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SURNATUREL

l’ordre surnaturel ferait tout aussi parfaitement ressortir ce rapprochement de convenance.

3. Un rapprochement d’aspiration de la nature vers la surnature.

De toute évidence, il faut, comme le recommande Pie X, éviter à tout prix de parler d’exigence stricte. L’expérience religieuse, si parfaite soit-elle en une âme d’élite, ne saurait être qu’insuffisante, en droit comme en fait, pour permettre à l’homme d’atteindre l’ordre surnaturel et même de la connaître d’une connaissance claire et exacte. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1834 sq., et, en ce qui concerne la théorie moderniste, col. 1813-1847. Néanmoins l’expérience de la grâce, car l’existence d’un tel secours changerait la face du problème, révèle à l’âme qui s’y livre des aspirations vers des formes plus hautes et plus parfaites que celles d’une religion purement naturelle. Platon, dans le Banquet, 210 sq., ne s’extasiait-il pas sur « la destinée d’un mortel à qui il serait donné de contempler le beau sans mélange, dans sa pureté et sa simplicité, non pas revêtu de chairs ou de couleurs destinées à périr, à qui il serait donné de voir face à face, sous sa forme unique, la beauté divine ? »

Un certain nombre de philosophes chrétiens contemporains ont tenté d’ouvrir la voie à une démonstration du surnaturel par la voie de l’expérience religieuse et le sentiment de notre indigence en face des besoins de notre âme. Nous n’avons pas à entrer ici dans le détail de controverses qui ont trouvé leur écho en d’autres articles de ce dictionnaire. Nous nous bornerons simplement à rappeler quelques principes :

a) On ne saurait affirmer dans la nature une exigence véritable du surnaturel. Introduire dans la nature cette exigence, c’est enlever toute délimitation entre l’ordre surnaturel et l’ordre naturel. C’est tomber ou dans le naturalisme ou dans le fidéisme, et celui-ci ne vaut pas mieux que celui-là.

b) On doit admettre que l’expérience de notre nature déchue nous fait constater notre indigence en face de nos devoirs même simplement d’ordre naturel. C’est le procédé employé par saint Thomas dans la Ia-IIæ, q. cix, pour prouver la nécessité de la grâce.

c) On doit admettre que cette expérience de notre indigence nous permet d’induire l’existence d’un ordre transcendant. « Transcendant » ne signifie pas ici

« surnaturel », mais marque simplement un dépassement

de notre nature déchue. Qu’il soit permis de rappeler une vérité que nous avons déjà soulignée ailleurs, Ami du clergé, 1931, p. 330 et Leçons élémentaires de métaphysique chrétienne, Paris, 1938, p. 72 ; remarque reprise par M. Vériéle dans Le Surnaturel en nous et le péché originel, Paris, 1933, p. 196-197 :

On voudra bien observer que, dans l’état présent de la nature déchue par le péché originel, on peut, en un certain sens, parler d’une exigence immanente à l’homme, par rapport à l’ordre surnaturel. Il convient, en effet, de se souvenir que, dans l’état de nature déchue (c’est-à-dire la nature qui aurait pu être créée par Dieu sans élévation à l’ordre surnaturel), la nature humaine ne se suffisait pas à elle-même, ni dans l’ordre de la connaissance, ni dans celui de l’action. L’homme aurait eu besoin, en cet état (qui d’ailleurs n’a jamais existé), de secours divins d’ordre naturel pour corriger les défauts, les tendances mauvaises de la nature. Or, dans l’ordre surnaturel présent, les secours exigés par la pure nature sont inclus dans la grâce, surnaturelle. Donc, nonobstant son caractère surnaturel et gratuit, l’ordre de la grâce contient encore, tout en le dépassant, quelque chose qui répond aux exigences strictes de la nature. Les théoriciens de l’apologétique de l’immanence pourraient trouver la une base théologique extrêmement solide pour justifier ce qui, dans la doctrine de l’immanence, peut être acceptable au regard de la foi.

