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SYLLABUS. APRÈS LA PUBLICATION


vantes la manifestation prit des proportions inouïes. Six cent trente évêques remercièrent Mgr Dupanloup d’avoir si bien traduit leurs propres sentiments au sujet de l’encyclique. De tous les pays d’Europe, mais aussi d’Amérique, d’Asie, des îles les plus lointaines de l’Océanie, parvint à l'évêque d’Orléans l’adhésion enthousiaste de l'épiscopat catholique. Le souverain pontife lui-même daigna approuver la brochure. Le 2 février 1805, il déclara à l’un des amis de l’auteur : < L'écrit qu’il vient de publier a été pour moi une grande joie ; il a expliqué et fait comprendre l’encyclique comme il faut qu’on la comprenne. » Cf. Lecanuet, op. cit., t. iii, p. 389. Il lui adressa enfin, le 4 février, un bref très élogieux. Cf. F. Lagrange, op. cit., t. ii, p. 474 sq. Le gouvernement français n’osa pas protester directement contre ce bref pontifical ; mais, dans une note à l’ambassadeur à Rome le 8 février, il se plaignit que le nonce eût envoyé deux lettres, l’une à l'évêque d’Orléans, pour le féliciter de sa brochure, l’autre à l'évêque de Poitiers, pour approuver son mandement. « Par cette double démarche, disait-il, le nonce a gravement compromis le caractère dont il est revêtu. En s’adressant à des évêques français pour apprécier et diriger leur conduite à l'égard du gouvernement impérial, il a outrepassé ses attributions. Le gouvernement espère donc que, dans sa sagesse, la cour de Rome ne permettra pas le renouvellement de pareils écarts, qu’il est d’ailleurs résolu à ne pas tolérer. » Cf. J. Chantrel, op. cit., p. 325.

d) Les publicistes catholiques. — Ils étaient alors profondément divisés ; sur l’origine et l’histoire de ces luttes voir l’art. Libéralisme. Le Syllabus, loin de changer cet état de choses, excita bien plutôt l’un contre l’autre les deux groupes des catholiques français, les libéraux et les ultramont ains. Les libéraux restaient fidèles aux doctrines exposées lors du congrès de Malines ; cf. col. 2880 sq. L’apparition de l’encyclique et du Syllabus les troubla profondément. Montalembert, Cochin, le prince de Rroglie, d’abord déconcertés et croyant leurs opinions condamnées par le pape, songèrent un instant à quitter la vie publique, et à abandonner la direction du Correspondant. Ils furent rassurés par le vicomte de Meaux, qui rechercha dans les documents pontificaux la véritable portée des propositions du Syllabus et fit savoir à Montalembert le résultat de son enquête. « Nous restons libres, lui écrivit-il, dans l’appréciation des nécessités et des circonstances contemporaines. Il nous est seulement défendu d'ériger ces nécessités et ces circonstances en principe absolu et universel, en idéal de perfection sociale. Ce terrain pratique et politique est le nôtre. » L’approbation donnée par Rome à l’ouvrage de Mgr Dupanloup causa aux libéraux une très grande joie ; ils reprirent courage. Pourtant, ils n’oublièrent pas les angoisses et les tristesses qu’ils avaient ressenties dans l’intime de leurs cœurs ; plusieurs mois après, Montalembert exhalait encore sa plainte, dans des lettres pleines de soumission chrétienne qu’il écrivait à ses amis. Cf. Lecanuet, op. cit., t. ii, p. 390 sq.

