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THÉOLOGIE. LA RENAISSANCE DU XIIe SIÈCLE


une œuvre de « théologie ». Ce que Hugues a réalisé ainsi dans son De sacramentis, il l’a expliqué et justifié dans son Didascation : à savoir d’ajouter à une simple lecture du texte, domaine de Vhistoria, une explication systématique qui en procède, s’y appuie, mais en soit une élaboration et une mise en ordre : Hanc quasi brevem quamdam summam omnium in unam seriem compegi ut animus aliquid certum haberet cui intentionem affingere et conflrmare valeret, ne per varia scripturarum volumina et lectionum divortia sine ordine et direetione raperetur. De sacram., prol.. P. L., t. clxxvi, col. 183. On croirait presque lire le prologue de la Somme de saint Thomas.

Nous ne nous arrêterons pas à Pierre Lombard ; les traits généraux de sa théologie et la conception qu’il s’en est faite, ont été exposés ici même en détail, art. Pierre Lombard, t.xii, col. 1978 sq. En Pierre Lombard, ce n’est pas seulement le propos abélaraien de systématiser qui passe, mais de notables morceaux du Sic et non, grâce à quoi les Sentences représenteront, pour la théologie ultérieure, une grande synthèse de théologie positive. Ses Sentences deviendront un livre de texte qui, coexistant à la Bible, donnera à l’application de la méthode dialectique sa matière la plus propre. Si cette méthode a donné tous ses fruits dans la théologie du xiiie siècle, c’est que, au delà de qutestiones de sacra pagina, elle a pu s’organiser plus librement sur la base d’un second livre de « texte » pour lequel, comme le dira Fishacre, non difjcrt légère et disputare. Par là, l’importance des Sentences de Pierre Lombard dépassera de beaucoup celle de son apport personnel a l’élaboration de la méthode théologique.

Gilbert de La l’orrée et Alain de Lille.

Le besoin

de méthode et de classement est remarquable dans tout le deuxième et le troisième tiers du xiie siècle. Le souci pédagogique pousse à constituer des ouvrages méthodiques, où soit ordonné ce qu’on trouvait ailleurs à l’état dispersé et occasionnel. C’est l’époque où, par exemple, on tentait de constituer un ensemble théologique organique et systématique avec des textes tirés de saint Anselme : cf. H. Weisweiler, ber crslr systematische Komjiendium aus den Werken Anselms von Canterbury, dans Revue bénédictine, 1938. p. 206221. Hugues de Saint-Victor avait aussi composé un Ouvrage de ce genre, ainsi qu’il nous l’apprend au prologue du De sacramentis, P. L., t. clxxvi, col. 183, et. vers 1173. Pierre le Mangeur rédigeait, à la demande de ses socii, sa fameuse llistoria Scolastica, qui applique au récit historique de l’Écriture le besoin rie grouper el (le classer ce qui se trouve épars : cf. le Prologus, P. L., t. cxcvui, col. 1053-1054. Mais, au de la des ai’commodément s pédagogiques, la théologie, en cet Ie sci onde moitié du XIIe siècle, prend véritablement conscience d’elle même, de sa place parmi les diverses branches du savoir. Depuis quelque temps. déjà, on distingue, sous le nom de facultés. les

diverses disciplines qui font l’objet de l’enseignement. Gilberl de La l’orne dira par exemple : Cum facilitâtes secundum gênera rerum de qui bus in ipsis agitur diverses sint, ni est, naturalis, malhemalica, theologica, avilis, rationalis… Corn, m libr. Boet. < ! < Trin., P. /… t. lxiv, col. 1281 A ; comp. Etienne de Tournai, Epist. ad papam, dans Chartul. unio. Paris., t. t, p. 17 (8.

M’la a tenter de déterminer avec précision la méthode et le régime propres de chacune dl

fai ultés ( disciplines), il n’y aval ! pas loin. Au i voyons-nous le même Gilberl esquisser la première Idéi d’une méthodologie. Ibid., col. 1315. Son idée est qu’en toute discipline il faut recourir a des i

Initiales qui lui sont propres et correspondent a son ol.j.t ; m jdes proprement dites en grammaire, lieux communs en rhétorique, théorème ou axiomei en mathémaUqui généraux en dialectique,

principes indémontrables en philosophie. De même en théologie. Et Gilbert de s’attacher, dans son commentaire, à dégager ces règles, qui sont plutôt de métaphysique ou de théologie au sens aristotélicien du mot.