d) Peut-on aller plus loin et admettre une aspiration expresse de la nature vers une fin surnaturelle ? Pour la nature déjà vivifiée par la grâce sanctifiante ou même simplement sollicitée par la grâce actuelle, aucun doute possible. L’âme, déjà vivifiée par la grâce, éprouve certainement un besoin positif du surnaturel. L’âme pécheresse, mais instruite de ses destinées surnaturelles, ne peut pas ne pas éprouver les mêmes aspirations vers un état qu’elle sait devoir être le sien. Quant à l’homme ignorant et encore païen,

Etant convié à une destinée surnaturelle, il faut bien que, concurremment à l’offre extérieure de la Révélation, ou à ce qui peut en être le succédané, il soit intérieurement travaillé par des grâces actuelles prévenantes, par des sollicitations surnaturelles ; autrement, il ne parviendrait jamais au salut, puisque l’initiative n’en saurait venir de lui ; et le salut pourtant lui est imposé. D’autre part, il faut bien qu’une fois ou l’autre ces mêmes grâces le dérangent dans le repos, dans l’indifférence tranquille et satisfaite, où il serait tenté de s’assoupir ; autrement, pareilles à des touches qui ne toucheraient rien, elles seraient comme n’étant pas, elles ne seraient pas.

Donc, en passant sur son âme, elles la soulèvent, elles l’agitent, elles la creusent, empêchant qu’elle soit jamais légitimement étale. Et ce doit être le principe d’un trouble profond, d’une inadéquation et, pour employer déjà le mot de saint Augustin et de Malebranche, d’une inquiétude, équivoque sans doute en ses manifestations, mais qui, même étouffée, témoigne d’un besoin ; sans pouvoir en prendre par elle-même une conscience nette, l’âme aspire au surnaturel. Auguste Valensin, Immanence (Méthode d’) dans Dictionn. apol., t. ii, col. 587-588.

Et l’auteur qu’on vient de citer de conclure qu’ « il existe pour l’âme ignorante et païenne, celle qui n’est encore que conviée, un besoin (négatif) du surnaturel, créé par le vide d’une disposition qui, étant la marque d’un état perdu, le signe d’un rappel, l’effet d’une grâce prévenante et la condition d’une grâce habituelle, peut déjà s’appeler, dans un sens analogique, une grâce elle-même ». 'Ibid., col. 588.

Et nous ajouterons que, conditionné par la grâce, ce besoin du surnaturel peut très bien déjà, en certains cas du moins, présenter un aspect positif.

e) Mais le cas intéressant — plus théorique peut-être que pratique — concerne l’aspiration de l’âme, dépourvue de toute sollicitation divine et laissée à ses seules ressources naturelles. Cette âme peut-elle désirer le surnaturel ?

La question s’est posée entre théologiens surtout à propos du célèbre texte de saint Thomas, Ia-II{{ae}, q. iii, a. 8 :

L’intellect humain, quand il connaît dans son essence un effet créé et ne sait pourtant de Dieu qu’une chose, à savoir qu’il est, ne peut prétendre être élevé en perfection jusqu’à atteindre purement et simplement à la cause première ; il lui reste un désir naturel de chercher à connaître cette cause. Il n’est donc pas encore parfaitement heureux. En conséquence, pour la parfaite béatitude, il faut que l’intellect atteigne à l’essence même de la cause première.

Et ailleurs, saint Thomas déclare que ce désir demeurerait vain s’il n’était pas réalisé. Cf. Ia, q. xii, a. 1 ; Cont. Cent., l. III, c. l-liii ; De veritate, q. viii, a. 1 ; Comp. theol., c. civ, cvi.

Les différentes interprétations et explications de ce

« désir naturel du surnaturel » ont été données ici-même,

voir Appétit, t. i, col. 1692 sq. On trouvera un nouvel exposé de la question, et quant à la pensée personnelle de saint Thomas et quant à la solution à donner au problème lui-même, dans R. Garrigou-Lagrange, De revelatione, Rome, 1931, t. i, p. 388 sq., et plus récemment, Revue thomiste, 1933, p. 669 sq. et De Deo uno, Paris, 1938, p. 254-269 ; et dans Sertillanges, La béatitude, Paris, 1936, édit. de la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin, appendice ii, § 4, p. 303-315, corrigeant quelque peu l’interprétation antérieurement proposée dans Saint Thomas d’Aquin, Paris, 1910, l. IV, c. iv. Très récemment, le P. Pedro Descoqs dans Le Mystère de notre élévation surnatu