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THÉODORE DE MOPSUESTE. LE PÉCHÉ D’ORIGINE


lument exempt de péché. — 5. Le mariage, dans ses conditions physiologiques, est une œuvre de la nature corrompue.

Il n’est pas malaisé de retrouver ces « erreurs » de l’adversaire visé par Théodore. Saint Jérôme, ni dans la Lettre à Ctesiphon, ni dans lesDialogues contre les pélagiens, ne dominait d’assez haut la question débattue : « torrentueuse et trouble son argumentation se chargeait de paradoxes dont quelques-uns vraiment inopportuns » ; le moindre n’était pas celui qui était relatif à la non-impeccabilité du Christ. On sait à quel diapason la controverse était montée en Palestine et comment les outrances de Jérôme et les maladresses de ses amis amenèrent la fâcheuse solution de Diospolis. C’est en fonction de tout cela qu’il faut s’efforcer de comprendre les assertions de Théodore, qui va prendre le contre-pied des thèses qu’on lui a dit avoir été développées par Jérôme. Il y a bien peu de chances en effet qu’il ait lu pour son compte les ouvrages mêmes de celui-ci. C’est par les échos qui sont venus jusqu’à Mopsueste de la querelle palestinienne qu’il faut expliquer le ton persifïleur dont Théodore poursuit le mirabilis assertor peccati originalis, le sapientissimus defensor, l’homme au mauvais caractère que tout le monde redoute et contre qui nul n’ose parler, potentiee metus nullum contra sinebat ef/ari. Il ne faut donc pas s’empresser de faire du traité théodorien un ouvrage « contre le péché originel » ; il est avant tout une œuvre de polémique contre saint Jérôme et une certaine conception du péché originel et de ses suites, conception dont toutes les parties ne sont pas d’une égale solidité.

Aussi faut-il joindre, pour bien entendre la pensée de Théodore, aux quelques extraits transmis par la Palatina et aux indications fournies par Photius, un certain nombre de passages relatifs à la condition générale des êtres raisonnables et donc à leur état primitif, passages qui sont donnés par le Ve concile comme extraits d’un Commentum de creatura. Sess. iv, n. 57-61, Mansi, t. ix, col. 202 sq ; cf. P. G., t. lxvi, col. 633-666. Qu’il s’agisse, comme on l’a pensé, d’un commentaire exégétique sur la Genèse, cf. ci-dessus, col. 239, ou d’un traité indépendant, il reste que ces quelques pages donnent sur la pensée de Théodore des clartés spéciales qui permettent de fournir des thèses outrancières du polémiste une interprétation plus bénigne. Et celle-ci se raccorde bien aux données que procurent les œuvres exégétiques et les Catéchèses.

Toute créature raisonnable, estime Théodore, passe régulièrement par deux stades successifs, l’un d’instabilité, l’autre d’immutabilité. Entendons qu’elle est premièrement dans un état où seliguent contre sa persévérance dans le bien des difficultés d’ordre divers. ConciL, n. 58. Les purs esprits eux-mêmes ont connu ces conflits intérieurs, qui ont tourné fâcheusement pour les uns, ont assuré aux autres l’immutabilité dans le bien. N. 60. Dans l’homme la lutte d’ordre spirituel se double d’une autre, qui vient de sa constitution même par quoi il tient à la fois de l’ange et de la bête. La présence en lui d’un corps naturellement mortel, exposé à la corruption, ayant ses exigences pour se conserver et se reproduire, lui rend plus difficile qu’au pur esprit l’acquisition de cette immutabilité dans le bien, qui ne laisse pas de demeurer pour lui un idéal. N. 58. Cette immutabilité ne peut se réaliser que par la résurrection, qui amène en lui un changement d’état complet, autant pour ce qui est du corps que pour ce qui est de l’âme. Des effets de la résurrection nous avons, dans ce qui est arrivé à Vlwmo assumplus une promesse et un gage. De même qu’elle a introduit celui-ci en un état nouveau et définitif, ci-dessus, col. 262, de même fera-t-elle de ceux qui ressusciteront pour la gloire céleste. N. 59. De la sorte le péché, en core qu’il ne soit pas voulu directement par Dieu, ne laisse pas d’avoir, dans la vie de l’individu comme dans celle de l’humanité, un rôle que la Providence rend bienfaisant. Il vient opportunément rappeler l’instabilité de la condition présente et faire désirer cette immutabilité qui sera ultérieurement concédée. Sans doute, Dieu qui peut tout aurait pu fermer l’accès au péché dans l’homme. Il ne l’a pas voulu parce qu’il voyait les avantages du stade de mutabilité. N. 60.

