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    1. SUAREZ##


SUAREZ. THÉOLOGIE PRATIQUE, LA POLITIQUE

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nanle homines in ordine ad exccllentiorem finem et œlernum, et tune illa dependentia vocatur indirecta, quia illa superior potestas, circa (emporalia non per se aut propter se sed quasi indirecte et propter aliud interdum versatur.

c. — D’après ce texte même, on voit comment s’exercera ce pouvoir indirect : dirigi, adjuvari vel corrigi. Ce sera une direction ou une aide que donnera l'Église en éclairant le prince et en lui indiquant ses desiderata, t. III, c. xxii, n. 15, p. 313 ; ou bien le souverain pontife pourra soit révoquer, soit rectifier les lois contraires, soit commander au prince de le faire, ibid., n. 10, p. 311 ; il pourra s’opposer aux excès du pouvoir civil ou l’obliger à venir au secours de la foi et à la défense de la religion. Ibid., n. 15, p. 313. Si le prince résiste, il pourra s’adresser directement aux sujets en les avertissant du devoir de conscience qu’ils ont de résister aux lois et aux mesures contraires à la morale ou à la foi ; cꝟ. 1. VI sur la question du serment imposé par Jacques I er, spécialement c. vu et viii, p. 694 sq. Enfin ce pouvoir indirect prendra même, s’il est nécessaire, une force répressive, vis coactiva, il deviendra un pouvoir de contrainte, sinon il serait inefficace. L. III, c. xxiii, p. 314 sq. Cette répression portera tantôt sur la personne même du prince, dont l’immoralité scandaleuse ou la tyrannie flagrante subiront les justes censures ecclésiastiques, tantôt sur la dignité royale elle-même, si le crime est de nature spirituelle, comme l’hérésie ; c’est jusqu'à la déposition inclusivement, que, tout autre moyen ayant échoué, l'Église pourra aller à l'égard du roi qui met en danger la foi de ses sujets et l’avenir de la chrétienté ; cꝟ. t. VI, c. iv, n. 16, p. 680 : si crimina sint in materia spirituali, ut est crimen hæresis, potest directe illa punire in rege, etiam usque ad deposilionem a regno, si pertinacia régis et providentia communis boni Ecclesiee ila postulent. Comme nous l’avons dit plus haut, le prince ainsi déposé ne peut être assailli et mis à mort par tout citoyen, mais Suarcz n’exclut nullement l’hypothèse que, devenu personne privée, il ne puisse être jugé pour ses crimes et condamné à mort par la justice du royaume ou l’autorité légitime nouvelle.

6. Limitation externe de l’autorité civile, n. La société des nations et le Jus gentium. — L'Église et son pouvoir religieux constituent donc une première limitation externe de l’autorité civile ; il en est une seconde, existant même en dehors du droit chrétien, celle qui résulte de la coexistence des nations et de leurs rapports.

Nous revenons ici au De legibus, dont nous résumerons quelques-unes des vues les plus justement célèbres. C’est en effet l’honneur de Suarez d’avoir discerné et exposé, avec une netteté singulière, à un moment où les nations s’opposaient avec tant de violence, la solidarité qui existe entre elles et qui allait s’affirmer de plus en plus dans nos temps modernes, ainsi que les obligations qui en résultaient, limitant la souveraineté civile. L’essentiel de sa doctrine en cette matière peut, croyons-nous, se ramener aux points suivants :

a) En fait, l’humanité se trouve divisée en nations : non seulement il n'était pas nécessaire pour la conservation et le progrès du genre humain que l’humanité entière ne formât qu’une seule communauté politique, mais imo vix crat id possibile et multo minus expediens. De leg., t. III, c. ii, n. 5, t. v, p. 181. A la suite d’Aristote, VI Polit., c. iv, Suarez soulignait la difficulté de gouverner correctement un corps social trop populeux et, ù fortiori, l’univers entier ; si jamais un empire embrassant tous les hommes a existé — peut-être, estimait saint Augustin, De cinltile I)n, I. XV, C. VIII, aux temps de Caïn et <le Nemrod — il n’a pu se maintenir d’une manière bien durable. Ni l’empire romain n'était

vraiment universel, ni le Saint-Empire romain-germanique n’a jamais possédé une souveraineté pleine et effective sur tous les peuples auxquels il prétendait s'étendre. De leg., t. III, c. vii, p. 195-199.

