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ÏALMUD ET JUDAÏSME


se maintiennent dans la voie frayée par les prophètes et les sages de l’Ancien Testament.

Des notions justes sur la nature humaine, sur la liberté, sur les droits de Dieu, permettent de donner à la moralité des bases solides : Israël gardera la Loi de Dieu parce qu’il s’y est engagé en acceptant l’alliance du Seigneur, parce qu’il doit sanctifier le nom divin, procurer la gloire de son Créateur, l’imiter, lui témoigner son amour. En outre les préoccupations morales de l’âme juive s’attestent dans les vues sur le péché, sur l’efficacité de la pénitence, qui comprend une conversion profonde, le renoncement aux habitudes mauvaises et la volonté de mener une vie droite.

Les grandes lignes de la piété juive sont indiquées par la sentence d’un très ancien maître, Siméon le Juste (me s. av. J.-C.) : « Le monde est supporté par trois bases : la Loi, le culte, les œuvres de charité. » Pirqué Abot, i, 2.

Cette formule montre la place prépondérante que la sagesse juive attribue à la Loi, ou plus exactement à son étude : obligation qui prime les autres, apprendre la Loi, fréquenter les écoles. Le juste et le saint, c’est avant tout le rabbin, qui étudie et enseigne la loi. C’est que le fondement de toute la religion est la Tora, à savoir, non seulement la Loi, mais l’Écriture communiquant la Révélation divine. Ainsi ressort en haut relief le caractère essentiel du judaïsme : il est une religion positive, promulguant les exigences foncières de la religion naturelle, mais révélées par Dieu lui-même. D’ailleurs les docteurs qui proclament le primat de la Tora et de son étude, déclarent que la vertu doit être supérieure à la science.

Dans le détail, la morale rabbinique suit et développe les prédications des livres prophétiques et des écrits sapientiaux. Nous ne pouvons donner ici que des indications générales et incomplètes. Une place très large est faite aux devoirs envers Dieu : participation à la liturgie du Temple ; assistance aux offices de la synagogue ; culte domestique qui fait du foyer un sanctuaire et de la table de famille un autel ; prière intérieure qui rejoint d’un trait continu les oraisons imposées par la Loi ; bénédictions innombrables qui sanctifient les actions de la journée ; observances qui entourent la personne d’hommages à Dieu et du souvenir de sa présence.

Relativement aux devoirs envers le prochain, la morale talmudique s’inspire de deux principes complémentaires : règle de justice stricte, « ne pas faire à autrui ce qu’on déteste qu’il soit fait à soi-même » ; esprit de charité, « aimer les autres comme soi-même ». Ces deux tendances, souvent si difficilement conciliables, doivent déterminer les directives d’un code, composé, non pour l’humanité en général, mais pour un groupe en quelque sorte familial, comme était la communauté juive : envers des frères les devoirs de charité primeront les obligations juridiques. En conséquence il est interdit de faire aucun tort tant à la personne qu’aux biens du prochain et, de plus, il est ordonné de prêter sans exiger aucun intérêt à son compatriote dans le besoin ; on ne doit pas retenir plus de sept ans un esclave israélite, qui est, d’ailleurs, traité comme un membre de la famille. Et surtout il est imposé d’assister les pauvres par l’aumône et de pratiquer les œuvres de charité : visiter les malades, consoler les affligés, s’attrister avec ceux qui souffrent, se réjouir avec ceux qui sont dans la joie.

On comprend que les étrangers soient traités d’une autre façon. Envers eux plus de devoirs de charité : non seulement on peut, mais on doit exiger l’intérêt de l’argent qu’on leur prête ; on n’est pas tenu de leur rendre ces offices de bon voisinage qu’on pratique entre compatriotes. Certains rabbins auraient voulu qu’on pût, dans les transactions et dans les jugements,

profiter de leurs erreurs ou même les tromper. Le principe a prévalu qu’il ne faut leur causer aucun dommage et qu’il est plus grave de léser un gentil que de léser un israélite : que l’on prenne garde à ce que le nom divin soit, non blasphémé, mais reconnu et sanctifié.

Très belles et conformes à l’idéal biblique sont les maximes qui règlent la morale familiale : en ce qui regarde l’union conjugale, le respect de la femme, l’autorité du père sur les enfants, le judaïsme s’est montré fort supérieur aux morales et civilisations païennes. Il était également attentif à sauvegarder la pudeur, la chasteté, la bonne tenue. Si les prescriptions relatives à la morale sexuelle entrent dans tous les détails nécessaires, si l’on peut citer des mots choquants de tel rabbin, dans son ensemble, le Talmud, sur le chapitre de la chasteté et de la pureté, tout en tenant le langage des casuistes, fait entendre la même note que les Proverbes et que l’Ecclésiastique.

Somme toute, nous pouvons porter sur le Talmud le même jugement que sur le judaïsme en général. Il est ordinairement fidèle à la doctrine révélée contenue dans l’Ancien Testament. Toutefois nous relevons des déviations, qui, sans atteindre le fond, orientent vers une religion de forme plus naturelle et plus rationaliste. Ces infléchissements sont dus à une majoration excessive de deux dogmes : l’élection d’Israël, l’autorité divine des Écritures, de la Tora.

Le souci prédominant de sauvegarder dans son être propre la nation sainte, conduit, en pratique, à un séparatisme et à un particularisme étouffants et ruineux, à un orgueil ethnique inévitable, qui se tourne facilement en racisme, en haine à l’égard de l’étranger. Le culte pour un peuple, la quasi-adoration de la lettre de la Loi conduisent aux conséquences suivantes : une telle estime pour la liberté humaine qu’on la voudrait impénétrable au bon plaisir de Dieu et à l’action de sa grâce ; une répugnance pour le surnaturel proprement dit ; l’esprit légaliste et juridique envahissant, qui multiplie les prescriptions, étouffe la vie dans un réseau impénétrable d’observances et de pratiques, ouvrant ainsi la porte au formalisme, si proche de l’hypocrisie ; l’autorité exorbitante attribuée aux décisions rabbiniques, qui lient le vouloir de Dieu et mettent en échec ses commandements ; l’hostilité à l’esprit intérieur ; l’inintelligence croissante du prophétisme.

Par suite, si le judaïsme demeurait très supérieur à toutes les religions et philosophies anciennes, s’il pouvait fournir aux âmes de bonne volonté un aliment solide et de bon aloi, il les fermait le plus souvent au message chrétien, tout surnaturel, et lui-même se murait de plus en plus jalousement dans un particularisme ombrageux, qui paralysait grandement son rayonnement et son expansion prosélytique.

On trouvera de plus amples développements dans J. Bonsirven, Le. judaïsme palestinien au temps de Jésus-Christ ; sa théologie, 2 vol., Paris, 1935 ; du même, Les idées juives au temps de Noire-Seigneur, Paris, 1934 ; du même, Sur les ruines du Temple, ou le judaïsme, après 70 (coll. La vie chrétienne), Paris, 1928.

III. Le Talmud et le judaïsme : autorité et influence. — On ne peut citer aucune déclaration d’une autorité juive reconnaissant au Talmud force de loi. Il a joui pourtant pendant des siècles, et jouit encore auprès de beaucoup, d’un crédit unique : on a souvent dit « le saint Talmud », on l’a mis presque sur le même pied que les Écritures sacrées. Cette situation de faveur tient surtout au fait que la compilation est devenue immédiatement objet d’étude et de révérence dans tout le monde juif.

Cependant le Talmud ne pouvait être tenu pour un code ayant autorité juridique. D’une part on sentait que ses parties haggadiques ne prétendent et ne peuvent