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SYNÉSIUS

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pots pour sa ville natale et pour toute la province qui avaient été ravagées par les incursions des Barbares et réduites à la misère par les tremblements de terre et les invasions de sauterelles. Synésius dut rester à Constantinople pendant près de trois ans. afin de plaider la cause de ses concitoyens : il n'épargna d’ailleurs pas ses peines ; enfin son éloquence, aidée parfois par de riches cadeaux aux gens en place, parvint à démontrer l’excellence de sa cause : au début de 402, il put rentrer à Cyrène et rapporter à ses mandataires l’annonce des faveurs qu’il avait obtenues pour eux.

Bientôt après son retour. Synésius repartit pour Alexandrie : ce fut là qu’il se maria ; Théophile d’Alexandrie fut, à ce qu’il semble, le ministre de cette union. Il suit des formules qu’il emploie pour parler de ce mariage que Synésius était des lors chrétien. On peut d’ailleurs le conclure également du récit qu’il donne de sa légation à Constantinople, puisqu’il raconte que, pour venir à bout de son affaire, il se rendait volontiers dans les temples pour offrir à Dieu des sacrifices et que là, prosterné contre terre et les larmes aux yeux, il invoquait tous les saints de Thrace et de Chalcédoine, que Dieu a couronnés de la gloire des anges, de lui venir en aide.

C'était d’ailleurs un chrétien d’une espèce à part, que l’on peut rapprocher de son contemporain Ausone. Il ne se croyait pas obligé de renoncer à la philosophie grecque pour pratiquer les devoirs de la religion, et volontiers il opposait même les enseignements des sages de l’hellénisme à ceux des théologiens et des moines qu’il qualifiait de Barbares. Dion, 9 et 13. La vie idéale qu’il rêvait pour lui et qu’il souhaitait à ses amis était un heureux mélange de lectures, de méditations, de travaux manuels et de sports : il aimait par dessus tout la chasse et le jardinage : « Je comprends les choses et j’en juge aussi bien qu’un autre, écrivait-il de lui ; mais pour la rhétorique, ce n’est pas mon métier. Je fais ma vie de deux choses : cultiver des arbres et nourrir de bons chiens de chasse. Mes doigts ne s’usent pas à manier la plume, mais à manier des dards et des bêches. » Ailleurs, il décrivait ainsi son existence : Le divertissement et l'étude sont toute mon occupation. Lorsque j'étudie, si c’est quelque chose de Dieu, il faut que je sois tout seul ; mais pour me divertir, j’aime fort la compagnie ; et, dès que je n’ai plus les yeux sur des livres, je suis prêt à tout ce qu’on veut. Pour ce qui est du soin des affaires et du gouvernement, mon naturel et mes occupations m’en détournent entièrement. »

Tel qu’il se dépeint lui-même, Synésius nous apparaît comme un grand seigneur, ami de son repos et fort incapable de vaillants efforts. Il se trouva pourtant que les circonstances l’obligèrent à plusieurs reprises à sortir de son égoïsme : il sut alors révéler tout ce qu’il cachait dans son âme de véritable grandeur. Déjà nous l’avons vu à l'œuvre lors de sa légation à Constantinople. En 405, la ville de Cyrène fut assiégée par les Barbares : les Macètes, après avoir mis à feu et à sang la campagne voisine arrivèrent devant la capitale et menacèrent de la réduire à leur merci. Synésius fut l'âme de la résistance ; il se plaça à la tête de ses concitoyens et obligea les Barbares à s'éloigner. Une nouvelle alerte eut lieu en 406 : elle fut repoussée, grâce au courage dont Synésius fit preuve une fois de plus.

