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THÉODORE DE MOPSUESTE. HERMÉNEUTIQUE


avaient séduit sa jeunesse ? On peut tout au moins poser la question, et se demander s’il faut prendre comme expression dernière de la pensée de Théodore les boutades de sa lettre sur le Cantique. Il reste que notre auteur ne raie pas du canon le poème en question. Il le fait rentrer dans le genre historique, ce qui est une tout autre chose.

La question des titres des psaumes se résout d’une manière beaucoup plus simple encore. Il est très certain que Théodore n’attache pas une importance majeure à ceux qu’il lit dans le texte grec. « Nulle part, écrit-il, nous ne voulons être esclave des titres et nous avons dit, dans notre préface (elle n’est pas conservée), que nous recevons ceux-là seuls dont nous pouvons vérifier l’exactitude. » Dans Devreesse, op. cit., p. 334. Selon toute vraisemblance, c’est la comparaison de ces titres dans les différentes versions qui a mis en garde Théodore contre la tentation de leur accorder valeur normative. Entre les Septante et la Peshita en particulier il y a sur ce point des écarts considérables. Cette dernière pousse au maximum l’arbitraire dans la détermination du sujet de chaque psaume. Pourquoi Théodore n’aurait-il pu y aller lui aussi de ses conjectures personnelles ?

On voit combien s’amenuisent, à les considérer de près, les griefs que Léonce a faits à Théodore en matière de canon biblique. Tout bien pesé, il ne semble pas qu’il se soit jeté dans l’aventure. Sa règle est bien celle de l’Église d’Antioche et il n’y a pas à lui tenir rigueur d’une attitude qui était celle de ses contemporains.

Doctrine de Théodore sur l’inspiration.

Que

tous les auteurs sacrés de l’Ancien et du Nouveau Testament aient écrit sous l’influence d’un seul et même Esprit, c’est ce que Théodore tient pour tout à fait assuré, et c’est plus spécialement à la troisième personne de la sainte Trinité qu’il rapporte cette action. Voir les textes dans Pirot, op. cit., p. 157-158. Sur ce point l’Exégète ne diffère en rien de ses prédécesseurs. S’il paraît avoir une opinion particulière, c’est quand il distingue comme deux modes ou deux degrés de l’inspiration : ce qu’il appelle la grâce de prudence ou de sagesse, degré inférieur, et d’autre part l’inspiration prophétique. Cette distinction est nettement exprimée par la 63e proposition du Ve concile, qui ne donne pas de référence précise.

On a voulu trouver quelque saveur hétérodoxe à cette distinction. L. Pirot écrit : « Théodore a gravement erré en distinguant deux degrés dans la grâce d’inspiration ; son opinion n’a aucune attache avec la tradition catholique. » Op. cit., p. 175. À bien prendre les choses, il ne nous semble pas que l’opinion de l’Exégète soit tellement blâmable. Elle revient à dire que l’Esprit-Saint ne donne pas à tous les écrivains inspirés des secours et une assistance comparables. Aux uns il donne la connaissance des événements, soit passés, soit futurs, sous une illumination telle, que ces inspirés, qui sont au plein sens du mot des prophètes, perçoivent en ces faits une signification qui échappe à ceux que n’anime point à ce degré l’Esprit de Dieu. Pour d’autres — et c’est le cas de l’auteur des Proverbes et de l’Ecclésiaste, dans la citation faite par le Ve concile — l’Esprit divin se contente d’une assistance qui les préserve de toute erreur et leur fait dire, sans leur communiquer de lumière spéciale sur le passé ou l’avenir, les choses que Dieu lui-même leur veut faire exprimer. C’est dire, en d’autres termes, que l’action du Saint-Esprit s’exerce diversement suivant le genre même des ouvrages qu’elle inspire. Elle n’est pas la même sur un Moïse, sur un David, sur un Isaïe, sur un Daniel, à qui elle ouvre, sur le passé, dans le cas de Moïse, sur l’avenir, dans le cas des prophètes suivants, des aperçus auxquels ne seraient jamais par venues des intelligences humaines, et, d’autre part, sur un Salomon, à qui elle fait énoncer des préceptes de conduite parfois un peu terre à terre et des maximes morales auxquelles la prudence humaine pourrait elle-même atteindre. En définitive chaque livre saint est inspiré pour être ce qu’il doit être d’après les intentions divines, les livres historiques proprement dits, pour nous enseigner l’histoire du passé, sous un angle religieux, les livres prophétiques pour préparer l’avenir, les sapientiaux pour donner au temps présent sa ligne de conduite. Il ne nous reste aucune des préfaces aux livres historiques ; nous sommes donc privés d’indications sur la manière dont Théodore concevait l’inspiration divine poussant à la composition de tels ouvrages. La conservation complète du commentaire sur les petits prophètes permet au contraire de voir clair dans sa doctrine de l’inspiration prophétique, qu’il considère toujours comme se produisant dans l’extase. À ce point de vue d’ailleurs, il assimile David aux prophètes proprement dits. La brève indication fournie par le Ve concile sur l’inspiration des Proverbes et de l’Ecclésiaste n’est pas suffisante, elle non plus, pour permettre une étude complète de ce que l’on pourrait appeler le mécanisme de l’inspiration dans le cas des livres sapientiaux. Nul doute que, si l’œuvre de Théodore nous était mieux conservée, nous ne trouvions chez lui de quoi calmer les scrupules des modernes exégètes.

