qu’ont été transmis les souvenirs apostoliques sur la vie et l’enseignement de Jésus. L'Évangile, avant d'être écrit, a été prêché par les apôtres et les disciples du Seigneur, et il est très probable qu’il se forma très vite un type pour ainsi dire officiel de catéchèse, fixé dans ses grandes lignes suivant un plan invariable, dont les diseours de Pierre, et particulièrement le discours du chef des apôtres au centurion Corneille. Aet.. x, 34-43, nous donnent un raccourci. C’est de cet enseignement oral, gardé fidèlement dans la mémoire et comme stéréotypé, mais cependant diversifié pour répondre aux besoins particuliers des différents auditoires, que, d’après les tenants de l’hypothèse en examen, procéderaient directement les Synoptiques. Ceux-ci supposent volontiers, cf. E. Levesque, Nos quatre Évangiles, p. 26-30, que la catéchèse primitive aurait pris trois formes principales en trois milieux différents : Jérusalem, Rome, les Églises grecques. La catéchèse de Jérusalem, s’adressant à des Juifs, devait avant tout montrer en Jésus le Messie prédit par les prophètes et préciser les rapports entre son enseignement et la Loi mosaïque : c’est cette catéchèse qui aurait été fixée par écrit dans l'évangile de saint Matthieu, rédigé en araméen par cet apôtre, évangile dont le contenu et le caractère correspondent précisément aux nécessités de l’apostolat chrétien dans le milieu palestinien. A Rome, la prédication chrétienne, s’adressant surtout à des gentils, tout en gardant le même cadre et le même contenu essentiel, devait négliger ce qui était proprement juif et, fondant son apologétique sur les miracles accomplis par le Sauveur plutôt que sur l’accomplissement des prophéties messianiques, s’attacher à montrer en Jésus l’envoyé de Dieu, jouissant de pouvoirs divins : l'évangile de saint Marc, qui, selon les témoignages de l’antiquité ecclésiastique, reproduit la prédication romaine de Pierre, répond bien aux besoins de ce milieu. Enfin, dans le monde grec, la catéchèse élémentaire, prêchée par Paul à des auditoires mêlés de juifs et de gentils, avait dû prendre un caractère plus universel et présenter Jésus comme le Sauveur de tous : c’est bien là l’idée fondamentale de l'évangile de saint Luc, disciple de Paul.
Cette théorie — très simple — est, semble-t-il, trop simple pour s’adapter aux données complexes du problème synoptique. Elle rend assez bien compte des différences de fond et de forme que présentent les Synoptiques : omissions, transpositions, répétitions s’expliquent facilement par l’insuffisante fidélité de la mémoire. On remarquera pourtant que le système n’explique pas pourquoi la tradition orale qui a fourni le fonds commun aux trois Synoptiques a laissé en dehors une masse assez considérable de faits et de paroles, de même caractère, qui ont été ensuite recueillis par chacun des évangélistes dans les parties de leur œuvre qui leur sont propres, en particulier par Luc. Mais, surtout, ce dont l’hypothèse de la tradition orale ne peut rendre suffisamment compte, ce sont les ressemblances d’ordre dans la suite des développements et, surtout, les ressemblances de forme, allant parfois jusqu'à une identité presque littérale, que présentent les Synoptiques. Les défenseurs les plus récents de la théorie ont insisté sur le rôle que joue la mémoire chez les peuples qu’on a appelés de style oral, parmi lesquels figurent les peuples de l’ancien Orient, et l’extraordinaire puissance mnémonique à laquelle ils peuvent arriver. Il n’est pas douteux en effet que, à l'époque évangélique, l’enseignement dos rabbins était donné sans texte écrit et a été transmis oralement pendant longtemps avant la rédaction des compilations où il s’est conservé. On a aussi cru reconnaître dans les évangiles un élément rythmique, récits et discours formant des strophes plus ou moins régulières, avec répé tition de mots et de formules facilitant le travail de la mémoire (théorie du R. P. Jousse, à laquelle peuvent être rattachés les essais de M. Loisy de traduction rythmée de tout le Nouveau Testament). Mais, sur ce dernier point, on doit faire de grandes réserves : si certaines paroles de Jésus présentent, en effet, ce caractère rythmé, il paraît tout à fait arbitraire de vouloir le retrouver dans les récils évangéliques. Comment expliquer d’ailleurs, dans cette hypothèse, que quelques-unes des paroles de Jésus, parmi les plus importantes et les plus caractéristiques, aient été rapportées par chacun des Synoptiques en des termes notablement différents (le Pater, les paroles de l’institution de l’eucharistie), alors que des détails accessoires, de simples formules de transition se retrouvent identiques dans les trois textes parallèles ? Sans parler des quelques textes déjà signalés : le et ait paralytico du récit de la guérison du paralytique, et l’incise : « que celui qui lit cela fasse attention », qui coupe le discours eschatologique, à la fois dans Matth., xxiv, 15, et dans Marc, xiii, 14, lesquels supposent l’emprunt à une source écrite, il faut remarquer de plus que les ressemblances verbales relevées entre les trois Synoptiques apparaissent dans le texte grec des évangiles : est-il vraisemblable que, si le passage de la tradition araméenne primitive à la tradition grecque a été fait oralement, les mots semblables dans le texte araméen aient été toujours traduits par les mêmes expressions grecques ?
Ces remarques rendent tellement probable, pour ne pas dire certaine, l’existence de relations proprement littéraires entre les Synoptiques avec l’usage d’intermédiaires écrits entre la catéchèse orale primitive et la rédaction des évangiles, que même les défenseurs de l’hypothèse de la tradition orale sont obligés d’admettre qu’il a pu y avoir des notes écrites, des recueils partiels, fixant déjà la tradition orale, et qui auraient servi aux évangélistes, non précisément à titre de source, mais comme aide-mémoire. Cf. E. Levesque, Nos quatre évangiles, p. 47-48. L’existence de tels recueils n’est d’ailleurs pas une simple hypothèse, car c’est à des écrits de ce genre que fait sans doute allusion le prologue de Luc. Reste à savoir si ce complément rend la théorie de la tradition orale entièrement suffisante et si, en plus de l’utilisation de la tradition orale qui reste un des éléments essentiels de toute solution du problème synoptique, on ne doit pas supposer une dépendance littéraire entre les évangiles eux-mêmes, dépendance que les raisons les plus sérieuses semblent bien obliger à admettre, tout au moins entre Luc et Marc, ou bien l’emploi de sources communes.
2° Hypothèse de la dépendance mutuelle.
Elle suppose que les évangiles les plus récents ont utilisé leurs
devanciers et, par suite, peut revêtir plusieurs formes, suivant l’ordre que l’on admet pour la composition des Synoptiques. L’hypothèse, soutenue dans l’antiquité par Clément d’Alexandrie, qui fait de Mare le plus récent des Synoptiques et le considère comme un résumé des deux autres, n’a plus de partisans : d’une part, elle est contraire à la tradition la plus ancienne qui fait de Mare un écho de la prédication de Pierre, d’autre part, elle est en désaccord avec le caractère d’originalité qu’on doit reconnaître à cet évangile. Deux ordres de succession possibles sont actuellement envisagés : l’un, qui fait de Marc le plus ancien des évangiles et la source commune de Luc et.Matthieu, est une des bases de la théorie des deux sources qui sera discutée plus loin ; l’autre est l’ordre traditionnel, Matthieu, Mare, Lue, qui entraîne, si l’on admet l’hypothèse de la dépendance mutuelle, que Marc aura pu utiliser Matthieu et que Lue. à son tour, aura profité de ses deux prédécesseurs.