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TALMUD. CARACTÈRES


exégèse paulinienne, Paris, 1939, p. 77-116, 160, 186199.

Aux difficultés de cette dialectique spéciale se joignent d’autres causes d’obscurité : une terminologie particulière que seul un long usage, sous la direction d’un maître, rend familière, cf. W. Bâcher, Die exegelische Terminologie der jùdischen Traditionsliteratur, Leipzig, 1899 ; des incohérences dans les développements, dont le fil est souvent rompu par l’introduction d’un sujet étranger et inattendu ; un style parfois terriblement diffus, parfois bref, dense et impénétrable, surtout dans le JeruSulmi, célèbre par sa concision. On trouve aussi des expressions conventionnelles, probablement à fin mnémotechnique, à peu près inintelligibles ; de tout autre espèce sont les simanim, assez fréquents dans le Babli, groupements de lettres, qui ont pour but de rappeler une succession d’idées, l’essentiel d’une doctrine.

La langue des Talmuds comprend deux parts. Nous trouvons l’hébreu post-biblique ou michnique, parlé dans les écoles : dans les citations de la Michna, dans les exposés halakhiques et les discussions des tannas et aussi, fréquemment, dans les propos juridiques des amoras. Nous avons aussi l’araméen, surtout dans les parties haggadiques, dans les sections narratives, d’une manière générale dans tout ce qui est populaire d’origine et de contenu. Dans le JeruSalmi cet araméen est l’araméen palestinien ou occidental, apparenté à l’araméen biblique, au samaritain et à la langue des targums palestiniens. Dans le Babli c’est l’araméen oriental, proche du syriaque et du mandéen.

Si l’on tient compte de ces particularités on comprend que la meilleure, sinon la seule méthode pour se rendre maître de ce redoutable grimoire est la méthode traditionnelle, suivie par tous les grands talmudistes : se mettre dès l’enfance à l’école d’un docteur rompu à la langue et à la terminologie, connaissant les arcanes de la législation et des traditions, lire et relire avec lui, répéter et apprendre ainsi, tout empiriquement, bien des notions qu’on ne découvrira jamais complètement dans les ouvrages les plus scientifiques et critiques : dictionnaires spéciaux, grammaires, terminologies.

2. Le fond.

Comme l’indiquent les titres des traités, l’objet principal et ordinaire des Talmuds est presque uniquement juridique : sauf les Pirqé Abot, haggadiques, ils n’étudient que des lois positives, dans lesquelles le culte du Temple et les observances rituelles tiennent une place considérable : directement rien sur le Décalogue ni sur les devoirs de religion intérieure. Cette lacune sera suppléée par la part faite à la Haggada, dont nous parlerons.

Les développements sur ces lois positives nous renseignent-ils sur la liturgie du Temple, sur la vie sociale en Palestine aux environs de l’ère chrétienne ? Assez peu. Les docteurs palestiniens et babyloniens ont continué de disserter et de discuter, même des siècles après leur suppression, sur le Temple, le Sanhédrin et autres institutions civiles et religieuses. Leurs propos, tant dans la Michna que dans les Talmuds, contiennent des éléments anciens, qu’on peut dégager avec quelque vraisemblance, ainsi dans le traité de la Pâque ou du Jeûne ; mais presque tout n’a qu’une valeur académique : par exemple ce qui nous est rapporté sur la procédure criminelle du Sanhédrin reflète, non les usages pratiqués avant la ruine de l’État juif, mais les conceptions de rabbins qui dissertaient dans les écoles : vues théoriques et surenchères sur la justice idéale.

Avant de proposer des conclusions historiques certaines, il faudrait entreprendre un travail critique, à peine ébauché et commencé pour la Michna : la détermination des sources. Pour la Michna, par l’étude cri tique interne, par la comparaison avec la Tosephla, on arrive à découvrir les différentes couches de rédaction. Pour le Talmud le discernement est autrement malaisé : on reconnaît ce qui provient de la Alichna. de la Tosephla, des commentaires anciens (midrachim tannaïtes : Mekhilta sur l’Exode, Sifra sur le Lévitique, Sifré sur les Nombres et le Deutéronome ; portions du Midrach rabba sur le Pentateuque et les cinq megillot, c’est à dire le Cantique, les Lamentations, Huth, Esther et l’Ecclésiaste) ; on découvre des citations d’ouvrages aujourd’hui perdus ; mais il y a aussi des sources uniquement orales, malaisées à identifier. Et même quand les sources sont identifiées, restent encore des problèmes insolubles : les traditions données comme tannaïtes (barailol) remontent-elles sûrement aux deux premiers siècles et, dans ce long espace de temps, à quelle période précise ?

Nous avons déjà mentionné les portions de Haggada que contiennent les deux Talmuds, environ le tiers du Babli et le sixième du JeruSalmi. Ce genre plus facile était cultivé par la plupart des rabbins, principalement en Palestine ; certains étaient célèbres en raison de leur haggada. Ils en usaient, non seulement dans leurs prédications, mais aussi dans les écoles, pour éclairer leur enseignement juridique par des considérations édifiantes, ou illustrer tel précepte par un exemple significatif et encourageant. Inévitablement, de cet usage nous trouvons de nombreuses traces dans le Talmud, plus largement dans le Babli, parce qu’au cours de sa rédaction prolongée il a pu recevoir de plus nombreuses additions ; par contre les Palestiniens ne sentaient pas le besoin d’insérer dans leur collection des traditions qui étaient déjà publiées dans plusieurs ouvrages haggadiques de leur pays. Ces passages haggadiques prennent parfois l’apparence de véritables interpolations, s’introduisant sans aucune raison dans la suite du texte ; le plus souvent elles sont amenées par la suite du développement.

C’est cette partie haggadique que des chrétiens peuvent plus facilement goûter et utiliser. Là nous trouvons d’abord des exégèses scripturaires, qui ne se limitent pas au point de vue juridique. Là aussi nous rencontrons les matériaux permettant de reconstituer ce que nous pouvons appeler la théologie rabbinique, terme très impropre puisque le judaïsme ne professe aucune théologie officielle et que la haggada s’impose, moins encore que la halakha, à l’obéissance ou à la foi. Cependant des rabbins symbolistes entendaient ainsi les mots du Deutéronome, xi, 22 : « Si vous marchez dans toutes les voies du Seigneur et vous attachez à Lui » : « Si tu veux connaître Celui qui a dit et le monde fut, apprends la Haggada, car ainsi tu connaîtras le Saint, béni soit-il, et tu t’attacheras à ses voies. » Sifre, Deut., xi, 22. Nous ne pouvons songer à résumer cette doctrine qui remplirait des volumes ; il convient pourtant d’en marquer les directions principales.

Le dogme capital, confié par Dieu à Israël et qui demeure la raison d’être de son existence nationale, c’est le monothéisme, monothéisme moral, précise-t-on souvent : non seulement la thèse de l’unité et de l’unicité divine, mais la notion corrélative : Dieu s’est révélé afin d’enseigner à ses créatures une doctrine de vie. Les maximes des rabbins sur Dieu présentent deux caractères qui semblent s’exclure : d’une part ils sont très attentifs à éviter toutes les expressions qui comporteraient un manque de respect ou qui rabaisseraient l’Invisible au niveau de l’humain et du matériel ; d’autre part, surtout dans les prières, ils témoignent une confiance, une familiarité étonnantes et parfois ils décrivent le Très-Haut sous des traits tout terrestres. D’aucuns ont incriminé cette liberté, comme irrévérencieuse et blasphématoire : en combien de prédicateurs antiques retrouverait-on pareilles affa-