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THÉOLOGIE. SAINT AUGUSTIN

et de la littérature profane, dans Rech. de science relig., t. xxi, 1931, p. 38-66 ; le même, Clément d’Alexandrie et l’utilisation de la philosophie grecque, ibid., p. 541-569.

Il faut dire d’ailleurs que, si Clément a esquissé déjà une théorie de la spéculation théologique, il n’a pas lui-même composé cet exposé synthétique et systématique de la vérité chrétienne que son programme appelait. Les Stromates, comme leur nom l’indique, forment plutôt « une esquisse bigarrée ». Mais le mouvement était créé, la valeur propédeutique de la philosophie et des sciences humaines par rapport à une activité contemplative du croyant, nettement définie. Tout un mouvement de spéculation va se développer. Vers la fin du iie siècle, nous trouverons en Orient des écoles de théologie : en Cappadoce, à Édesse, Jérusalem, Césarée, Antioche, mais surtout à Alexandrie, où le » didascalée de la science sacrée » remonte au delà de Pantène. On avait déjà pu voir, à Rome, avec Justin, Tatien, Rhodon, une sorte d’école catéchétique et apologétique ; on a maintenant en Orient de véritables écoles de spéculation religieuse ayant chacune sa tradition et son esprit.

Origène est le créateur de la première grande synthèse de théologie scientifique.

Du point de vue méthodologique, il occupe, dans le développement de la notion de théologie, une place autrement importante qu’Irénée. Et ceci à trois titres : il a fondé l’exégèse scientifique de l’Écriture ; il a formulé une théorie de la connaissance religieuse ; il a composé le premier écrit de théologie proprement systématique.

1° Origène est demeuré, jusqu’en ses spéculations les plus hasardées, un bibliste ; son œuvre systématique, le Περὶ ἀρχῶν, est un commentaire de textes bibliques qui a engagé la théologie, telle que la pratiqueront Athanase et les Cappadociens, dans un sens profondément ecclésiastique et biblique.

2° Origène a proposé et mis en pratique une théorie de la connaissance religieuse qui accentuait la distinction faite par Clément entre la foi et la gnose. Beaucoup moins philosophe que Clément, beaucoup plus homme d’Église aussi, il a pourtant séparé davantage la connaissance supérieure de la gnose et la foi commune, mettant ces deux connaissances en relation avec les deux sens de l’Écriture, le sens matériel et le sens allégorique ou spirituel. La gnose représente ainsi, chez Origène, un mode de connaissance et un motif d’adhésion autres que le mode et le motif de la simple foi. Comme la foi pure, elle concerne certes les mystères, mais elle les aborde et s’en nourrit non par la voie des faits historiques et de leurs énoncés, mais par la voie d’une spéculation et de raisons d’ordre idéologique, que seule la sagesse discerne.

3° Origène a composé le premier grand ouvrage de théologie systématique, le Περὶ ἀρχῶν, en quatre livres, où il est traité successivement de Dieu et des êtres célestes, du monde matériel et de l’homme, du libre arbitre et de ses conséquences, enfin de l’Écriture sainte. Après avoir, dois le prologue, distingué les objets que la prédication ecclésiastique impose a la croyance et le domaine des élaboration ! ou des explications laissé à l’initiative du chercheur, Origène profite largement de la liberté de recherche ainsi définie. Mais on a noté supra, art. Origène, t. xi, col. 1527 sq., et R. Cadiou, Le développement d’une théologie. Pression et aspiration dans Rech. de science rel., t. xxiii, 1933, p. 411-429, qu’Origène a su se corriger lui même et qu’en lui le croyant et l’homme d’Église ont rectifié plusieurs fois le philosophe ou le spéculatif hardi. Il a eu le souci très vif, dans son œuvre, d’assumer tout ce qu’il était possible d’assumer. Un maître de pensée exigeante et exacte, un homme soucieux d’assimiler synthétiquement dans la pensée religieuse tout élément de vérité et de profiter de tout pour grandir spirituellement, tel nous paraît Origène dans le souvenir fidèle de Grégoire le Thaumaturge, évêque de Néocésarée. Orat. paneg., cf. surtout n. 8, 11, 13, 14 fin, P. G., t. x, col. 1077, 1081, 1087, 1093.

