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    1. SUPERSTITION##


SUPERSTITION. CULTE SUPERFLU DE DIEU

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tant envahie par une dévotion surfaite ? On peut, semble-t-il, en marquer trois causes : les précautions mêmes du pouvoir officiel et les développements parfois touffus de sa doctrine, qui donnaient prétexte à une hantise exagérée et à des observances superstitieuses ; les usages de certains milieux semi-officiels, qui, par leur diffusion, prenaient figure d’observances anormales ; enfin, et surtout, les pratiques populaires issues d’une incompréhension des précautions et des particularismes précédents, et… de la peur.

a) Des précautions excessives pour la sainte eucharistie, le saint chrême, l’autel chrétien, les églises, etc., on a une codification, bien caractéristique, quoique non la première en date, vers 850, dans les Fausses Décrétales. L’une d’elles a trait « à la propreté du calice, ne non bene lotus calix, diacono pecculum fiât efjerenti, Epist. II Clementis, ii, 2 ; aux « fragments d’hosties non consacrées », i, 3 ; aux linges d’autel, qui ne doivent pas sortir de la sacristie, i, 2 ; aux voiles des portes des églises qui ne doivent pas être touchés par les fidèles, i, ’2, non plus que les linges sacrés par les religieuses, Epist. Soteris, ii, 1, ni même les vêtements sacerdotaux, Epist. Stephani, i, 3. Précautions louables, qui prétendaient bien « repousser toute opinion superstitieuse », mais qui aboutirent au résultat contraire. On trouvera dans Martène, De monach. ritibus, passim, une série semblable de précautions en cas d’accidents dans le sacrifice de la messe. Beaucoup d’exagérations au sujet de l’efficacité des sacrements, des bénédictions, des sacramentaux grandirent, même dans les sphères officielles, à l’ombre de la théorie sacramentaire. D’autres développements doctrinaux sur le rôle des anges, des saints et des démons, et les exagérations inévitables des prédicateurs, donnèrent aussi prétexte à mille superfétations cultuelles. Voir les art. RELIQUES et Saints (Culte des), ici, t. xiii, col. 2352 sq., et t. xiv, col. 939 sq. On peut en dire autant des spéculations pieuses mais passionnées, sur le Christ, sa vie, son corps sacré, sa passion.

b) A mi-chemin entre les prescriptions officielles et les poussées populaires, il y avait les exemples et les exhortations des pieux laïques : moines, ermites, reclus et béguines. Leurs communautés étaient régies par « des règles ». Mais ce déterminisme personnel qui, pour un saint, était l’expression suprême de la liberté spirituelle, risquait de devenir une surcharge insupportable pour des fidèles à qui on aurait voulu l’imposer, fût-ce même par la seule contrainte de l’exemple, parce qu’exotique, anachronique, disproportionné avec leur sainteté personnelle et leur genre de vie.

Sans parler des jeûnes austères que les Pères du désert léguèrent aux laïcs orientaux, les moines scots, quand ils abordèrent le continent, auraient été sages d’adopter les coutumes religieuses de ces pays. C’était trop leur demander : déjà leur particularisme avait occasionné des troubles en Angleterre. Au vii c siècle, saint Colomban, à Luxeuil et à Bobbio, se faisait remarquer par ses observances, ses cent génuflexions quotidiennes, etc. Dix ans après sa mort, son successeur, saint Eustase, lut accusé formellement de culte superflu : Superflua quædam et canoniese institulioni aliéna eoruni studiis tencri. Vila Eustasii, par Jonas, c. x, Ad. sanct. O. S. H., t. ii, p. 111. Quelquesuns de ces usages, d’ailleurs, comme les loricæ ou prières litaniques, n’étaient pas sans défaut : Très souvent on leur a voué, comme à des sortes de conjurations, un attachement superstitieux. > L. Gougaud, Critiques (Liturgies), dans Dut. arch. chret., t. ii, col. 2983-2986.

