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SUSO (HENRI)


de couvent écrit peu de temps après la mort de Suso, considérant ainsi comme une pieuse supercherie l’histoire de la composition de l’Exemplaire. Défait la manière un peu naïve dont Suso décrit ses expériences mystiques et plus encore ses mortifications a de quoi surprendre des modernes qui sont accoutumés à plus de discrétion : cf. H. Lichtenberger, dans Rev. des cours et conférences. 1909-1910. p. 000 sq. Mais il ne faut pas juger des auteurs du xiv° siècle d’après nous-mêmes. Voir à ce sujet K. Bihlmeyer. dans Theologische Revue, 1928. p. 84-88.

2° Le livre de l'éternelle Sagesse, qui, dans l’Exemplaire fait suite à la Vie, a été écrit vers 1335, sous forme de dialogue entre le serviteur (Suso lui-même) et la Sagesse éternelle, « pour ranimer dans les cœurs le feu de l’amour divin ». Il y a peut-être quelque flottement dans la pensée de l’auteur ; la Sagesse est-elle un simple attribut divin, ou la deuxième personne de la Trinité, ou encore la très sainte humanité du Sauveur ? Il n’est pas toujours facile de le dire. Et comme la liturgie applique souvent à la vierge Marie nombre des descriptions scripturaires de la Sagesse, il n’est pas impossible qu'à certains endroits Suso, parlant de la Sapience, ne songe aussi à la très sainte Vierge.

En fait, d’ailleurs, les enseignements donnés ici sont en général obvies. La première partie attire, en termes pathétiques, l’attention de l'âme fidèle sur les souffrances du Sauveur et de sa mère, pour en venir à la considération de la grandeur du péché, de la rigueur des jugements divins et donc à l’idée d’expiation. La seconde partie met d’abord sous les yeux le tableau de la mort imprévue : « Je veux t’apprendre, dit la Sagesse au serviteur, à mourir et à vivre. » Et il s’agit de vivre intérieurement, à quoi contribue surtout la réception pieuse et fréquente de la sainte eucharistie. Le c. xxiii : « Comment on doit recevoir Dieu avec amour est un admirable appel à la communion, et à la communion fréquente, qui fait penser aux plus beaux développements de l’Imitation. Cf. A. Delplace, La doctrine de la communion chez Tailler et Suso, dans les Études, t. cxxxiv, 1913, p. 501-515. Tout autant le c. xxiv : « Comment on doit louer Dieu en tout temps du fond du cœur », où certaines pages sont animées du même souffle qui se retrouve en saint François d’Assise. Enfin la troisième partie est un résumé, bien sec, « des cent considérations et des cent demandes que l’on doit faire tous les jours avec dévotion ». Ce n’est pas, à beaucoup près, la partie intéressante du traité. Mais l’ensemble est animé d’un souffle de piété, ardent et tendre à la fois ; les pages qui méditent les souffrances du Sauveur crucifié et les douleurs de Marie au pied de la croix ou devant le saint sépulcre sont parmi les plus belles qui aient été écrites. C’est dans Suso, ou dans ceux qui l’ont imité, que sont allés chercher leur inspiration les artistes du xve siècle qui ont fixé le type iconographique de la Vierge des douleurs. Cf. l'étude de H. Lichtenberger, loc. cit., p. 683 sq. D’ailleurs le succès du Livre de la Sagesse a été considérable. Dès avant l’invention de l’imprimerie, il était extrêmement répandu ; l’imprimerie l’a fait rayonner bien davantage et, dans les pays de langue allemande, il a longtemps balancé la fortune de V Imitation de Jésus-Christ.

De bonne heure, Suso qui voulait faire hommage de son livre au maître général de l’ordre, Henri de Veaucemain en fit une traduction, ou plutôt une adaptation latine, qu’il intitula Horologium sapientiae. Quoi qu’on ait prétendu, l’allemand est certainement l’original ; quant au texte latin, il est, sans conteste, l'œuvre de Suso ; les différences entre les deux éditions viennent de Suso lui-même, qui a fait, somme toute, un travail nouveau. Composé entre 1335 et 1338, l’IIoroloyium est loin d’avoir connu la popularité de la Sa gesse. Éditions de J. Strange, 1861 ; de C. Richstàtter, Turin, 1929.

