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THÉOGNOSTE


Sérapion et Pierre. La notice de Philippe, on le sait par ailleurs, ne mérite qu’une confiance très relative ; elle est remplie d’erreurs flagrantes et d’anachronismes. Dans le cas de Théognoste, elle se trompe probablement en le plaçant à la suite de Piérius. Nous savons que celui-ci était prêtre sous l’épiscopat de Théonas (281-300) et qu’après la grande persécution il passa à Rome le reste de sa vie. D’autre part, saint Denys fut élevé à l’épiscopat en 247-248 et il dut, à ce moment, abandonner la direction de l’école. Il ne peut donc guère avoir eu Piérius pour successeur immédiat à l’école et il est vraisemblable que l’activité de Théognoste est à placer sous l’épiscopat de Denys et de ses successeurs, entre 247 et 280 environ. Saint Athanase qui cite son témoignage le range parmi les anciens, 7raXoao ! ocvSpsç. Episl. ad Serap., iv, 11. Dans le De decretis Nicœnæ synodi, c. xxv, il le mentionne comme un habile homme, Xôytoç àv/]p, avant saint Denys. Après saint Athanase, saint Grégoire de Nysse, Stéphane Gobar, Photius, puis, au xiie siècle, Georges de Corcyre sont seuls à rappeler le souvenir du vieux théologien.

Des ouvrages de Théognoste, nous connaissons d’abord quatre fragments : deux d’entre eux ont été conservés par Athanase aux deux endroits déjà cités ; un troisième figure dans le Contra Eunumium, t. III, c. iii, de Grégoire de Nysse ; un quatrième a été publié par Fr. Diekamp en 1902. Mais c’est Photius, Biblioth., cod. 106, qui nous renseigne le mieux sur son activité littéraire. Il nous apprend en effet que Théognoste avait écrit un grand ouvrage en sept livres intitulé Hypolyposes et il indique approximativement le contenu de chacun de ces livres : le premier devait traiter du Père, le deuxième du Fils, le troisième de l’Esprit-Saint, le quatrième des anges et des démons, le cinquième et le sixième de l’incarnation, le septième de la création.

Photius donne le titre du septième livre : De l’activité créatrice de Dieu, ce qu’il ne fait pas pour les autres livres. Diekamp a cru pouvoir conclure de ce fait et aussi de l’affirmation que le 1.- VII était plus orthodoxe que les autres, spécialement en ce qui concerne la christ ologie, que ce livre constituait une sorte de rétractation des précédents. Après avoir systématiquement exprimé sa pensée sur tous les dogmes chrétiens, Théognoste aurait été amené à revoir son œuvre, à la corriger ou à la compléter sur des points spéciaux et l’occasion de cette revision aurait pu lui être fournie par la controverse des deux Denys et les reproches adressés à l’évêque d’Alexandrie par saint Denys de Rome. Cette hypothèse est malheureusement aussi aventureuse que séduisante et nous ne saurions la retenir. Il peut être surprenant de trouver le traité de la création après celui de l’incarnation et même après celui des anges et des démons ; mais nous savons que l’ordre des matières suivi par les théologiens anciens était assez différent du nôtre : dans le De principiis, Origène, après avoir parlé de Dieu, puis du monde et de l’homme, ne consacre-t-il pas ses deux derniers livres à la liberté humaine et à l’interprétation de l’Écriture sainte ?

La doctrine de Théognoste semblait assez choquante à Photius, qui en critique plusieurs points, et cîéjà à saint Grégoire de Nysse, qui la rapproche de celle d’Eunomius. De même le caténiste auquel est dû le fragment publié par Diekamp écrit : « À remarquer qu’en plusieurs autres passages, cet auteur émet des blasphèmes sur le Fils de Dieu et sur le Saint-Esprit. » En réalité, le vieux théologien d’Alexandrie se montre le disciple fidèle d’Origène et ses enseignements s’apparentent de près à ceux de saint Denys. Pour sa part, saint Athanase ne voyait pas de difficulté à se couvrir de l’autorité de ce savant homme,

tout en déclarant qu’il parlait parfois par manière d’exercice avant d’exprimer sa véritable pensée : -.% upo-TEpa cjç êv pj[j.vy.al<x h’-, z~’xcsy.c, , uGTepov tïjv èauroC Sô^av tiŒîç. De décret. Nie. syn., c. xxv, P. G., t. xxv, col. 460.

