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THÉOLOGIE. LA RENAISSANCE DU XII* SIÈCLE

débute le Proslogion, c. i et ii, col. 227. Il y a, en effet, un intellectus fidei, une ratio fidci, disons une intelligibilité de la foi, dont celui qui croit et qui aime désire se délecter. Anselme s’explique sur cet intellectus, ce savoir ou cette connaissance que désire la foi qui aime : il est intermédiaire inter fidem et speciem, entre la foi et la vue. Ibid., col. 261. Il suppose la foi, plus précisément la foi aimante, et procède d’elle ; il est le fruit d’un effort de pénétration où l’esprit utilise toutes les ressources dont il dispose : analogies du monde créé, principes métaphysiques et dialectique ; il a pour terme une perception joyeuse qui est, à l’état inchoatif et plus ou moins précaire, du genre de la joie béatifique ; cf. les c. xxiv à xxv’i du Proslogion, P. L., t. clviii, col. 239-242. Dans ses œuvres théologiques, Anselme se montre vraiment théologien ou, si l’on veut, métaphysicien du dogme. Mais c’est un métaphysicien qui n’a pas lu la Métaphysique d’Aristote et, s’il est tel, ce n’est pas par l’application d’une philosophie au donné chrétien ; c’est plutôt sous la pression de ce que la foi elle-même, directement et sans médiation proprement rationnelle, contient d’intelligibilité.

Considérée ainsi, cette méthode théologique ne pose pas de difficulté et on a pu la considérer comme donnant sa charte à la spéculation scolastique (J.-B. Becker), tout comme on a appelé Anselme lui-même « le père de la scolastique ». Mais Anselme va plus loin. Il fait de V intelligere basé sur le credere certains usages plus précis : nous voulons parler du fameux argument du Proslogion en faveur de l’existence de Dieu et des rationes necessariæ par lesquelles Anselme pense prouver la vérité des mystères de l’incarnation et de la Trinité. Les interprètes ont généralement commenté et glosé l’usage qu’Anselme en a fait de manière à fournir un apaisement à toute accusation de rationalisme ; le problème que pose la méthode d’Anselme a été abordé plus franchement par le biais de la preuve du Proslogion, c. n et m. K. Barth y voit une démarche purement théologique, c’est-à-dire ne s’appliquant pas à prouver que Dieu existe, mais, tenant par la foi le fait de cette existence, à comprendre et à montrer pourquoi et comment il en est ainsi : non une preuve, mais une reconnaissance de l’existence de Dieu.

Nous serions inclinés à penser, avec M. Gilson, qu’on ne rend pas assez compte ainsi des caractères spécifiques des démonstrations en question, et d’abord du fait qu’Anselme les présente expressément comme des démonstrations : Ad astruendum quia Deus vert est. Le fait que ces démonstrations partent de la foi n’empêche pas Anselme de les considérer comme des démonstrations dont la valeur ne repose pas sur la foi, mais sur la ratio, qui resteraient même si leur point de départ était soustrait et qui s’imposent à l’insipiens, c’est-à-dire à l’incroyant, autant qu’au fidèle. En réalité nous avons là une forme spéciale de preuve des objets de la foi. Une preuve qui est l’œuvre de la « raison » et qui, si elle ne se construit qu’au sujet d’un mystère dont un énoncé véritable a été fourni par la foi, vaut cependant par le jeu même et comme par la force de l’adéquation de l’esprit à un objet vrai. Il reste que saint Anselme se croit fondé à affirmer certains mystères au nom de « raisons nécessaires » dont la nécessité tient à ce que l’affirmation en question n’est finalement qu’une imitation et comme un reflet, dans la connaissance, de la vérité réelle et réellement existante du mystère considéré.

Sur le débat pour ou contre la dialectique. — M. von Bock, Die sieben freien Kiinste irn eljten Jalirhundert, Donauwôrth, 1847 ; Prantl, Geschichte der Logik, t. II, p. 73 sq. ; J.-A. Endres, Die Dialcktiker und ihre Gegner im 11. Jalirhundert, dans Philos. Jahrbuch, t. xix, 1906, p. 20-33 ; Th. Heitz, Essai histor. sur les rapports de la philosophie et de la foi de Bérenger de’Jours à saint Thomas d’Aquin, Paris, 1909, p. 3 sq. ; J.de GheMinck, Dialectique et dogme aux X’-.XI ! siècles, dans Festgabe CI. Bæumker, dans Beitrage, Suppl. Bd., i. Munster, 1913, p. 79-99 ; V. Sclinlz, Der Einfluss der Gedanken Augustins uber dus Verhâltnis von ratio und fides im 11. Jalirhundert, dans Zeilsch. I. Kirchengesch., t. xxxv, 1914, p. 9-39 ;.J.-A. Endres, Forschungen zur Geschichte der frtihmittelalterlichen Philosophie, dans Beitrage, t. xvii, fasc. 2-3, Munster, 1915, c. m-, p. 20-129.