Le livre de la Vérité.

Dans l’Exemplaire, où

l’Horologium ne figure pas, le Livre de la Sagesse éternelle est immédiatement suivi du Livre de la Vérité. Bien que rédigé lui aussi sous forme de dialogue entre le disciple et la Vérité, ou encore sous forme de demandes et de réponses, ou enfin par manière d’objections et de solutions, cet opuscule se distingue complètement du traité précédent. Il s’agit beaucoup moins d’exposer des moyens simples et faciles pour amener les âmes à la vie intérieure, que de réfuter les fausses conceptions mises à la mode par les béghards hétérodoxes et par les Frères du libre esprit. Voir ici ces deux articles, t. ii, col. 528 sq. et t. vi, col. 800. Pour bien saisir le sens du livre, il faut commencer par le c. vi : « Sur quels points errent les hommes qui ont une fausse liberté. » Le « sauvage » qui est ici mis en scène ne fait en somme qu’exprimer sous forme condensée les aspirations pratiques de tout le groupe en question, les idées théoriques aussi que l’on prétendait y défendre en se réclamant du nom de Maître Eckhardt. Plusieurs des propositions mises en avant par le « sauvage » reproduisent plus ou moins textuellement des thèses du maître de Cologne condamnées en 1329. Voir ici son article, t. iv, col. 2057 sq. Sans vouloir les défendre, Suso, dans sa piété filiale, s’efforce de montrer qu’elles peuvent être entendues, moyennant les distinctions nécessaires, en un sens orthodoxe ou, tout au moins, qu’elles ne sauraient justifier les conséquences qu’en tirent certains. A la lumière de cette discussion s'éclairent les premiers chapitres de l’opuscule qui traitent, en suivant parfois d’assez près le texte de saint Thomas, de Dieu, de la création, de l’incarnation, de l’union de l'âme avec Dieu, ici-bas et dans l’au-delà, enfin de la liberté humaine. Tout cela ne laisse pas d'être assez difficile à suivre et l’on comprend qu’en certains milieux on ait porté contre l’orthodoxie de Suso des accusations qui eurent pour lui des résultats fâcheux. L’ensemble n’en reste pas moins orthodoxe, quelque étonnement qu’excitent d’abord certaines expressions. La qualification de « Rien éternel » attribuée à la divinité est dans la pure tradition pseudo-dionysienne ; la procession des êtres à partir de la Trinité puis leur retour à l’unité s’expriment dans les mêmes termes, avec les mêmes images que dans Jean Scot l'Érigène. Cela ne veut pas dire que cela en soit plus clair, ni qu’il y ait aucun danger à raffiner sur ces concepts, ni qu’il n’y ait aucun inconvénient à faire de ces notions abstruses l’appui de la vie intérieure. Ce n’est pas, au vrai, par là que Suso a séduit les âmes. Ces théories fuligineuses transparaissent encore aux derniers chapitres de la Vie, qui sont bien postérieurs ; elles s’y sont d’ailleurs tant soit peu assouplies. Il y aurait intérêt à éclairer les uns par les autres ces développements qui tranchent si étonnamment avec la manière ordinaire de Suso, si directe, si imaginative. On a l’impression que la doctrine exposée ici est un placage surajouté après coup. En exposant cette mystique transcendante, qu’il ne païaît pas d’ailleurs s'être parfaitement assimilée, notre auteur exprimait-il une pensée personnelle, sacrifiait-il au goût du jour, voulait-il seulement défendre une chère mémoire ? Ces diverses suppositions sont permises.

4. Le petit livre des lettres.

L’Exemplaire se termine par un recueil de onze lettres de direction écrites par Suso soit à Elisabeth Staglin, soit à d’autres de ses enfants spirituels. Elles ont d’ailleurs été retou

| chées par leur auteur en sorte qu’il y manque trop fréquemment ce caractère personnel qui fait l’intérêt de ce genre de correspondance ; ces épîtres donnent

I un peu l’impression de petits traités d’un tour assez général et les considérations, pour justes qu’elles