Selon Photius, Théognoste enseignait que le Père doit nécessairement avoir un Fils. Peut-être faut-il entendre par là que Dieu est obligé pour se révéler d’avoir recours à un médiateur. On se souvient que, pour Origène, Dieu est de même la vérité et la bonté absolues et qu’il se manifeste aux hommes par le moyen du Verbe qui est seulement vrai et bon.

Plus grave, nous semble-t-il, est le reproche, encore adressé par Photius à Théognoste, d’avoir donné au Fils le nom de créature, x-îa^a. Un reproche semblable a été fait à Origène et à saint Denys d’Alexandrie. Mais on sait qu’au iiie siècle encore le mot y.TÎo[i.a était loin d’avoir un sens aussi nettement déterminé que celui qu’il a de nos jours et que son emploi dans la christologie était justifié par le célèbre verset de Prov., vin, 22, où la Sagesse parle de sa création par ie Seigneur.

D’ailleurs, saint Athanase, De décret. Sic. syn., c. xxv, cite un passage de Théognoste où celui-ci enseigne clairement que le Fils est de l’ousie du Père, èx -rqç, oùaîaç toû Ila-rpoç, comme le rayonnement de la lumière ou la vapeur de l’eau. « Le rayonnement n’est pas le soleil, la vapeur n’est pas l’eau ; mais ils ne sont pas étrangers au soleil ou à l’eau. De même, l’ousie du Fils n’est pas le Père et elle n’est pas étrangère à lui, mais elle est une émanation de l’ousie du Père, sans que celle-ci ait à souffrir une division. » Ailleurs, dans le nouveau fragment publié par Diekamp, Théognoste écrit : « Les Écritures donnent au Fils les noms de Verbe et de Sagesse. Il est appelé Verbe parce qu’il procède de l’esprit du Père de l’univers, car il est clair que le Verbe est la plus noble expression de l’esprit. Mais le Verbe est également une image, car le Verbe seul traduit d’une manière convenable les pensées qui existent dans l’esprit. Pourtant nos paroles humaines ne sont qu’une indication partielle des choses qui sont susceptibles d’être dites et elles laissent de côté bien des choses ineffables qui restent dans l’esprit seul. Mais le Verbe vivant de Dieu (interprète tout l’esprit de Dieu)… Les Écritures disent encore que dans le Fils habite la plénitude de toute la divinité. Elles signifient non pas qu’il est une chose et que la divinité est une autre chose distincte qui entrerait en lui et le remplirait, mais qu’il est semblable au Père, que son ousie est pleine, comme l’ousie du Père, de tout ce qui constitue Dieu. Il possède ainsi la ressemblance du Père selon l’ousie…, une ressemblance entière et exacte. » Ce langage est jugé correct par le caténiste. Il nous surprend un peu, parce qu’il y est question de l’ousie du Fils et de celle du Père, alors que le symbole de Nicée déclare expressément que le Fils est consubstantiel, ô[j.ooùcrt&ç, au Père et qu’il enseigne l’unité d’ousie en Dieu. Mais il ne faut pas s’arrêter aux mots : ici encore, Théognoste s’exprime comme Denys d’Alexandrie, en évitant soigneusement toutes les expressions qui pourraient favoriser l’hérésie sabellienne.

On peut ajouter que, selon Photius, Théognoste limite l’action du Fils aux seuls êtres raisonnables, tûv Xoyixô>v u.6vov è^LtTTaTeîv. Lue idée semblable est attribuée à Origène par saint Jérôme. Epist., cxxiv, ad Avid.. c. 2, et par Justin ien, Episl. ad Menant. Mansi, Concil., t. ix, col. 524 : cf. P. Kælschau, Origenes De principiis, I, iii, 5, p. 55-56, et elle s’explique par le fait que le Fils est essentiellement la raison de Dieu. Il faudrait d’ailleurs connaître exactement le texte auquel se réfère Photius pour être capable d’apprécier la vraie pensée de Théognoste.