Sur les antidialecticiens. — J.-A. Endres, Leuijrmik’s Verhâltnis zur Dialektik, dans Der Katholik, 3e série, t. xxv, 1902, p. 215-231 ; I’etrus Damiani unit die tueltliche Wissenscha /t, dans Beitrage, t. viii, fasc. 3, Munster, 1910 ; 6. Gilson, La servante de la théologie, dans Études de philosophie médiévale, Strasbourg, 1921, p. 30-50.

Sur saint Anselme. — Ici, art. Anselme, t. i, col. 13431344 et art. Dogmatique, t. iv, col. 1556 ; J.-B. Becker, Der Satz des hl. Anselm : Credo ut intelliijam, dans Philos. Jahrbuch, t. xix, 1906, p. 115-127, 312-326 ; M. Grabmann, Gcsch.der scholast. Méthode, l. i, p. 258-334 (riche bibliographie ) ; E. Beurlier, Les rapports de la raison et de la foi dans la philosophie de saint Anselme, et J. Bainvel, La théologie de saint Anselme, esprit, méthode et procédés, points de doctrine, dans le n" de la Revue de philosophie consacré en 1909 à saint Anselme, respectivement p. 692-723 et 724-746 ; É. Gilson, Études de philosophie médiévale, Strasbourg, 1921, p. 15 sq. ; B. Guardini, Anselm von Cantorbery und das Wesen der Théologie, dans Au) dem W’ege, Mayence, 1923 ; W. Betzendôrfer, Glauben und Wissen bei Anselm von Canterbury, dans Zeitsch. I. Kirchengesch., t. xlviii, 1929, p. 354-370 ; K. Barth, Filles quærens intellectum. Anselms Beiveis der Existenz Gottes im Zusammenhang seines theologischen Programms, Munich, 1931 ; A. -M. Jacquin, Les « rationes necessarize » de saint Anselme, dans Mélanges Maiidonnet, t. ii, Bibl. thomiste, t. XIV, Paris, 1930, p. 6778 ; A. Stolz, Zur Théologie Anselms im Proslogion, dans Catholica, t. ii, 1933, p. 1-24 ; « Yere esse » im Proslogion des hl. Anselm, dans Scholastik, t. ix, 1934, p. 400-409 ; É. Gilson, Sens et nature de l’argument de saint Anselme, dans Archives d’hist. doctr. et litlér. du Moyen Age, t. ix, 1934, p. 5-51 ; A. Stolz, Einleitung, dans Anselm von Canterburg, Munich, 1938, p. 30-42. — Après la rédaction d* cette partie du présent article, sont parus : G. Sôhngen, Die Einheit der Théologie in Anselms Proslogion, Braunsberg, 1938 ; A. Kolping, Anselms Proslogion-Beweis der Existenx Gottes. Im Zusammenhang seines spekulativen Programms Fides quxrens intellectum, Bonn, 1939.

V. La Renaissance du xiie siècle. La théologie sous le régime de la dialectique.

L’École de Laon et Abélard.

Les recherches récentes ont mieux mis en lumière le rôle de l’École de Laon dans le mouvement théologique. Il est bien certain que beaucoup des maîtres qui vont marquer le plus au xiie siècle étaient passés à l’école d’Anselme de Laon, lui-même élève de saint Anselme à l’abbaye du Bec. Au point de vue de la notion et de la constitution de la théologie, Anselme de Laon a une double importance. D’abord parce que, dans les Sententiæ éditées partiellement en 1919 par Fr. Bliemetzrieder, dans Beitrage, t. xviii, fasc. 2-3, un effort est fait dans le sens de la systématisation, le vocable de Se : Uentia> recouvrant dès lors moins une sorte de florilège, qu’une œuvre construite, dans le sens que reprendront, au delà des Sentences du Lombard, les Sommes. La théologie prend ainsi plus complètement possession de son objet. Par ailleurs si, dans cette œuvre systématique, Anselme ne semble pas être un véritable initiateur au point de vue méthodologique, se contentant de donner un enseignement qui est surtout une explication des textes au moyen de gloses et de commentaires, on rencontre aussi chez lui un début d’application du procédé de la quæslio, c’est-à-dire du débat dialectique. Essai timide encore, et qui ne satisfera pas Abélard. Celui-ci, venu à l’école de Laon, trouvera devant lui un homme « très fort pour ceux qui ne venaient que l’écouter », mais inexistant devant qui lui posait vraiment des questions. On connaît la scène qui décida du départ d’Abélard : celui-ci, interrogé par le maître