Malgré leur grande importance au point de vue dogmatique, nous ne nous arrêterons pas sur les Cappadociens qui, ayant exercé vraiment une activité spéculative, n’en ont pas fait la théorie méthodologique. Mais Basile affirme très vigoureusement la nécessité de croire d’abord, Hom. in ps. cxv, n. 1, P. G., t. xxx, col. 104 sq. ; Epist., xxxviii, n. 5, P. G., t. xxxii, col. 336 ; mais quand on voit, par exemple dans cette Epist., xxxviii, col. 325, 340, la fermeté et l’acribie avec lesquelles il distingue les notions d’essence et d’hypostase, on doit conclure que la pensée chrétienne est armée pour élaborer, construire et systématiser le révélé, sur la base de la foi. Rien au delà d’une simple répétition des affirmations scripturaires, bien au delà d’un concordisme apologétique avec la philosophie païenne, nous avons ici, au service d’une perception et d’une expression plus précises du donné chrétien, un usage de la raison et de ses ressources, qui est d’authentique théologie. D’ailleurs, Grégoire de Nazianze dira expressément qu’il ne faut pas craindre d’innover en matière d’expressions, pour les besoins de la clarté. Oral., xxxix, n. 12, P. G., t. xxxvi, col. 348 B.

De saint Jérôme nous ne ferons mention que pour sa lettre fameuse à Magnus, qualifié d'Orator urbis Romæ, P. L., t. xxii, col. 664-068. Cette lettre, en effet, où Jérôme justifie l’usage des lettres profanes, fut pour l’Église occidentale et singulièrement pour le Moyen Age latin, le « lieu » propre où l’on alla chercher la tradition sur le point de l’utilisation des sciences humaines, des lettres et, d’une manière générale, des éléments rationnels dans les sciences sacrées.

II. Saint Augustin.

Saint Augustin a conçu une théorie très forte de la contemplation théologique ; l’ayant lui-même appliquée, il a eu, sur le développement de la théologie dans l’Église d’Occident, une influence absolument prépondérante.

Les textes concernant cette conception de la théologie sont épars, mais on peut se référer à quelques exposés plus explicites et plus formels, qu’on trouvera par exemple dans : Serm., xi. iii, P. L., t. xxxviii, col. 254 sq. (commentaire du Nisi credideritis, non intelligetis) ; Serm., cxvii, n. 5 et 6. col. 665 sq. (sur l’usage des similitudes) ; Epist., cxx, ad Consentium, t. xxxiii, col. 452-462 (sur les rapports de la ratio et de la fides ; 410) ; Enarr. in ps. cxviii, serm. xviii, surtout n. 3, t. xxxvii, col. 1552 (sur les rapports du credere et de lintellectus ; 415) ; De Trinitate (entre 398 et 416), surtout le l. XV, t. xlii, col. 1057-1098 ; De doctrina christiana, l. II, t. xxxiv, col. 35-66 (397 ; seconde rédaction en 427).

Sur la contemplation théologique chez saint Augustin: M. Schmaus, Die psychologische Trinitätslehre des hl. Augustinus, Munster, 1927, surtout p. 169-190 (sa position théologique) et 285-291 (scientia et sapientia) ; F. Cayré, La contemplation augustinienne. Principes de la spiritualité de saint Augustin, Paris, 1927, surtout les c. vii-ix ; Ét. Gilson, La philosophie de saint Augustin, Paris, 1929, chap. sur la foi, sur la sagesse, et conclusion sur l’augustinisme (sur le point de vue de Gilson, cf. les remarques de B. Romeyer, dans Archives de philos., t. vii, 1930, p. 201-213) ; Ch. Boyer, Philosophie et théologie chez saint Augustin, dans Revue de philos., 1930, p. 503-518 ; H.-I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique, Paris, 1938, surtout la IIe et la IIIe partie; R. Gagnebet, La nature de la théologie spéculative, dans Revue thomiste, 1938, p. 3-17.

M. H.-I. Marrou, op. cit., a établi que saint Augustin était d’abord converti, en 386, à la recherche exclusive de la sagesse, comportant la seule connaissance de soi-même et de Dieu, et se subordonnant, pour cette connaissance, l’usage des arts libéraux, puis que, en 391, ordonné prêtre et évêque, il s’était ouvert au souci de l’action et à ce que celle-ci exigeait de connaissance de l’ordre temporel, c’est-à-dire de scientia : le De doctrina christiana et la seconde