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    1. THÉOLOGIE##


THÉOLOGIE. L’HÉRITAGE DU VI » SIÈCLE

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Lx., xi, 2 ; iii, 22 etxii, 35, ou encore l’allégorie de David tuant Goliath proprio mucrone, ou enfin, à la suite de Philon, l’allégorie de Sara et d’Agar, celle-ci représentant la science humaine dont il fallait qu’Abraham eût un fils avant d’en avoir un de la femme libre. Ces symboles illustrant l’idée de la valeur propédeutique et auxiliaire des sciences profanes, traverseront tout le Moyen Age ; on les retrouve jusqu’en plein xiii c siècle.

Cette conception de la valeur auxiliaire et propédeutique des diverses branches du savoir humain est commune dans la période que nous abordons. Formulée par saint Augustin, De ordine, t. II, c. xvi, P. L., t. xxxii, col. 1015, et par Cassiodore, Institutiones, P. L., t. lxx, col. 1105 sq., par saint Grégoire, In I Reg. expos., v, 30, P. L., t. lxxix, col. 355 D et Epist., ]. XI, ep. liv, P. L.. t. lxxvii, col. 1171, et par saint Isidore, etc., cette conception s’exprimera à l’état d’institution dans le régime scolaire établi par Alcuin. D’une manière plus générale, cette notion existera, au Moyen Age, dans la structure même de la culture, laquelle est caractérisée comme un ordre déterminé par la subordination à la science sacrée et la mise à son servicedetous les éléments de culture, alors qu’elle-même est essentiellement conçue comme l’explication, la pénétration et l’illustration d’un texte, la Bible. Ceci est caractéristique du Moyen Age et de sa civilisation essentiellement théologique. Sans nier que cette civilisation n’ait englobé bien des tendances laïques, sans affirmer que la culture profane ou scientifique n’y ait jamais été conçue ou pratiquée que comme une chose subordonnée à la théologie, la culture médiévale sera en effet, dans son ensemble, caractérisée par sa référence à la Révélation et au salut. Aussi bien est-elle essentiellement une chose d’Église, un bien de chrétienté, puisque le monde cultivé s’identifie à celui des clercs et que l’enseignement est exclusivement aux mains de l’Église. Les écoles et les universités obéiront, bien ou mal, à la loi de cette culture théologique et à l’idéal de la théologie-reine, servie et précédée par les arts et les sciences, ses servantes ; cf. H. Denifle, Die Enlstehung der Universitàten des Mittelalters bis 1400, t. i, Berlin, 1895, p. 98 sq. Nous retrouverons au xm° siècle, dans cette pure ligne augustinienne, la lettre de Grégoire IX à l’université de Paris et l’opuscule de saint Bonaventure, au titre étonnamment suggestif, même s’il n’est pas æ Bonaventure lui-même, Reductio artium ad theologiam.

On connaît la formule célèbre dans laquelle la tradition a fixé le rapport à la théologie des autres éléments de culture : Philosop Ma ancilla theologise, scientia ancilla theologise. Cette formule n’est pas une création du Moyen Age. On la trouve chez Philon pour exprimer l’effort d’un premier humanisme théologique au bénéfice de la sacra pagina de l’Ancien Testament juif, E. Bréhier, Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’Alexandrie, 2° éd., Paris, 1925, p. 287-293 ; on la trouve équivalemment chez les Pères grecs, utilisée dans le même sens : chez Clément d’Alexandrie, Grégoire de Nazianze, Jean Damascène ; cf. Grabmann, Gesch. der schol. Meth., 1. 1, p. 109 ; on la trouve chez les auteurs médiévaux avec une telle abondance qu’on doit renoncer ici à faire un relevé des textes.

