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TALMUD ET CHRISTIANISME


aucunement s’imposer à la croyance des fidèles : elles sont l’expression de la piété, des convictions, des rêveries, des connaissances de rabbins vénérables : ce n’est pas suffisant pour constituer un credo. D’autre part, si on y cherche la halakha, on y découvre des positions différentes, souvent opposées, entre lesquelles il faudra choisir ; par ailleurs le défaut de composition systématique ne permet pas de traiter le Talmud comme un code. Il est la source à étudier pour la fixation de la halakha, comme le reconnaissent des écrivains juifs parfaitement orthodoxes et pleins de respect pour le monument traditionnel. Cf. Samson Raphaël Hirsch, Ueber die Beziehung des Talmuds zum Judentum und zu der sozialen Slellung seiner Bekenner, Francfort-surle-Mein, 1884 ; Stem et autres ; voir Strack, Einleilung im Talmud, vii, § 1. Cette autorité, au contraire, on la reconnaît aux codes méthodiques, dérivés du Talmud : d’abord à la Michné Tora de Maimonide (1135-1204), pourtant d’abord vivement combattue par les fervents du Talmud, ce qui atteste le crédit inentamé de ce dernier ; ensuite et surtout au Chulkan aruk (table dressée) de Joseph Caro (1488-1575), recueil méthodique de toutes les observances, auquel se réfèrent encore croyants et pratiquants.

Néanmoins le Talmud jouit d’une autorité supérieure, d’ordre tout intrinsèque, qui vient de la place qu’il a tenue, presque jusqu’à nos jours dans la vie juive. S. R. Hirsch écrit : « Le Talmud est l’unique source dont dérive le judaïsme, le fondement sur lequel il repose, l’âme vivante qui l’a modelé et conservé. En fait le judaïsme, tel qu’il s’est incorporé dans les manifestations historiques du peuple juif en Occident et tel qu’il apparaît dans ses virtualités et ses qualités, que même ses ennemis lui reconnaissent, est totalement un produit de l’enseignement talmudique et de l’éducation et de la culture qui en découlent. » Op. cit., p. 5 sq. Et l’auteur énumère toutes les vertus que le Talmud a développées chez les Juifs.

En elîet, d’abord en Orient, puis dans les pays du monde où prospéraient des communautés juives, assez nombreuses et puissantes pour entretenir des écoles, le livre sur lequel maîtres et étudiants exerçaient leurs facultés était, à côté de la Bible, le Talmud, principalement le Iîabli, qui est le Talmud par antonomase. Bien lot les docteurs composaient des commentaires sur le Talmud ou sur quelques-uns de ses traités. Un des plus célèbres, le plus classique, toujours pratiqué, es) celui de Rabbi Salomon ben Isaac de Troyes (10401 105), nommé simplement Hachi, d’après les initiales de s, m nom. Ces commentaires fondamentaux ne tardaient pus a se voir expliqués par des supercomment aii es. (elle faveur, continuelle et universelle, du Talmud ne fut combattue que par des adversaires cpii ne purent en triompher : au viiie siècle, les Caraïtes, qui voulaient revenir a la lettre stricte des Écritures ; aux ic et xiir siècles les adeptes de la philosophie araboaristotélicienne ; un peu plus tard le succès de la Kabbale est du à une réaction contre le juridisme rabbinique.

Dans le, écoles, flans les Yechihot, les rabbins ne laissaient pas de consumer jours et nuits dans la lecture du Talmud et dans les discussions qu’elle suscitait : la aussi était toute leur science. Comme le remarque un esprit fort libre, mais non moins ardent défenseur de l’ouvrage révéré, I. Abrahams : i Pendant de longues périodes, le Talmud fut le principal instrument de Culture intellectuelle pour les Juifs. Plu plus grands talmudistes du Moyen Age ne

ient pas de se vouer a la science et à la philoso pbi<. au -’ils technique du terme. Mais des quantités di fuifs ne.., ni intellectuellement qu’au

ralmud et a la littérature connexe. Il la nature du

Talmud les préserva de la stagnation. Car le Talmud

est un livre très varié, touchant presque tous les côtés de l’activité humaine. Le lire avec intelligence — et c’est ainsi qu’on le lit — forme largement aux arts, aux sciences et aux philosophies. Si vaste est le domaine couvert, qu’un étudiant du Talmud y trouve des renseignements sur bien des sujets, qui sont constitués actuellement en disciplines distinctes. L’esprit de l’étudiant y demeure alerte et vivant, jamais figé dans une attitude scolastique, mais toujours en contact avec l’actualité. » Encyclopedia of Religion and Ethics, t.xii, p. 187.