Les ultramontains se réjouirent fort, au contraire, de la publication du Syllabus ; ils y virent la condamnation du libéralisme, dans toutes les acceptions possibles du mot. Veuillot était à Rome quand parut l’encyclique ; il écrivit à son frère son adhésion enthousiaste. Cf. E. Veuillot, op. cit., t. iii, p. 497. Quelques semaines plus tard, prenant connaissance de la brochure de .Mgr Dupanloup, il la jugea sans ménagement. Il accusait l'évêque d’Orléans d’avoir négligé les points du Syllabus applicables au catholicisme libéral et d’avoir voulu détourner l’attention de la censure qui frappait ses amis le, libéraux. Lorsque parvint à l’auteur le bref élogieux du souverain pontife, les ultramontains en recueillirent soigneusement les derniers mots. « Assurément, disait le pape, l'évêque d’Orléans saura d’autant mieux livrer à ses fidèles notre véritable pensée contenue dans l’encyclique, qu’il en a réfuté avec plus d'énergie les interprétations erronées ; pro certo habentes te… eo accuratius tradilurum esse populo tuo germanam nostrarum litterarum sententiam, quo vehementius calumniosas inlerpretationes explosisli. » Rref du 4 février 1805. On voulut voir en ces paroles sinon une désapprobation, au moins une réserve, et l’on supposa que Pie IX, après avoir félicité le brillant polémiste d’avoir si bien repoussé en ce premier écrit les commentaires faux et calomnieux, lui conseillait de compléter son œuvre, en exposant cette fois ce qui concernait la doctrine. Il ne semble pas que cette interprétation du bref de Pie IX soit la bonne. Cf. F. Lagrange, op. cit., p. 475 ; J. Bricout, Revue du clergé français, mai 1913, p. 403 sq. Cependant la brochure de Mgr Dupanloup suggéra à Louis Veuillot l’idée d'écrire lui aussi quelques pages sur l’encyclique et le Syllabus. Sa pensée, au dire de son frère, « était moins de réfuter l’ennemi que de prendre à partie les catholiques libéraux ». E. Veuillot, op. cit., t. iii, p. 500. Il attendit l’année suivante pour publier à son tour un opuscule, de même apparence extérieure que celui de l'évêque d’Orléans, qu’il intitula : L’illusion libérale. Les premières pages établissent la position d’un catholique libéral qui a la franchise de ses opinions. Il reproche à l'Église son intransigeance, nie son pouvoir coercitif, prêche la suppression de l’alliance entre l'Église et l'État, appelle la tolérance à l'égard de tous les cultes un régime excellent, idéal même, demande enfin l’abrogation des immunités ecclésiastiques. La réfutation commence alors sous la plume de Louis Veuillot par une affirmation catégorique. « Le catholique libéral n’est ni catholique ni libéral. Je veux dire par là, sans douter encore de sa sincérité, qu’il n’a pas plus la notion vraie de la liberté que la notion vraie de l'Église… Il porte un caractère plus connu et tous ses traits font également reconnaître un personnage trop ancien et trop fréquent dans l’histoire de l'Église ; sectaire, voilà son nom. » Op. cit., p. 23-24. Le pape, poursuit l'écrivain, a dénoncé cette « dangereuse erreur » ; il a averti les catholiques de la voie périlleuse dans laquelle certains se sont engagés, sous prétexte de suivre le courant de la société moderne. Louis Veuillot reprend ensuite les différentes positions « réclamées au nom de la liberté » ; il insiste sur la séparation de l'Église et de l'État, sur la liberté de conscience et des cultes, montre que les libéraux non chrétiens, tous révolutionnaires, méprisent les catholiques qui se disent libéraux et qui n’osent pas, dans la pratique, tirer les conclusions de leurs principes. Il conclut en suggérant le seul remède au mal déjà si grand : obéir absolument au successeur de Pierre, suivre inébraiilablenient ses directives et ne point chercher à détourner de leur sens ses paroles et ses avis.

Le livre de Louis Veuillot ne reçut pas chez ses amis un accueil enthousiaste ; on le trouva « discret » ; on l’aurait voulu « plus agressif ». Cependant le pape lut avec intérêt le travail de celui qu’il appelait « le vrai défenseur de son pontificat » ; il se déclara très content de la brochure dans laquelle, dit-il, l’auteur avait exprimé « toutes ses idées ». Pie IX n’envoya pas de lettre d’approbation à l'écrivain, jugeant sans doute certaines de ses expressions trop vives et un peu cassantes ; plusieurs propositions tirées de l’opuscule furent dénoncées à Rome, mais elles ne furent pas condamnées. Cf. E. Veuillot, op. cit., t. iii, p. 502-503.

Placés en dehors de toute polémique, bien des catholiques puisèrent dans l’encyclique les principes de la doctrine sociale, qu’ils songeaient à répandre. L’un d’eux, É. Keller, dégagea de renseignement pontifical