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THÉOLOGIE. D’ALCUIN AI Xlie SIÈCLE


jouissant d’un degré défini d’abstraction et de spiritualité. Clarembald d’Arras, éd. Jansen, p. 2’. » * sq., identifie formellement theologizare et philosophari de Deo, sans d’ailleurs qu’on doive introduire dans un tel texte notre actuelle distinction entre philosophie et théologie.

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J. Mariétan, Problème de In classification des sciences d’Aristote à saint Thomas, Saint-Maurice, 1901, p. (13 sq. (Uoèce), 133 sq. (Hugues de Saint-Victor) ; L. Baur, Dominicus Gundissalinus, De divisione philosophiee, Munster, 1903, p. 201, 351, etc. ; Grabmann, Gesch. derschol. Méthode, t. i, p. 252 sq. (Raoul Ardent, qu’à tort Grabmann croyait alors antérieur à Hugues), t. ii, p. 30 sq., 12 sq., etc. ; Dec Kommentare des Clarenbaldus von Arras : « Boethius De Trinitate, hrsg. von W..Jansen, Brestau, 1926, p. 8* et 9*, 27*30*. 36*, p. 36-37 et 42.

3. Les trois « entrées » d’Aristote. — S’il est vrai qu’une théologie se caractérise, du moins pour sa partie spéculative, par l’usage qu’elle fait de la raison dans la construction du donné chrétien, il faut bien avouer que le travail théologique devait se trouver modifié dans son statut même par l’application qui lui serait faite tour à tour de ferments philosophiques différents. Dans la mesure où Aristote fut par excellence le ferment philosophique de la théologie médiévale, on peut dire que les différents aspects que l’on connut successivement de lui déterminèrent pour cette théologie différents régimes méthodologiques. Or, l’œuvre d’Aristote fut transmise en trois étapes à la pensée théologique de l’Occident. C’est ce qu’on peut appeler les trois « entrées » d’Aristote.

La première entrée est celle de la Logica vêtus qui apporte, dans les Catégories, une analyse et une clas- ; sification des notions et, dans le Périherménéias, une analyse des propositions. C’étaient donc surtout des j instruments rationnels d’analyse textuelle des énon-i ces, dont le Haut Moyen Age disposait ainsi. Aussi conçoit-on que, orienté par ailleurs vers la Bible et les écrits des Pères, il ait conçu la théologie, surtout I comme une connaissance de la Bible fondée sur la grammaire. L’exemple de saint Augustin l’engageait en ce sens et, si ce docteur avait fait place à une con-j naissance « scientifique » de la nature des choses, cette partie de son programme, mal observée par lui-même, j ne devait être remplie qu’après la troisième entrée d’Aristote, dans l’effort d’Albert le Grand et de saint ; Thomas. L’étude théologique, jusqu’à saint Anselme, reste en gros sous le régime de la grammaire.

La deuxième « entrée » d’Aristote apporte, au xiie siècle, les trois autres livres de VOrganon : les I eTB et II ee Analytigues, c’est-à-dire une étude scientifique du syllogisme et des différentes espèces de démonstration, les Topigues et les Problèmes sophistiques, c’est-à-dire une étude scientifique du raisonnement probable et de ses différents « lieux ». Au total, une théorie du savoir et de la démonstration. À quoi répondra, avec la naissance des écoles urbaines, une théologie qui se formulera en « problèmes », en « questions », par une application de la raison qui discourt, d’abord au texte, puis aux problèmes spéculatifs eux-mêmes, indépendamment du texte. C’est ce qu’on pourrait appeler une théologie sous le régime de la dialectique, en entendant ce mot au sens général de traitement par le raisonnement logique. Ceci dit sans méconnaître le caractère encore profondément traditionnel de la théologie au xiie siècle et sa continuité avec les procédés hérités de l’époque patristique et des écoles du haut Moyen Age.

