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    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. L’UTILISATION D’AR ISTOTE

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(De animedibus, De partibus animalium ; De generatione animalium ; puis, Deceelo et aiundo, De anima, Physique e1 Métaphysique avec le commentaire d’Averroès), par Michel l’Allemand (Éthique <i Nicomaque avec commentaire

d’Averroès), etc. C’est aussi celle vague qui apporte une traduction faite sur l’hébreu du Guide des égarés de Maimonide, primitivement rédigé en arabe. Enfin un mou sèment fort actif de traductions, signées celles-là et parfois même datées, prend place entre 1210 et 1270 ; elles son ! l'œuvre de Robert Grossetête qui, aux environs de 1240, traduit, outre Denys et saint Jean Damascène, le texte intégral de l'Éthique <i Nicomaque et du De cselo et mundo jusqu’au 1. fit, c. i ; de Barthélémy de Messine (pli, vers 1258-1260, traduit les Magna Moralia et divers pseudépigraphes aristotéliciens ; de Guillaume de Mcerbeke enfin, qui revise les traductions existantes de la Métaphysique, de la Morale n Nicomaque, des I.ibri naturales, et traduit pour la première fois, outre un grand nombre de commentateurs grecs, la Politique, la Rhétorique, le 1. XI des Métaphysiques, eut-être les Économiques.

Mais celle entrée matérielle d’Aristole sous la forme de traductions n'était que la eondition et le moyen d’une autre « entrée », spirituelle et idéologique cellelà, du philosophe païen dans la Sacra doclrina. C’est cette entrée qu’il faut nous appliquer à bien caractériser.

Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, on avait bien appliqué à la théologie, discours humain sur les choses de Dieu, la logique, la grammaire et la dialectique, mais une telle application n’introduisait dans le domaine sacré aucun contenu propre, aucun objet proprement dit. La nouveauté de 1' « entrée » d’Aristote qui s’opère au tournant du xiie et du xiir 5 siècle, c’est l’application, en théologie, de la physique, de la métaphysique, de la psychologie et de l'éthique d’Aristote, application engageant un certain apport de contenu et d’objet dans la trame même de la science sacrée. Dès lors, Aristote n’apportera pas seulement, de l’extérieur, une certaine organisation des objets révélés, mais encore, dans le domaine même des objets du savoir théologique, un matériel idéologique qui intéressera non plus seulement les voies, mais le terme et le contenu de la pensée.

On saisit les premiers effets caractérisés de cette introduction d’une vue rationnelle du monde dans les écrits de Philippe le Chancelier († 1236) et de Guillaume d’Auxerre († 1231) ; à un degré moindre chez un Simon de Tournai ou un Pierre de Poitiers, voire un Gilbert de La Porrée. Aristote apporte principalement, dans la science sacrée des principes d’interprétation et d'élaboration rationnelles du donné théologique, une possibilité d’organisation systématique vraiment rationnelle, une structure scientifique.

1. Des principes d’interprétation et d'élaboration rationnelles du donné théologique. — La chose se voit au mieux dans les parties de la théologie qui, concernant les rapports de la nature et de la grâce ou l’organisme surnaturel de la grâce et des vertus, engagent une psychologie et une anthropologie. Si l’on se reporte, par exemple, aux études publiées par A. Landgraf et dom O. cottin, on constate que des questions, embrouillées chez les théologiens du xii c siècle, sont, chez un Philippe le Chancelier ou un Guillaume d’Auxerre, résolues par l’application d’une catégorie aristotélicienne qui, d’emblée, organise et construit le donné d’une façon rigoureuse et claire. C’est ainsi que l’on confondait généralement, jusque vers la fin du xiie siècle, la grâce sanctifiante avec la foi et la charité, tandis que l’on méconnaissait d’ordinaire la possibilité de verlus qui ne se manifesteraient pas. De graves dillicultés s’ensuivaient : là où il n’y avait pas exercice des vertus, pouvait-il y avoir encore vertu, et donc grâce ? Si non, quelle serait la situation des enfants baptisés mais encore incapables d’exercer aucun acte vertueux ? Au delà d’un timide essai