b) Donc, dans l’humanité, pas de corps politique suprême ; pas de puissance publique supra-étatique, pouvant porter des lois et les imposer à tous. Mais, si l’ensemble des nations ne forme pas un organisme moral complètement constitué et, pour ainsi dire, fermé, il n’en reste pas moins qu’il existe une vie internationale faite des relations des divers États entre eux ; la société des nations ne laisse pas d’avoir une unité relative ; elle constitue un corps social ouvert où, sinon des lois, du moins des obligations réciproques pourront se former.

Donnons dans son texte même le beau passage, souvent cité, où cette solidarité et cette union, imparfaite mais réelle, sont affirmées d’une manière si expressive : Humanum genus, quantumvis in varios populos et régna divisum, semper habet aliquam unilatem, non solum specificam sed etiam quasi polilicam et moralem, quam indical naturale prseceptum mutui amoris et misericordise, quod ad omnes extenditur, etiam extraneos et cujuscunque rationis. Quapropter, licet unaquæque civitas perfecta, respublica aut regnum, sit in se communitas perjecta et suis membris consians, nihilominus quwlibet illarum est etiam membrum aliquomodo lut jus universi, prout ad genus humanum spectat : nunquam enim illse communistes adeo sunt sibi sufjicientes sigillatim, quin indigeant aliquomodo juvamine et societate ac communicatione, interdum ad melius esse majoremque ulilitatem, interdum vero etiam ob moralem necessitatem et indigentiam, ut ex ipso usu constat. De leg., t. II, c. xix, n. 9, p. 169.

Vitoria avait déjà parlé d’une respublica aliquomodo, formée par les nations ; Suarez n’exprime pas une autre idée par les termes plus juridiques d’unitas quasi politica et moralis. C’est l’unité relative qui se forme entre les sociétés civiles restant en droit chacune souveraine, mais cependant liées entre elles, sous l’impulsion de la sociabilité naturelle et selon le précepte de l’amour naturel et chrétien, par des rapports moraux, des intérêts économiques et des traités conclus. De cette unité quasi politique naît un droit propre qui à la fois la manifeste et l’affermit : le jus gentium.

c) Sans examiner en détail ce qu'était le jus gentium dans le droit romain, chez les canonistes et les scolastiques du Moyen Age, on peut à tout le moins dire que sa notion restait confuse. Pour saint Thomas il semble bien que c'était une partie du droit naturel : celle que manifestaient les inclinations proprement raisonnables de l’homme, distinguées de sa nature animale. Avec Suarez — malgré l'équivoque que comporte encore l’expression elle-même — nous avons du moins une conception très nette.

Le droit des gens, c’est, pour lui, cet ensemble de règles morales et juridiques qui se forment dans la société ouverte des nations pour lui permettre de vivre en paix et de progresser. Dans le passage que nous venons de citer sur la communauté des nations, il nous est déjà donné comme la suite normale des rapports internationaux ; voici comment un autre texte le définit et nous montre sa nécessité et sa formation : nam licet universalitas hominum non fuerit congregata in unum corpus politicum, sed in varias communitates divisa fuerit, nihilominus ut illse communitates sese mutuo juvare et inter se in justitia et pace conservari possint (quod ab bonum universi necessarium erat), oportuit ut aliqua communia jura quasi communi jadere et consensione inter se observarent ; et hœc sunt quæ appellantur jura gentium, quæ magis traditione et consueludinc quant constitutione aliqua introducta sunt. De leg., t. III, c. ii, n. 6, p. 181-182. C’est du reste