien au delà de la foi ? Deux choses : 1. une augmentation de sa foi acquise, c’est-à-dire de sa foi humaine, non infuse ni salutaire, et c’est ce qui est propre au théologien croyant ; 2. de multiples habitus scientifiques qu’il trouve dans et par l’élude de la théologie, mais qu’à vrai dire il aurait pu acquérir par l’étude directe de ces sciences, et que le théologien nou-croyant peut tout aussi bien se procurer.

Comme l’a remarqué R. Draguet, dans la Revue calhol. des idées et des faits, 7 février 1936, p. 6, les nominalistes gardent le sens de la provenance diverse et de la valeur différente des éléments qui entrent dans la construction théologique. Mais, derrière une heureuse attention donnée au révélé originel, derrière ce sentiment de l’inégale valeur des éléments qui Intègrent l’activité théologique, n’y a-t-il pas une perte du sens profond de cette activité et de son unité ? Au total, cette théorie fort logique ne revient-elle pas à juxtaposer à un croyant un pur savant, qui est surtout, d’ailleurs, un logicien ? Ne méconnaît-elle pas, au moins en partie, cette tradition augustinlenne de contemplation religieuse qui avait jusqu’alors régné en Occident et dont Vintelleclus fidei, le quo fides saluberrima niitritur avaient donné la formule ? Pour Occam, les ruliones probabiles ne sont plus la nourriture de la foi salutaire qui nous unit au Christ, mais seulement celle de l.i (Ides acquisila. Op. cit., q. vu L.

Certes, il ne faut rien exagérer. Le besoin spéculatif est, dans l’homme, imprescriptible et il s’affirme comme ailleurs i hez ( lecam et chez ses disciples, Pierre d’AUlꝟ. 1420), plus tard Gabriel Biel (+ l 195). Occam, Pierre d’Aillv et suit oui Biel veulent chercher quelque intelligence des vérités de la foi, si obscure que soit cette intelligence il si pauvres qu’en soient les moyens rationnels (probabile). On prendra une idée de cette pauvreté des moyens rationnels tenant à une critiqua de toute considération de la nature des choses, dans M. Patronnier de Gandillac, U$age ci râleur des nc/umtnts probable » clirz Pierre d’Ailly, dans Arrinres d’hist. doctr. et UUér. du Moyen Age, t. viii, 1933,

p. 43-91. Il reste vrai que, si le besoin de spéculation n’est pas dorénavant tué, les possibilités d’une spéculation théologique sont considérablement réduites ou modifiées.

De très graves conséquences vont s’ensuivre, qui se développeront jusqu’au xvie siècle.

1. Une certaine rupture entre philosophie et théologie et même entre philosophie ou connaissance rationnelle et religion. D’où disjonction entre deux ordres de choses qui tendent à se distribuer ainsi : d’un côté une réalité purement religieuse, une spiritualité de la foi, une mystique de l’expérience intérieure, qui n’est plus alimentée par une activité proprement spéculative ou théologique ; de l’autre, une spéculation parement dialectique et formelle, où une logique très fortement critique s’applique à des questions d’école passablement systématiques. Dans la première ligne, on trouvera Gerson, lequel est d’ailleurs nourri de saint Bonaventurc, puis les mystiques de la devotio moderna, où Luther trouvera quelque consolation spirituelle ; dans la seconde ligne, les traités des nominalistes eux-mêmes, d’Occam par exemple, car, malgré l’inspiration religieuse de leur attitude critique elle-même, l’œuvre théologique se présente chez eux comme un traitement logique, dialectique et critique, de questions d’école. L’elîet de cette critique sera de transformer beaucoup de questions, telles que celle de la grâce infuse, du caractère sacramentel, de la transsubstantiation et divers points dans celle de la pénitence, en schémas vides.

La défiance, sinon à l’égard de la raison elle-même, du moins à l’égard des excès commis dans son usage dialectique amènera, au xive siècle, à préconiser, par sens religieux beaucoup plus que par exigences scientifiques, une réforme de la théologie dans une ligne principalement orientée vers les besoins spirituels des âmes. Ainsi Gerson, Nicolas de Clémanges, le chartreux Nicolas de Strasbourg, etc. D’autres, tels Nicolas de Cues et Guillaume Durand le jeune, réclameront, comme remède à un état de la théologie qu’ils jugent très sévèrement, un retour à l’étude des sources, voire une décision de l’autorité fondée dans l’Écriture et les canons, qui dirime tant de vains débats ; cf. A. Posch, Die Rcfornworschlàge des Wilhelm Durandus jun. auf dem Korizil von Vienne, dans Millcilungen des ôsterreich. Insl. f. Geschichtsforsch., Fcstschrift I. 0. Redlich, Inspruck. 19’29, p. 288-303, cf. p. 301-302.

2. À la dévalorisation de la connaissance rationnelle répond nécessairement une attitude fidéiste. Les deux choses se suivent selon une proportion rigoureuse. Non qu’il faille taxer tous les nominalistes de fidéisnic total, mais, dans l’ensemble, le fidéisme est une attitude répandue chez eux.

3. Un grand développement des questions de méthodologie critique, pour lesquelles on peut distinguer trois points d’application principaux : a) le rapport des certitudes rationnelles et de la logique naturelle aux certitudes et a In logique de la foi ; la question de savoir si la logique, la lo</ica rmturalis, vaut en théologie et s.M (unie avec In loijicu fidei. Question grosse, déjà, peut-être, de certaines positions luthériennes. — b) A l’intérieur même des données et des problèmes proprement I biologiques, application systématique d’une critique qui s’inspire le plus souvent du principe de la toute puissance divine et de la distinction entre potentat absoluta et la potentia ordtnala. Exemple : est il possible, de puissance absolue, (pu-le pécbé el la grâce Coexistent, ou que le pécheur lOll jUSl Iflé sans recevoir

les certitudes et les possibilités de la

spéculation théologique sont de ce chef considérablement réduite*. — c) Le point de vue critique ne

pouvait pas ne pas se porter sur les sources propres de la théologie elle même ; d’autant que In Icn.l.nirc