d’Alain de Lille, c’est au chancelier Philippe qu’il revint de distinguer non seulement entre les trois états dans Lesquels peut se trouver la vertu, natura, hubitu, actii. mais de distinguer les vertus et la vie surnaturelle de l'âme, qui opère la justification, a la manière dont sont distinguées, en philosophie aristotélicienne, l’essence de l'âme et ses puissances ; cf. A. Landgraf, dans Scholastik, 1928. p. 52, 59 sq. ; 1929, p. 205 sq. Ainsi un principe d’analyse de l’ontologie surnaturelle de l'âme est-il trouvé, qui permettra une construction scientifique de l’anthropologie chrétienne ; et il est trouvé par un recours aux catégories de L’anthropologie naturelle d’Aristote, sous le bénéfice de ce principe qu’entre la nature et la surnature il y a une similitude structurale profonde. Philippe de Grève aboutit immédiatement à saint Thomas, Sam. theol., I » -II", q. ex, a. 3 et 4 ; Q. disp. de virt. in communi, a. 1.

On comprendra d’ailleurs qu’un tel progrès dans la question que nous venons de dire supposait une distinction ferme entre nature et surnature. Là encore, c’est Philippe le Chancelier qui, reprenant la distinction entre vertus naturelles et vertus surnaturelles, lancée par Gilbert de la Porrée et admise par Guillaume d’Auxerre, et faisant appel à la philosophie aristotélicienne de l’amour élicite, put distinguer un amour naturel, consécutif à la connaissance naturelle que nous pouvons avoir de Dieu et un amour surnaturel consécutif à la connaissance ds foi. Un des premiers, sinon le premier, il fondait ainsi dans une philosophie des vertus spécifiées par les objets, l’idée d’une distinction ontologique entre nature et surnature et celle de l’ordination au Dieu révélé comme fondement essentiel de l’ontologie surnaturelle. Cf. Scholatsik, t. iii, 1929, p. 380 sq.. 389, et A. Landgraf, Die Erkenntnis der heiligmachenden Gnade in der Frùhscholaslik, dans Scholastik, t. iii, 1929, p. 28-64 ; Sludien zur Erkenntnis des Uebernatûrlichen in der Frùhscholaslik, ibid., t. iv, 1929, p. 1-37, 189-220, 352-389. Comp. Th. Graf, De subjecto psychico gratiie et virtutum, t. i, Rome, 1934.

2. Une possibilité d’organisation systématique vraiment rationnelle.

Quand on compare l’ordre introduit dans le donné de la théologie par les grandes synthèses médiévales, on est frappé de voir comment, d’une part, un passage s’opère d’une collocation plus ou moins arbitraire des questions à un enchaînement vraiment rationnel et comment, d’autre part, la théologie bénéficie, dans ce travail de mise en ordre, des apports philosophiques. Qu’on pense, par exemple, à l'étude des vertus. Elle intervenait, chez Pierre Lombard, dans la christologie, par le biais de cette question : le Christ a-t-il eu la foi, l’espérance, etc.? Et d’ailleurs, dans le traité de la foi ainsi engagé, t. III, dist. XXIII sq., il n'était point parlé de l’hérésie, dont la considération intervenait à propos de l’eucharistie, t. IV, dist. XIII. De même la considération du péché en général n’intervenait-elle, chez le Lombard, qu'à l’occasion du péché originel, t. II, dist. XXXV sq. C’est chez Prévostin et surtout Guillaume d’Auxerre que les vertus forment un traite distinct. Chez saint Thomas, il devient le système que l’on sait, étonnamment charpenté et fouillé, avec à la fois une simplicité de lignes et une variété dans les subdivisions, où rien, pour ainsi dire, n’est plus arbitraire. Aristote, soit par lui-même, soit par saint Jean Damascène, est passé par là. Le P..Merkelbach a comparé, pour le plan, la perfection de l’analyse et l’ordre rationnel, le traité de la moralité des actions humaines de saint Thomas à celui des principaux théologiens du Moyen Age : le progrès est évident et il est dû principalement, en ce domaine, à l’Ethique d’Aristote.

.1. Simler, Des Sommes de théologie, l’ai is. 1871 (étude des principales œuvres systématiques du Moyen Age, des Pères