3. Importance du « texte » et du commentaire. — On en revient complètement de l’idée d’un Moyen Age qui ne serait, entre deux grandes époques créatrices, l’Antiquité et les Temps modernes, qu’une longue léthargie de l’esprit. Il est cependant indéniable, au point de vue de la pensée religieuse et plus spécialement de la théologie, que le Moyen Age s’est considéré urtout comme ayant reçu un héritage et devant le garder et l’assimiler. On a noté, comme l’un des traits du Haut Moyen Age, une certaine passivité dans l’uti lisation des sources, la rareté des traductions nouvelles d’eeuvres anciennes, un certain caractère de monde fermé. A. Van de Vyver, Les étapes du développement philosophique du haut Moyen Age, dans Revue belge de philologie et d’histoire, t. viii, 1929, p. 425 sq. Plus tard encore, même lorsqu’ils feront effectivement preuve de la plus grande initiative, les penseurs du Moyen Age couvriront leur production personnelle d’une étiquette homologuée. Il y a là un fait notable et qui intéresse au premier chef le développement delà méthodologie théologique. Pour le Moyen Age il y a un donné qui doit être reçu tel quel et qu’on doit seulement chercher à commenter. L’œuvre intellectuelle se présente comme l’assimilation d’un texte, le commentaire d’un auteur reçu. L’enseignement, dans les écoles, revêt essentiellement la forme d’une explication de texte. L’acte essentiel et le régime normal de la pédagogie médiévale sera la lecture, lectio ; le maître, le docteur, s’appellera un lector. Paré-Brunet -Tremblay, op. cit., p.. 110 sq.

Qu’on relise le prologue des Sentences de Pierre Lombard ; on verra que ce livre, qui servira lui-même de « texte » jusqu’en plein xviie siècle, se présente comme une pure compilation de ce que les Pères ont dit : In quo majorum exempta doctrinamque reperies… brevi Volumine complicans Patrum sententias, éd. Quaracchi, t. i, p. 3. Ailleurs, se demandant quid sil originale peccatum, le Lombard fait cette réflexion qui en dit long sur les catégories habituelles et l’attitude spontanée de son esprit : De hoc sancti doctores subobscure locuti sunt, atque scholaslici lectores varie senserunt, t. II, dist. XXX, c. vi, p. 462. Ainsi, pour un homme du Moyen Age, l’ensemble des penseurs chrétiens se divise en deux catégories : il y a d’une part les sancti doctores, ou tout simplement les sancti, qui font désormais autorité, et, d’autre part, les scholaslici lectores, ceux qui, dans le régime scolaire en vigueur dans l’Église, « lisent », c’est-à-dire commentent les précédents. Abélard lui-même, dans le prologue du Sic et non, laisse percer la conviction générale du Moyen Age, selon laquelle il faut interpréter les Pères, dont on n’a plus l’inspiration et la grâce créatrice. Il est important à cet égard de noter que les œuvres des Pères furent souvent rangées dans la Scriptura sacra, avec les conciles et les canons faisant, avec la Bible elle-même, l’objet de la lectio ou du commentaire : assimilation relative, dont personne ne sera dupe et qu’un saint Thomas mettra plus tard au point. Sum. theol., I », q. i, a. 8, ad 2um.

Les auctores, ou adores, ou autores, sont les écrivains qui, en chaque matière, font « autorité », auctoritates, et servent de modèle. Déjà, dans la langue classique, auctor désignait non seulement celui qui avait fait une œuvre quelconque, mais celui qui avait qualité juridique ou dignité pour la faire. Le Code de Justinien opposait aux exempta les authentica et originalia rescripta et, dans le droit ecclésiastique, le pape Grégoire emploiera ce même vocabulaire. Par métonymie, le mot auctoritas signifiera non plus la dignité dont est revêtu un auteur ou son œuvre, mais le texte même qu’on invoque. C’est avec cette ultime signification que le mot circule, appliqué aux textes patristiques, dans tout le haut Moyen Age chez les compilateurs île sentences, (Yauctoritales. Le mot implique, avec celle d’origine, l’idée d’autorité. Le fameux Dccretum de libris recipiendis et non recipiendis attribué au pape Gélase, qui pénètre au ixe siècle dans les collections canoniques, apportait officiellement un premier discernement entre les livres rejetés et ce qu’on appellera la dfseriptio authenticarum scripturariim (Hincmar de Reims), les libri aulhenlici quos recepit Ecclesia (Yves de Chartres). Abélard s’y référera pour composer son Sic et non, P. L., t. clviii, col. 1549. L’usage attribua