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THÉOLOGIE. LA CRITIQUE, LES NOMINALISTES


in se esse maxime cognoscibile… Op. Oxon., prol., q. iv, n. 42, t. viii, p. 28(>. Le chrétien sait que l’amour est la fin de tout, que Dieu lui-même ne se connaît que pour s’aimer et que notre théologie, soit celle qui a pour objet les mystères nécessaires de Dieu, soit celle qui a pour objet les vouloirs contingents de Dieu, est une science pratique. Cf. Op. Oxon., prol., q. iv, tout entière, à partir riu n. 31, t. viii, p. 259 sq. ; q. i, n. 8, p. 15, la pensée de Scot lui-même.

Telle est en bref la notion scotiste de la théologie. Si nous la comparons à celle de saint Thomas, nous pourrons remarquer ceci. Chez saint Thomas, la connaissance des choses est conçue de telle manière (analogie) que les notions, purifiées et dégagées de leur mode, peuvent être appliquées validement aux choses de Dieu ; il y a à la fois parfaite distinction entre la philosophie et la théologie et une certaine continuité entre notre connaissance du monde et notre connaissance, même surnaturelle, de Dieu. Chez Scot, la métaphysique a pour objet l’être des catégories et ne peut porter d’affirmation valable sur la iéalité singulière rie Dieu ; certes, le théologien rend à la philosophie la possibilité de fournir des preuves, mais c’est en la transportant dans un ordre nouveau : il y a discontinuité.

Par un autre côté, la théologie scotiste se présentera comme beaucoup plus systématique et dialectique que la théologie de saint Thomas. La continuelle critique des arguments et l’intervention de perpétuelles disjonctions entre l’ordre en soi et l’orrire de fait, de perpétuels renversements de positions, donnent à la théologie rie Scot une allure extrêmement philosophique et dialectique. On est frappé, quand on lit Scot, de voir combien le vocabulaire de la théologie courante, de la théologie « scolastique » actuelle, par les commentateurs des différentes écoles, remonte à lui. l’eut-être faudrait-il, d’ailleurs, en plus d’un cas, remonter au de la de lui, à Henri de Gand par exemple. On est frappé aussi de voir combien le point de vue critique de Scot introduit sans cesse dans un « donné » qu’on prenait, avant lui, beaucoup plus « tel quel », une interprétation systématique ; cette théologie, qui se veut au maximum positive et scripturaire, donne de prime abord l’impression d’être construite au maximum, par une dialectique « subtile », à partir de quelques principes d’ordre systématique.

Il n’y a pas encore d’étude satisfaisante sur la conception scotiste du travail théologique. R. Seebeig, Die Théologie des Johanncs Duns Scotus, Leipzig, 1900, p. 1 13-129 ; P. Minges. Dos Verhiiltnis zwischen Glauben und Wissen, Théologie und Philosophie nach Duns Scotus, Padeiborn, 1908 ; Déodat de Basly, Scotus docens, Paris et Le Havre, 1934, p. 111-136 ; M. Millier, Thcvloge und Théologie nach Duns Scotus, dans Wissenscha/t und Weisheit, t. i, 1934, p. 39-51 ; A. Dietershagen, Kiirhe und theoloyisches Denken nach Duns Skotus, ibitl., p. 2/3-286 ; TU. Soiron, Die theologische Intention des Duns Scotus, dans Sechste u. siebte Leklorenkonferenz d. deutschen Pranziskaner I. Pliilos. u. T licol., Sigmaringen-Gorlieim, 1931, p. 71-79 ; M. Millier, Die l’heologie als Weisheit nach Scotus, ibid., p. 39-52. Beaucoup plus neufs et remarquablement concoidants sont : P. Vignaux, Humanisme et théologie chez Jean Duns Scot, dans La France franciscaine, 1936, p. 209-223 ; La pensée au Moyen Age, Paris, 1938, p. 141-155 ; F.. Gilson, Les seize premiers Theoremata et la pensée de Duns Scot, dans Arch. d’hist. doclr. et litlér. du Moyen Age, t. xi, 1937-1938, p. 5-86, partiellement repris par le même, dans Mttaplajsik und Théologie nach Duns Scotus, des l’ranziskanische Studicn, 1935, p. 209-231.

Les nominalisles.