Or, c’était une conception bien différente de l’état primitif que l’évêque de Mopsueste trouvait ou croyait trouver dans Jérôme. À en croire celui-ci, le plan de Dieu, à peine réalisé aurait été, du fait de l’homme, complètement bousculé. À l’humanité Dieu avait garanti une immortalité qui, loin d’apparaître comme un privilège, semblait un attribut nécessaire de sa nature, un peu comme c’est le cas des anges. La faute d’Adam avait changé tout cela ; une sentence de mort avait frappé les premiers parents et leur descendance, qui transformait du tout au tout la nature ; celle-ci devenait au demeurant incapable d’autre chose que du mal ; le libre arbitre était dorénavant impuissant à bien faire ; « c’était par nature que l’homme péchait, non par un effet de sa libre volonté ». Telle était l’idée

— oserait-on dire la caricature — que se faisait Théodore de la doctrine soutenue en Palestine par Jérôme et les amis d’Augustin. On comprend qu’en ait été scandalisé l’évêque de Mopsueste, habitué à tabler davantage sur la relative bonté de la nature humaine. On comprend aussi la critique acerbe qu’il va faire d’une doctrine si différente de la sienne. Il en conteste les fondements scripturaires et oppose aux textes de l’adverse partie d’autres passages de l’Écriture où est enseignée la responsabilité personnelle de chacun, ainsi Ezech., xviii, 2-4 ; Rom., ii, 6 ; Gal., vi, 5, etc. Il conteste la preuve que Jérôme, après Augustin, tirait de la coutume immémoriale du baptême des petits enfants pour montrer en tous les hommes l’existence d’une faute. Du point de vue de la raison, il fait le procès d’une sentence de mort qui vient frapper des innocents. Et il propose à son tour son explication qu’il fait dériver de sa théorie générale des deux états. L’homme a été créé mortel, cela tient à sa nature même ; poussière, il doit redevenir poussière ; fleur d’un jour, un souffle qui passe sur lui suffit pour le flétrir. Ps. en, 14-16. Dès l’origine Dieu avait arrêté que les hommes seraient d’abord mortels, que plus tard seulement ils jouiraient de l’immortalité. Jam ab initio Deus hoc habuit apud se defmitum ut primum quidem mortales fièrent, postmodum vero immortalitate gauderent. Dans A. C. O., t. i, vol. v, p. 175, 1. 22. Aussi bien, quand il fait une défense au premier couple, Dieu ne dit pas : « Si vous l’enfreignez, vous deviendrez mortels », mais bien : « vous mourrez », sentence d’ailleurs que sa bonté lui fait ensuite différer. Ibid., p. 173, 1. 22 sq. Avant le péché l’homme aurait eu besoin pour soutenir sa vie de se nourrir des fruits du paradis ; après la faute il a le même besoin des productions de la terre, seulement, en punition, il se les procurera avec plus de difficulté. L’immortalité, en tout état de cause, ne sera donnée à l’homme qu’ultérieurement, quand, par la résurrection générale — dont la résurrection du Christ est le modèle et le gage — il arrivera à l’état d’immutabilité où le Christ est dès maintenant parvenu. En définitive Théodore, dans le livre en question, semble professer la doctrine qu’au même moment, ou à peu près, condamnait le concile de Carthage de 418 : Adam primum hominem morlatem (actum, ita ut, sive peccaret, sive non peccarel, morerciur in corpore, hoc est de corpore exiret non peccati merito sed necessitate naturx. Dans le Commonitorium adversum hæresim Pclagii et Cirlestii, Marius Mercator fait expressément de l’évêque de Mopsueste l’auteur de l’hérésie