L’idée de Gilbert ne restera pas sans écho. Jean de Salisbury la reprendra. Cf. Polycraticus, 1. VU, c. vii, éd. Webb, t. ii, p. 115 sq. Mais c’est surtout Alain de Lille († 1202), qui lui donnera sa réalisation la plus achevée. C’est l’objet de ses Regulw de sacra theologia, où il déclare, dans le prologue : Supercœlestis [vero] scienlia, id est theologia, suis non fraudatur (regulis) ; habet enim régulas digniores, sui obscuritate et sublilitate cœteris prééminentes ; et cum cœterarum regularum lola nécessitas nutel, quia in consuetudine sola est consistais pênes consuelum naturse decursum. nécessitas theologicarum maximarum absoluta est et irrejragabilis, quia de his /idem faciunt quæ actu vel natura mutari non possunt. Régula ?, prol., P. L., t. ccx, col. 621 sq. Ce texte marque bien la considérable nouveauté de l’idée : assimiler la théologie à une « science » de même structure que les autres sciences humaines. « Je n’ai fait, avait déjà dit Gilbert de La Porrée, que ce qui se fait dans toutes les autres sciences… » Com. in libr. Quomodo subst., P. L., t. lxiv, col. 1316 C. Le texte d’Alain de Lille marque de plus la différence de certitude et de sources qui distingue la théologie des autres sciences. Mais il faut avouer que, sur ce point, son effort, comme celui de Gilbert, demeure bien imparfait. Les régula-qu’il explique dans son livre sont plutôt philosophiques et le 1’. Chenu a pu remarquer, à propos de Gilbert : « Les caractères spécifiques de la régula en théologie ne se dégagent pas de la commune fonction des axiomes ; et sous cette notion vague se mêlent des observations généralisées, des principes premiers, des thèses particulières, des opinions communes, ries articles de foi, toutes choses fort disparates dans leur origine, dans leur valeur d’évidence, dans leur qualité de certitude, et donc dans leur fonction scientifique. » Revue des sciences philos, et théol., 1935, p. 265.

t’u autre ouvrage d’Alain de Lille mérite d’être signalé ici, ses Dislinetiones dictionum theologicalium, 1’. 1… t. ccx, col. 685 sq., sorte de dictionnaire des termes théologiques. L’ouvrage serait plutôt, en un sens, préabélardien ou préanselmien, se situant dans la ligne d’une explication textuelle ou verbale de la Suera pagina. Mais le goût de définir la virlus nominum et de distinguer les verborum significationes est bien caractéristique de la théologie a la tin du xtr siècle.

Le développement île lu QVJESTIO.

La méthode

des apories, pratiquée par les philosophes de l’Antiquité et surtout par Aristote, se rencontre chez nombre d’auteurs chrétiens : Origène, Eusèbe de Césaréc, l’Ambrosiaster, saint Jérôme, saint Augustin, Ce genre d’écrits n’est pas spécial aux matières scripturaircs et il en cxisle de semblables en matière morale, ascétique ou même grammaticale. En réalité, il s’agit là de répondre à des difficultés scripturaircs, exégétiques, un peu comme Abélard répondra aux Probletnata Helois’P, /… t. i i XXVIII, col. t. 77 sq., et saint Thomas rédigera ses Responsio de …v// articulis, Responsio

de M.ll articulis, etc. Nous ne sommes pas ici en pré sence d’une application sysl émat ique de la méthode

dialectique au travail théologique.

Des l’âge patristique, cependant, le commentaire

si i ipt uraire laisse souvent la plaie a de véritables questions i. Si nous feuilletons, par exemple, les

douze livres du De Genesi ad lilteram de saint Au^iis Mu. nous constatons que le commentaire proprement

dit est sans cesse Interrompu par une proliférai ion

de qUStStionet théologiques qui. a propos du texte

mais en marge de celui ci, discutent pour lui-