Les années suivantes furent plus calmes. Retiré à la campagne, Synésius put alors partager son temps entre la vie de famille et l'éducation de ses fils, les réflexions philosophiques et religieuses, le jardinage et la chasse, la pratique de l’hospitalité. Sans doute espérait-il jouir longtemps de cette paix et de ce calme. Mais il arriva qu’en 410, l'évèché de Ptolémaïs fut vacant : ses compatriotes, reconnaissants du dévouement dont il avait fait preuve lors des invasions, l'élurent malgré

lui. Son premier mouvement fut pour refuser une charge dont il s’estimait profondément indigne. » Il considérait que, plus l'état de l'épiscopat est éminent, plus il fallait de pureté pour le recevoir. Car jouir d’honneurs presque divins, dit-il, quoi qu’on ne soit qu’un homme, c’est une douce et agréable récompense à qui la mérite ; mais, si l’on en est indigne, c’est un terrible sujet de crainte pour l’autre vie… Il lui semblait encore que l’inclination qu’il avait aux divertissements, quoiqu’il fût disposé à les quitter, ne lui permettrait jamais d’acquérir la gravité nécessaire à un prélat… Outre l’aversion qu’il avait pour les affaires, il considérait combien il était difficile de s’engager dans ces embarras et de conserver en même temps son âme dans la pureté et la tranquillité nécessaires pour la prière, et même de ne pas éteindre peu à peu l’esprit de Dieu en soi-même. Cependant il était persuadé que la vie d’un évêque doit être sans tache et sa vertu d’autant plus éminente et plus pure qu’il est obligé de laver les taches des autres… Il craignait encore que l’estime qu’on témoignait avoir de lui ne l’enflât de vanité et qu’acceptant l'épiscopat en cette manière, il n’acquît point la vertu propre à cet état et ne perdît même celle de l'état inférieur qu’il aurait méprisé. » Tillemont, Mémoires, t.xii, p. 517.

Un autre motif poussait Synésius à refuser l'épiscopat. Il avait une femme qu’il aimait et qui lui avait déjà donné trois fils. Il ne pouvait accepter la pensée qu’il serait obligé désormais de renoncer à l’espoir d’avoir de nouveaux enfants.

Enfin, il objectait certaines de ses opinions qui n'étaient pas conformes à la doctrine reçue généralement des fidèles : il ne pouvait pas en particulier arriver à se persuader que l'âme est postérieure au corps, que le monde et les parties qui le composent doivent périr, que la résurrection aura lieu de la manière dont le peuple en parle. Il veut bien, dit-il, ne pas prêcher au peuple sur ces sujets obscurs ; mais il ne peut accepter d'être contraint d’admettre des opinions qu’il considère comme fausses : » La vérité est propre à Dieu contre lequel je ne veux faire aucune faute. Il n’y a qu’en cela où je ne puis me déguiser… Je crois plaire à Dieu en aimant cette sincérité et en en faisant une profession publique. S’il faut être évêque, il faut commencer par la chose de toutes la plus divine, qui est la vérité, et non pas entrer dans le ministère de Dieu par ce qui est le plus contraire à Dieu, c’est-à-dire par le mensonge. » Epist., cv.

Les scrupules et la sincérité avec laquelle Synésius les expose dans une lettre à Théophile d’Alexandrie honorent grandement l’homme capable de parler de la sorte. Il faut croire que Théophile donna à Synésius tous les apaisements nécessaires, car celui-ci ne tarda pas à recevoir la consécration épiscopale. Même les problèmes doctrinaux qu’il avait soulevés ne parurent pas des obstacles insurmontables : s’il admettait l'éternité du monde et la préexistence des âmes, s’il interprétait d’une manière allégorique la résurrection, il se contentait, après tout, de reprendre des idées exprimées naguère par Origène et sur lesquelles l'Église ne s'était pas encore prononcée d’une manière définitive. Au plus doit-on trouver étrange que Théophile ait donné un laisser-passer à de telles doctrines ; il est vrai que, depuis les premiers éclats de la controverse origéniste, il s'était bien calmé.

Devenu évêque, Synésius connut plus de peines et de tristesses que de joies. Non seulement, il eut la douleur de voir mourir ses enfants qu’il chérissait, mais il eut sans cesse à lui 1er pour le bien de ses diocésains. Le gouverneur de la province, Andronicus, était un homme cupide et cruel, qui mettait ni coupe réglée ses administrés et n’avait aucun respect pour les biens même de l'Église : Synésius dut agir contre lui, récla-