C’est une question sur laquelle

on n’est pas encore bien au clair, de savoir dans quelle mesure il faut ranger Durand de Saint-Pourçain († 1334), parmi les nominalistes. Il distingue trois habitus relatifs à l’objet de la théologie : Habilus quo solum uel principahter assentimus his quæ in sacra Scriplura traduntur et proul in ea tradunlur…, habilus

quo fides et ea qux in sacra Scriplura traduntur defenduntur et deelarantur ex quibusdam principiis nobis nolioribns… tertio accipitur theologia pro habitu eorum qnæ deducuntur ex articutis fidei, ex diclis sacrw Scriplura ; sicut conclusioncs ex principiis… In Sent., prol., q. i, éd. Paris, 1508, fol. n E-G. Dans cette partie déductive, la théologie ne peut être dite une science qu’au sens large. À la q. vii, fol. xiii C sq., Durand rejette l’idée de science subalternée. Du reste, en cette partie déductive, la théologie ne déduit que des conclusions pratiques, car les vérités spéculatives ne font l’objet que de défense et d’explication, c’est-à-dire du second habitus. Ibid., fol. v K et q. v, fol. xi en haut. A ces trois habitus correspondent trois sujets : au premier, qui s’identifie réellement avec la foi, l’aclus meritorius vet salutaris ; au second. Dieu sub ratione Salva/oris (incluant la Trinité), tandis que Dieu sub ratione absolula est le sujet de la philosophie ; au troisième enfin, pour les vérités spéculatives, Dieu sub ratione Salvalnris, pour les vérités pratiques, Vopus meritorium. Sent., prol.. q. v. fol. ix h" ; fol. x D-F et K. Après quoi l’on ne sera pas étonné que, pour Durand, la théologie au premier et au troisième sens soit purement et simplement pratique ; au second sens, spéculative. Sent., prol., q. vi, fol. xii F-G. Tout cela, évidemment, enlève à la théologie son caractère d’unité et d’homogénéité : Theologia non est una scientia, sed plures. Ibid., q. iv, fol. vin. I.

Sans nous arrêter à Pierre Auriol († 1322), voir ici t. xii, col. 1847-1849 et 1857-1858, et P. Vignaux, La pensée au Moyen Aqe, p. 158 159. considérons comme type de la pensée nominaliste Guillaume d’Occam († 1319), qui est d’ailleurs le chef de l’école.

La pensée d’Occam relativement à la théologie procède de la conjonction ou de la juxtaposition de deux choses ; sa foi religieuse d’une part, sa philosophie générale d’autre part, laquelle est essentiellement une philosophie de la connaissance et de la démonstration, qui est d’aborri une épreuve critique de notre manière d’énoncer les choses.

Occam est d’abord un croyant et, pour lui, Dieu est d’abord l’Absolu tout-puissant et souverainement libre. On a fortement souligné, ces derniers temps, la valeur religieuse de l’attitude nominaliste. Réaction contre Scot et contre les distinctions qu’il introduisait dans la connaissance et le vouloir de Dieu, la pensée d’Occam rentre aussi, comme celle de Scot lui-même, dans le courant de réaction qui a suivi la condamnation de 1277, contre le traitement philosophique des mystères. Si la philosophie d’Occam, et le rapport de cette philosophie à la foi, est dilïéiente de la philosophie de Scot, le Dieu d’Occam et des nominalistes est le même que celui de Scot (et de Durand de Saint-Pourçain ) : une toute-puissance souverainement libre, une pure libéralité créatrice. Chez Occam, la notion du Dieu souverainement puissant et libre se développe plus spécialement dans ce sens, qui a une immédiate répercussion en méthodologie théologique : Dieu peut faire tout ce qui peut être fait sans impliquer contradiction et donc il peut faire directement tout ce que peuvent faire les causes secondes, ce qui élimine toute considération valable de la nature des choses, et l’usage confiant de l’analogie tel que nous avons vu que saint Thomas l’avait conçu.

Avec cette notion de Dieu va interférer, pour définir le statut de la théologie, l’épistémologie critique et nominaliste d’Occam ; cf. les art. Nominalisme et Occam à quoi on ajoutera P. Vignaux, La pensée au Moyen Age, p. 161 sq. Le résultat en est que tout ce que nous pouvons distinguer et formuler en usant de notre raison ne dépasse pas nos concepts et nos mots et ne peut s’appliquer à la réalité divine. Celle-ci, en effet, est simple et tout ce qui lui est attribuable s’identifie