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TALMUD. CARACTÈRES


bulations populaires et pareil plain-pied, enfantin et primitif I

Voici d’ailleurs sur quels points la doctrine talmudique, inspirée de la Bible, marque volontiers l’accent. L’unité divine est fortement affirmée, en contraste avec les aberrations du polythéisme et de l’idolâtrie. Le Dieu qu’on adore est infiniment élevé au-dessus des créatures, invisible et tout spirituel dans sa résidence des cieux. Il s’affirme surtout dans son activité créatrice : il a créé de rien, par sa seule parole, le ciel et la terre et tout ce qu’ils contiennent. Il ne cesse de prendre soin de ses créatures par une providence universelle, se mettant à leur service comme le plus diligent des serviteurs. Sa toute-puissance éclate dans les miracles, plus encore dans la prédestination qui détermine l’être et la destinée de tout ce qui existe. Les règles de son gouvernement sont l’amour et la justice, le droit rigoureux et la miséricorde la plus indulgente, qui se concilient dans un accord imperturbable. Car Dieu est le « Père qui est aux cieux » et aussi le roi à la volonté inflexible, abinu malkèinu. S’il commande la crainte, tout autant convient-il de lui vouer l’amour, plus haut et plus parfait.

Cette théodicée, fidèle dans son ensemble à la doctrine biblique, accuse pourtant un infléchissement regrettable : une tendance à naturaliser Dieu, qui se traduit par les limitations qu’on voudrait prescrire à l’action divine, surtout dans le domaine de la liberté humaine. Il deviendra de plus en plus difficile à un esprit juif d’admettre et de désirer le surnaturel proprement dit, qui tient une si grande place dans la piété chrétienne, de concevoir même cette participation à la nature divine.

Les Talmuds abondent en données sur les anges et les démons : héritage authentique des Écritures, mais trop souvent alourdi par les inventions d’une imagination orientale, prodigue en luxuriantes broderies. Malgré ces débordements de la fonction fabulatrice, cette angélologie tend à mettre en relief la grandeur divine : ces myriades qui entourent le trône du Seigneur des siècles, qui s’empressent à son service font sentir vivement l’altitude inaccessible de sa majesté, son universelle vigilance sur ses créatures. Le développement excessif donné à ces croyances prépare le terrain pour des déviations doctrinales et surtout des superstitions.

Si Dieu est le pôle autour duquel gravite la pensée juive, on peut dire qu’Israël est l’autre pôle qui attire et oriente conceptions et sentiments. Ce dogme, que nous appelons dogme national, se fonde, lui aussi, étroitement sur la révélation divine. L’Ancien Testament est rempli de témoignages sur l’élection de la nation aimée ; les rabbins ne font que gloser les données traditionnelles. C’est gratuitement, avant tout mérite, que Dieu s’est attaché un peuple, le plus petit (li-Ions. Cette grâce première a noué entre Dieu et [graël un lien indissoluble : au « peuple de Dieu » répond le « Dieu d’Israël » ; les Israélites sont ses enfants, même quand ils lui désobéissent ; ils sont la nation par laquelle le Saint a voulu que fût prononcé son nom. Aussi prend-il soin des siens dans une affection paternelle, qui se traduit tout autant par une justice Vengeresse et médicinale que par des faveurs. Ce privilège oblige Israël à une haute sainteté et lui vaut des qualités éminentes. La nation sainte a pour principale mission d’être la dépositaire et la missionnaire de la l il ion divine : par là elle est en quelque sorte devenue nécessaire à Dieu.

convictions oui pour conséquence : d’une part,

Un estime excessive pour Israël qu’on décore de toutes lis vertus ; « l’autre part, uni sévérité systématique poui lis nations étrangères : élolgnemen ! el hostilité’[m trouvent l<’ur excuse dans 1rs vices des

païens et dans les persécutions et vexations qu’ils avaient infligées au peuple de Dieu. Il ne faut donc pas s’étonner de trouver dans le Talmud à l’égard des gentils les pires condamnations : Dieu les hait et les rejette, en raison de leur idolâtrie qui l’insulte et à cause des homicides et des débauches par lesquelles ils pervertissent leurs semblables. Aussi bien ne méritent-ils pas d’être tenus pour des hommes, mais pour des animaux ; et un docteur, qui avait beaucoup souffert de la cruauté romaine, disait : « le meilleur des gentils, à mort I »

Au reste, il serait injuste, comme le font les antisémites, de taire les déclarations favorables aux païens. Leur idolâtrie est excusée, parce que coutume traditionnelle, et elle est considérée comme légitime hors de la Terre sainte. On célèbre les vertus de leurs justes : leur piété filiale, leur hospitalité… On déclare que le gentil qui observe la loi est semblable au grand-prêtre et a droit à la récompense divine, à la vie qui est promise atout fidèle, quelles que soient sa condition et son origine. D’autres docteurs relèvent que Dieu a fait tous les hommes égaux, puisqu’il les a tous créés à son image, puisqu’il les fait venir tous du même père, puisqu’il a ordonné d’aimer son prochain comme soimême.

A considérer l’ensemble de ce dossier, on doit reconnaître qu’en théorie, malgré tous les accents de haine, le Talmud émettait des principes de franc universalisme. Cependant, en fait, le particularisme l’emporte, surtout en pratique. Dans leur vision de l’humanité, les Juifs étaient commandés par un seul point de vue : distinguer nettement les ennemis de Dieu des fidèles qui gardent sa Loi. Dans leurs préceptes touchant les rapports avec les étrangers ils visent à un séparatisme à peu près total, afin de soustraire le peuple de Dieu à la contagion de l’idolâtrie et de l’immoralité ambiantes.

Un chapitre important de la dogmatique juive est celui des fins dernières, individuelles et collectives ; en cette matière l’enseignement des rabbins reproduit et prolonge les données bibliques. Aussitôt après la mort les hommes sont jugés selon leurs œuvres, jugement particulier qui est suivi d’une rétribution, punitions de la géhenne ou délices dans un habitacle spécial : ainsi commence pour chacun lee siècle qui vient ».

Fins dernières nationales : le messianisme. Plus on avance, plus vive se fait l’attente d’une restauration nationale : le peuple élu retrouvera, et dans une forme sublimée, ses institutions, son roi, son culte, soit sur cette terre, soit dans un monde renouvelé et transfiguré. Cette ère finale se distinguera tout ; la fois par une prospérité matérielle extraordinaire et par le règne de la justice, de la paix, par une intimité étroite avec Dieu. Dans ce royaume nouveau la tradition assigne un rôle prépondérant au Messie. Pour les rabbins, ce personnage, quoique béni de Dieu, ne sera qu’un homme entre les hommes, n’ayant rien de surhumain, encore moins de surnaturel. Est-ce par opposition au christianisme que les rabbins ou bien négligent certains textes prophétiques faisant du Messie le Fils de Dieu, ou bien ne leur attribuent qu’un sens naturel ?


Plus fermes et plus conformes aux doctrines traditionnelles sont les vues sur les fins dernières universelles : résurrection des corps, qui est un dogme pharisien, jugement universel, récompenses de l’Éden ou supplices fie la géhenne. Ces convictions qui soutiennent l’espérance, sont aussi un stimulant pour une vie morale plus haute.

La théologie morale, professée dans le Talmud,

honore grandement l’esprit juif, surtout quand on met

en parallèle avec elle les mœurs et règles de conduite en vigueur dans le monde antique. Ici encore les rabbins