La troisième « entrée » d’Aristote, au début du xme siècle, apporte à la science sacrée un ferment philosophique qui n’est plus purement formel, mais qui concerne l’ordre même des objets et le contenu de la pensée : Aristote s’introduit dans la pensée chré tienne non plus comme un maître de raisonnement, mais comme un maître en la connaissance de l’homme et du monde ; il apporte une métaphysique, une psychologie, une éthique. La théologie se constitue alors, du moins avec Albert le Grand et saint Thomas, sous le régime de la philosophie. Nous verrons quels problèmes un semblable apport ne pouvait manquer de poser. Du jour où Aristote apportait une philosophie de l’homme, des natures et de la réalité, ne mettait-il pas en péril la souveraineté exclusive du révélé dans la teneur même de la pensée théologique’? La crainte qu’il en fût ainsi inspira, comme nous le verrons, un mouvement de réaction qui était en même temps un mouvement de fidélité à saint Augustin et aux Pères.

IV. D’Alcuin au xiie siècle. — 1° Alcuin. La théologie sous le régime de la grammaire. — Le travail théologique dans le haut Moyen Age est principalement dépendant de la résurrection des écoles sous l’inspiration de Charlemagne et la direction d’Alcuin. Cette réforme, qui stabilise dans la Chrétienté occidentale l’institution d’un enseignement des sept arts répartis en trivium et quadrivium en vue de l’étude de la sacra pagina, s’inspire explicitement de saint Augustin, de Cassiodore, et subsidiairement d’Isidore : Augustin, De ordine, t. II, c. xvi, P. L.. t. xxxii, col. 1015 ; Cassiodore, Institutiones, P. L., t. lxx, col. 1105-1250 et De arlibus ac disciplinis, t. lxix, col. 1149-1220 ; Isidore, Etymoiogiæ, 1. Mil, P. L., t. lxxxii, col. 73-184. Par ces hommes d’Église, c’est l’héritage de la culture gréco-romaine qui est transmis aux chrétientés nées parmi les peuples barbares. Les arts libéraux comportent un premier groupement plutôt littéraire, grammaire, dialectique et rhétorique, le trivium, et un second groupement plutôt « scientifique », arithmétique, géométrie, musique et astronomie, le quadrivium. Ces arts sont étudiés pour eux-mêmes dans les écoles carolingiennes et il n’est nullement prescrit qu’ils se terminent par l’étude de la théologie ; mais on tient que, pour cette étude, ils ont une valeur propédeutique. Car l’Écriture contient toute sagesse et toute vérité, mais elle constitue aussi un livre obscur, pour l’intelligence duquel il y a lieu d’utiliser le service des sciences humaines. C’est la tradition héritée de saint Augustin. Cf. Alcuin, De grammatica, P. L., t. ci, col. 853 sq. ; cf. col. 952, 959. Même enseignement sur la suffisance ou la perfection de l’Écriture chez Raban Maur, De cleric. inst., t. III, c. ii, P. L.. t. cvii, col. 379 ; sur la valeur pédagogique et auxiliaire des arts libéraux chez Bède, De schem. et tropis, P. L., t. xc, col. 175 ; chez Raban Maur, op. cit., t. III, c. xviii sq., col. 395 sq. ; chez Scot Érigène, s’inspirant de Denys, Expos, super Hier, csel., t. cxxii, P. L., col. 139.

Alcuin parle en général des sept arts libéraux ; il a, dans son De fide S. Trinilalis, revendiqué, P. L., t. ci, col. 12, et pratiqué l’usage de la dialectique dans le traitement des mystères ; mieux, il a lui-même écrit un De dialectica, P. L., t. ci, col. 951 sq., où il montre un sentiment exact du rôle de cet art. La dialectique, c’est le raisonnement qui conclut avec nécessité. Cependant, la pensée théologique de l’époque carolingienne est indiscutablement caractérisée par une application au donné chrétien non tant de la dialectique que de la grammaire, non tant du raisonnement, qui prouve, que de la science des mots et des énoncés, qui explique. L’emploi de la dialectique, entre l’époque d’Alcuin et celle d’Abélard, restera en somme sporadique et occasionnel. Saint Augustin avait déjà noté l’utilité, pour une intelligence plus précise de l’Écriture, de la connaissance des schemata et des tropi : De doctr. christ., I. III. c. xxix, n. 40, P. L.. t. xxxiv, col. 80 ; De Trin.. t. XV, c. ix. t. xlii, col. 1008. La réforme carolingienne faisait, de cette cou-