Apologie sincère mais forcée. Faire d’un livre si antique l’encyclopédie de tout le savoir était se condamner à tourner le dos à la science. C’est pourtant cette attitude d’obscurantisme systématique que les chefs d’école rabbinique, même encore au xxe siècle, en telle juiverie reculée de Pologne, voulaient imposer à leurs élèves, leur interdisant d’apprendre les langues et les littératures profanes, proscrivant les livres scientifiques. Si le Talmud a sauvegardé pendant des siècles la vie et l’unité du judaïsme, s’il a aiguisé singulièrement l’intelligence de ceux qui l’étudient, n’a-t-il pas été préjudiciable à Israël ?

C’est ce qu’affirment bien des Juifs, pourtant très attachés à leur nation. Bernard Lazare déclare qu’en imposant le Talmud les rabbanites retranchèrent Israël de la communauté des peuples, et en firent « un solitaire farouche… une nation misérable et petite, aigrie par l’isolement, abêtie par une éducation étroite, démoralisée et corrompue par un injustifiable orgueil ». U antisémitisme, Paris, 1894, p. 14. Le grand historien du peuple juif, Grætz écrit : « Les défauts de la méthode d’enseignement talmudique, la subtilité, l’habitude d’ergoter, la finasserie, pénétrèrent dans la vie pratique et dégénérèrent en duplicité, en esprit retors, en déloyauté. Il était difficile aux Juifs de se tromper entre eux, parce qu’ils avaient tous reçu une éducation à peu près identique et que, par conséquent, ils pouvaient se servir des mêmes armes. Mais ils usaient souvent de ruse et de moyens déloyaux à l’égard des non-juifs, oubliant que le Talmud et les plus illustres docteurs du judaïsme flétrissent le tort fait aux adeptes d’autres croyances au moins aussi énergiquement que celui dont on se rend coupable envers des coreligionnaires. » Histoire des Juifs, trad. française, t.. v, p. 151.

Cette dernière citation suggère une distinction opportune : c’est moins le Talmud que l’éducation talmudique qui ont causé aux.Juifs traditionnels les plus lourds préjudices : les murer dans un ghetto spirituel, les réduire à une vraie minorité Intellectuelle, les séparant ainsi du mouvement vivant de la civilisation, les dressant aussi contre l’ambiance chrétienne.

IV. Le Talmud et LE CHRISTIANISME.

1° Accusations et persécutions. De bonne heure les chrétiens ont articulé contre le Talmud de graves accusations. On lui reprochait d’abord d’intolérables blasphèmes contre Jésus. De fait, maigre le vague et les anachronismes des propos rabbiniques sur ce point, le Talmud contient le noyau de ces racontars, recueillis et développés dans l’infâme pamphlet des Toledoi JesU, compose en Allemagne vers le ix’siècle, racontant la naissance illégitime de Jésus, injuriant sa mère, expliquant comment le fondateur du christianisme fui mis

a mort en punition de ses crimes d’hérésie et de magie. Isidore Losb le reconnaît : Qu’y a I il d’clouiiaiil qu’il se trouve dans le Talmud quelques attaques contre Jésus ? H serait singulier qu’il en flït autrement cl. s’il faut s’étonner de quelque chose, c’est qu’il n’y en ail

pas davantage. » Revue des études juirrs. t. i, p.’.>."><>.

iitre grief : l’Inimitié Irréconciliable contre les chrétiens et, en général, contre tous les gentils. Nous avons déjà signale les jugements sévères contre les