Principes généraux d’herméneutique.

L’École

d’Antioche avait mis, si l’on peut dire, sa coquetterie à exorciser l’allégorisme dont l’École d’Alexandrie, trop fidèle à l’exégèse philonienne, avait fait l’usage le plus intempestif. Plus que personne Théodore a travaillé dans ce sens. Un de ses ouvrages, ï’Adversus allegoricos, était consacré ex professo à la critique de l’allégorisme. Un autre, le De obscura locutione. énonçait vraisemblablement les principes de l’exégèse qu’il entendait substituer à l’exégèse allégorique. L’un et l’autre ont disparu sans laisser d’autres traces que la citation de Facundus, III, 6, col. 602, qui ne touche pas la question, mais il n’est pas impossible en utilisant les commentaires de l’Exégète de reconstituer l’essentiel de ses idées sur la matière.

1. La critique de l’allégorisme.

« "AXXo àyopeûsiv, dire autre chose que ce qu’il y a dans le texte à commenter », c’est bien l’essentiel de l’allégorisme. La Genèse parle de la création du monde, de l’agencement de ses diverses parties, de la formation de l’homme et de la femme, du paradis où les place la bonté du Créateur, de l’épreuve qu’il leur impose, de la tentation, de la chute, des sanctions qu’amène celle-ci. Histoire bien terre à terre que tout cela, pour une exégèse allégorisante, et qui ne peut avoir été racontée pour elle-même dans un récit sacré I Toute cette aventure doit être interprétée au sens figuré et l’on sait en quel drame philosophico-mystique l’avait transformé Philon, trop aveuglément suivi par les maîtres chrétiens d’Alexandrie et par Augustin lui même. Et à côté de cette exégèse continue, la manie encore de détacher de son contexte tel épisode, telle phrase, tel mot et, sous prétexte d’un vague rapport avec des situations du Nouveau Testament, d’en faire une prédiction se rapportant au Christ. Que l’on se rappelle les exégèses d’un Justin, celles plus cocasses encore de Pseudo-Barnabe. Tout cela se retrouvait largement étalé dans l’œuvre de Clément, dans celle d’Origène ; et ces deux maîtres avaient formé des disciples. À tout ce monde Théodore est sévère. « Il lui reproche de voir à tout instant le Christ dans les Écritures et d’exposer ainsi les Livres saints aux moqueries des Juifs et des païens. Dans son commentaire sur l’épître aux Galates, à propos du texte de saint Paul sur Agar et Sara et de la fameuse sentence : quæ sunt