Les ailleurs de vies <usaints propagèrent parfois

à leur insu, des pratiques désuètes, qui frisaient dès

lors l’inconvenance. Parce que saint Sulpice de Bourges († 6 1 1) bénissait en son temps les fontaines avec le saint chrême, la chose n’était pas permise pour cela aux contemporains de l’hagiographe carolingien. Acta sanct. O. S. / ?., t. ii, p. 172. Les biographes des mystiques des xiv c et xve siècles livrèrent au public les secrètes dévotions de leurs héroïnes, qui n’étaient sans doute pas destinées à l’usage commun, du moins avant l’autorisation de l’Église. On apprit ainsi par sainte Brigitte le nombre des coups que le Sauveur avait reçus dans sa flagellation ; par sainte Claire et sainte Julienne de Norwich maintes particularités de la crucifixion.

c) Quand on aborde les broussailles des superfluités cultuelles populaires, il ne faut pas imaginer une religion en révolte contre la religion officielle : la plupart de ces pratiques voulaient s’autoriser d’un exemple des saints, voire d’une indulgence. Cf. J.-B. Thiers, Traite des superstitions qui regardent les sacrements, t. iv, p. 1-321. Mais la plupart du temps l’autorisation de l’Église n’a jamais été donnée, et les conciles ou les Congrégations romaines y ont mis bon ordre. Op. cit., p. 3, 5, 17. Étaient-elles vraiment un culte superflu dans l’opinion des fidèles, trompés dans leur dévotion ? Non, sans doute ; mais quantum est de se, non pertinent ad gtoriam Dei. On les reconnaît soit à la fausseté manifeste des pratiques, soit à leur vulgarité, soit enfin à des préoccupations toutes profanes de nombre et de mesure, qui montrent qu’une dévo tion authentique s’est doublée d’une vaine observance. Enfin, puisque la superstition est une attitude de défense supplémentaire contre des malheurs que la science et la religion vraie ne peuvent éloigner, il ne faut pas s’étonner de voir les grandes soullrances du peuple, la peste par exemple, engendrer au xive et au XVe siècle une foule de pratiques inconnues auparavant.

On a vanté avec raison le caractère spontané de la dévotion catholique. « Il y a toutefois un autre aspect de la dévotion médiévale, et aussi de la dévotion moderne, qu’il n’est pas permis de laisser dans l’ombre. Beaucoup de pratiques anciennes, et qui se sont continuées jusqu’à nos jours, sont moins recommandables. De certaines on peut dire qu’elles ne sont que puériles, mais d’autres frisent la superstition, et il en est de franchement condamnables, « qui concernent les lieux saints, les sacrements ». L’usage de placer un document sur l’autel pour s’attirer une réponse favorable ou une faveur quelconque est fort ancien. Dans la suite des âges, les prétendues lettres ou prières tombées du ciel passaient pour avoir été trouvées sur quelque autel célèbre de la chrétienté. Cf. Dict. arch. chrél., à l’art. Christ ( Lettre du), t. iii, col. 1534, 1537. De tout temps, les bonnes gens ont cru efficace d’y déposer divers objets, de l’argent, parfois des formules magiques, … de faire passer des malades sous l’autel pour obtenir la guérison. » L. Gougaud, Dcvotions du Moyen-Age, p. 5 1. On verra facilement que « ces égarements eux-mêmes attestent à leur manière une vénération profonde pour l’autel chrétien ». Loc. cit.. p. 53. (.’étaient bien des sacrilèges et des irrévérences que l’autorité avait proscrits, II*-II", q. xcix, a. 3 ; mais, dans la pensée des dévots, c’étaient des marques de culte, de culte excessif. On le voit mieux encore dans la multiplication des dispositions corporelles requises pour les sacrements et dans l’usage quasi-magique qu’on en faisait, cf. J.-B. Thiers,

Traite des superstitions qui regardent les sacrements, passim.

la dévotion du Moyen-Age se tourna vers les souffrances du Christ, en particulier vers les plaies du Crucifié. Mais la superstition s’en mêla, en attachant une Importance excessive aux considérations de nom-